Citoyens
Objectif :
positionner les acteurs sur 3 lignes différentes (nos 3 noeuds), pour pouvoir les comparer dans leurs définitions réciproques
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"Le RIC ne me séduit absolument pas parce qu’il revêt un caractère plébiscitaire qui me paraît peu adapté au gouvernement d’une nation et relativement dangereux."
Maître de conférence en Histoire du Droit et des institutions.
Yann-Arzel Durelle-Marc est spécialiste des questions de citoyenneté et de démocratie, il a notamment écrit une thèse sur le droit de pétition durant l’Assemblée Nationale Constituante (1789 1791). Et étudie précisément sa contribution à l’histoire du régime représentatif.
Il comprend l’enthousiasme qui accompagne le RIC comme le fruit d’une colère grandissante envers des représentants de plus en plus déconnectés de la population et un débat démocratique qui s’appauvrit sous l’effet de l’hyper-présidentialisation. Pourtant, il se montre très critique à l’encontre de ce dispositif qui serait pour lui, « la démocratie contre la démocratie ». Autrement dit, il craint que cette procédure démocratique qu’est le RIC n’aboutisse à des décisions très peu démocratiques, si ce n’est fatales, pour nos droits fondamentaux. Spécialiste de l’histoire des institutions, il s’appuie notamment sur l’exemple des plébiscites Napoléoniens pour démontrer comment un outil référendaire peut progressivement mener à un régime autoritaire. Il se montre particulièrement craintif envers le RIC CARL, qui menace d’après lui la sécurité politico-juridique de nos sociétés. En supprimant la permanence des règles de droits, le RIC constitutionnel remet en question la notion de responsabilité, pénale et civile, qui assure la stabilité de notre pays.
Enfin, il dénonce l’illusion des arguments favorables aux vertus éducatives du RIC et à la formation de « citoyens éclairés ». Il s’agit des mêmes espérances que lors de la révolution française, pourtant depuis deux cent ans, nous n’avons toujours pas « trouvé la recette qui permette l’acquisition et l’entretien de ces compétences de la part des citoyens dans nos démocraties ».
Le peuple, « une figure et pas une réalité »
Yann Arzel Durelle-Marc critique cette idée de « redonner le pouvoir au peuple » revendiquée par les gilets jaunes et d’autres acteurs favorables au RIC. Selon lui, il s’agit d’un argument « totalement populiste », qui suppose que le peuple soit un être uni et cohérent, alors qu’il est en réalité une figure construite, un concept souvent utilisé par des hommes pour légitimer leurs actions ou leurs décisions. C’est grâce au « peuple » que Napoléon parvient à se faire nommer consul à vie, au nom du « peuple » que s’effectue la révolution française, au nom du « peuple » toujours que Robespierre instaure la Terreur...
Dans ces grands moments historiques, comme le RIC cherche à le faire, il s’agit de constituer le peuple comme un être politique et ce faisant, de reconstituer la nation politique. Or selon Yann Arzel Durelle-Marc, « cette figure-là fait surgir une sorte de Dieu politique qui serait la fin définitive de tout, qui serait sa propre fin ».
Peu de confiance dans la capacité du citoyen à prendre des décisions « éclairées »
Cette dernière déclaration dévoile le peu de confiance que Yann Arzel Durelle-Marc accorde aux capacité politiques du « peuple ». L’espérance placé dans le RIC ressemble selon lui à celle suscitée par la révolution française : “le citoyen va acquérir les lumières et il va devenir un acteur et maître de son destin, participant au destin collectif…”. Pourtant, plus de deux cent ans après, il ne croit toujours pas “que nous ayons trouvé la recette qui permette l’acquisition et l’entretien de ces compétences de la part des citoyens dans nos démocraties”. Il explique que c’est un des ressorts du populisme que de vouloir accuser les élites et d’en contester la légitimité. « Le problème est que, quand vous avez décapité les élites, vous avez aussi perdu du savoir-faire … et donc, vous n’êtes pas du tout sorti d’affaire ».
Il déplore que le droit soit souvent enseigné, au travers une lecture post-marxiste, comme une superstructure de domination ce qui lui donne son caractère fascinant et attractif. Cet enseignement par des personnes « formées dans une position systématiquement critique et externe à l’égard du système dont il s’agit pose littéralement un problème », selon lui car il donne une mauvaise image des institutions et des règles de droit. Trop souvent perçu comme un instrument de pouvoir et de domination qu’il faudrait supprimer ou donner au peuple, on oublie que le droit est aussi le dépôt du système de valeur qui structure nos sociétés, et qu’il est important de le conserver pour rester dans un système démocratique.
