Citoyens
Objectif :
positionner les acteurs sur 3 lignes différentes (nos 3 noeuds), pour pouvoir les comparer dans leurs définitions réciproques
0 5
"En démocratie, il ne peut y avoir de Jupiter ni à l'Elysée, ni au Parlement, ni sur les ronds-points."
Constitutionnaliste et professeur de Droit Constitutionnel à l'université Paris 1 Sorbonne et codirecteur de l'Ecole de droit de la Sorbonne depuis 2013.
Il réfléchit activement aux thématiques de la démocratie et de la représentation et présente, dans son livre 'Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation', publié en 2015, ses propositions pour refonder notre démocratie en revalorisant la figure du citoyen.
Dominique Rousseau admet que « la forme représentative de la démocratie est épuisée ». Il se montre également réticent envers les instruments de démocratie directe comme le RIC, qui, selon lui, fusionne tous les pouvoirs dans une seule instance (« le peuple ») et permet d’échapper, par une absence de contrôle et de garde-fous, au respect des droits fondamentaux énoncés dans la constitution. Le RIC est un instrument de pouvoir intermittent, guidé par l’émotion, qui se réalise avant tout par l’acte de voter sans réelle participation au débat démocratique, qui est, selon lui, le fondement de la démocratie directe. Il est défavorable au référendum de manière générale, qu'il considère comme une illusion démocratique : « Dans notre histoire, si la démocratie est née en 1793 avec le référendum, elle est morte avec, avec notamment ceux de Napoléon » rappelle-t-il. Le référendum d’initiative citoyenne représente donc selon lui un risque pour la démocratie, les droits fondamentaux de l’Homme et le respect des minorités.
"Le peuple est défini par un accord sur le droit. Si l’on ne définit par le peuple par les droits, comment le définit-on? Par la race? Par la religion? Par le sang? ..."
Le peuple se construit par le droit
Dominique Rousseau, rappelle que le peuple est une notion construite artificiellement par le droit, c’est-à-dire par le partage de libertés fondamentales, des droits de l’homme... Il cite l’exemple