Risques pour les minorités et pour la démocratie
Pour Yann Arzel Durelle-Marc, les droits des minorités sont protégés par l’organisation d’une hiérarchie des normes qui ne permet pas, ou difficilement, de revenir sur certaines catégories de règles. Selon lui, ce qui assure la stabilité d’une société ce sont ces règles de droit qui instaurent une responsabilité civile et pénale. C’est la peur de la sanction qui empêche la violence et la pérennité des règles qui permet et l’intériorisation des interdits. Or en consacrant la souveraineté du peuple et lui permettant de modifier en permanence la Constitution, cela signifie que « les règles-cadres, celles qui précisément contribuent à notre sécurité juridique, deviennent précaires ». La possibilité de définir soi-même la question, sans qu’il y ait de limite à cette question, rend le citoyen dangereux : « dangereux pour les minorités, pour mon voisin… pour l’architecture générale du système juridique et au-delà, du système de valeurs dans lequel je vis, qui schématiquement est héritier de la déclaration des droits de 1789 ».
S’il n’y a plus de limites aux changements constitutionnels, comme c’est le cas dans la proposition du RIC CARL, il craint pour la protection des droits fondamentaux de l’Homme. Il cite le possible rétablissement de la peine de mort, mais insiste sur des risques selon lui beaucoup plus graves, comme la question de l’immigration, des pratiques religieuses, avec des conséquences sur les relations internationales, sur des vies humaines à large échelle. C’est pour cela que le RIC pose problème, car il serait l’expression de « spasmes de l’opinion », c’est-à-dire des décisions réfléchies sur des émotions. Cela donne au RIC un caractère plébiscitaire qui constitue une menace pour la démocratie en utilisant une procédure à priori démocratique pour prendre des décisions allant en réalité à l’encontre de la démocratie. Le RIC fonctionne sur un principe de supériorité numérique, donnant le pouvoir à la majorité. Or, Yann Arzel Durelle-Marc met en garde contre ce principe : « si notre démocratie n’est que majoritaire, elle est dangereuse. C’est assez simple : la majorité peut avoir tort ».
"Le référendum dépossède le représentant de sa représentation pour schématiser les choses c’est un court-circuit."
Dégradation de la relation représentants -représentés
Le RIC est le fruit d’une insatisfaction des citoyens concernant leur représentation politique et exprime le besoin de compenser une potentielle distance entre les citoyens et les représentants au pouvoir par un recours à la démocratie directe.
La dégradation de cette relation provient également de l’évolution de la discipline partisane, qui selon Yann Arzel Durelle-Marc, a « fait des dégâts assez considérables dans l’opinion que l’on a de nos représentants ». Il évoque l’intervention de structures privées qui se sont emparées de la représentation nationale, imposant leur propre logique de discipline et de comportement au service de leurs intérêts. Les nombreux scandales qui ont éclatés sur les partis politiques ces dernières années (Bygmalion, lycées de France…), ont donné « des spectacles assez déplorables en terme moraux » qui « accrédite le fait que nous avons des systèmes partisans qui fonctionnent de manière parfaitement égoïste en dépit de l’intérêt général ». Cela crée une blessure très profonde du système démocratique qui permet d’expliquer le rejet du système partisan actuel et le besoin de trouver de nouvelles formes de participation des citoyens qui n’ont plus confiance dans leurs élus.
Yann Arzel Durelle-Marc estime que la qualité du rapport entre représentants et représentés est absolument essentielle au bon fonctionnement de la démocratie représentative. Il admet qu’il y a des responsabilités politiques collectives dans l’avènement de ces « spasmes de l’opinion » dont sont issus le RIC, qu’il « ne cherche pas à excuser » mais souhaite toutefois qu' «on n’aille pas jusqu’au bout des conséquences de cette erreur ».
RIC mène à une déresponsabilisation du politique
L’avantage des systèmes représentatifs, selon lui est qu’ils font peser sur les élus, une responsabilité la fois morale et politique. Or, le recours au référendum, et en particulier d’initiative citoyenne, signifierait, contourner cette responsabilité et cette fonction et fragiliserait de ce fait considérablement la légitimité de la représentation nationale. Il parle d’une double déresponsabilisation, celle du peuple d’une part, qui considère qu’il peut passer outre la représentation nationale, celle des élus d’autre part, qui peuvent se dessaisir de leur responsabilité pour la faire peser sur le peuple. C’est ce qu’il s’est produit, d’après lui, lors du référendum sur le traité de Maastricht et au moment du passage au quinquennat.
La question de la représentation n’est pas seulement une mécanique, c’est aussi une culture politique et une répartition de responsabilités liées entre elles qu’il est important de préserver.
C’est pourquoi, il s’oppose notamment au référendum révocatoire, permettant la révocation des élus en cours de mandat sur des fondements d’opinion politique. La sécurité et la protection de sa parole lors de ses interventions publiques (par exemple à l’assemblée nationale) est ce qui assure la sérénité du débat. Pouvoir révoquer un élu pour ce pour ce qu’il a dit, pensé ou voter dans le cadre de l’exercice de ses fonctions électorales paraît « assez contradictoire avec ce que nous considérons comme une des conditions de l’exercice des mandats électoraux » et changerait la nature de la représentation politique.
"Ce qui fait la démocratie, c’est la qualité de la discussion…. Et surtout, qu’il en existe une."
Appauvrissement du débat démocratique
L’adoption du quinquennat en 2000, puis l’alignement des élections législatives et présidentielles ont profondément présidentialisé la 5eme république. Le septennat permettait un décalage de couleur politique entre les organes de la constitution (assemblée nationale ou Sénat et gouvernement), ce qui obligeait à négocier. Or dans les conditions actuelles, il n’est presque plus possible d’avoir un tel décalage. Aussi Yann Arzel Durelle-Marc ne peut s’empêcher de noter que, depuis le début du mandat en cours d’Emmanuel Macron, « nous avons une majorité parlementaire qui est elle-même de type plébiscitaire, nous sommes avec une majorité extrêmement large, de telle sorte qu’il n’y a aucune négociation à avoir, ni avec d’autres organes ni avec une opposition ». Cette situation aboutit, selon lui à un appauvrissement de l’argumentation dans le débat public, ce qui pose un problème pour le fonctionnement du système démocratique. Il faut nourrir en permanence la vie démocratique nous avoue-t-il, et « nous n’avons pas trouvé actuellement de moyens d’alimenter cette dynamique démocratie de façon satisfaisante ».
Besoin d’une démocratie directe
Yann Arzel Durelle-Marc explique que la question d’un RIC ou de la démocratie directe se repose d’une façon renouvelée quasi-systématiquement lorsque l’opinion publique est insatisfaite de ce que fait la représentation nationale. Or on observe depuis quelques années maintenant, l’émergence d’un sentiment de non-représentation de la part d’une part importante de la population, qui, « ne trouvant pas de débouché à l’expression de ses revendications, de ses demandes ou de ses besoins dans le système représentatif tel qu’il est devenu aujourd’hui, cherche d’autres moyens d’expression ». Ainsi, à travers le RIC, les Gilets Jaunes prolongent la réflexion de Jean Jacques Rousseau, cherchant « une perfection de la démocratie » et se demandant si la « représentation ne « viole » pas, au fond, le principe de démocratie ».
Le RIC cherche donc à combler l’écart entre ce que font les représentants et ce que veulent les représentés. Différents instruments ont été envisagés pour tenter de raccorder la représentation avec la nation, le RIC n’étant finalement que la dernière version de cette ambition.
Culture démocratique en France
Le RIC existe en Suisse et dans de nombreux autres pays, comme les Etats Unis, l’Italie… souvent cités comme exemples pour vanter les effets bénéfiques du RIC et revendiquer sa mise en place en France. Pourtant, Yann Arzel Durelle-Marc explique pourquoi la spécificité du système politique et culturel français ne permet pas le recours à ce type d’outil.
Selon lui, la France manque d’une culture de la consultation démocratique directe, dont bénéficie le système fédéral Suisse. Il explique ainsi qu’en Suisse, les citoyens “ont acquis une forme d’expertise dans l’appréciation des sujets qui leur sont soumis et cela suppose qu’il y ait un débat et un système de réflexion, d’argumentation et de contre-argumentation dont, à mon sens, nous ne disposons pas en France aujourd’hui”.
C’est pourquoi la France, est aujourd’hui inapte à accueillir ce genre de débat selon lui.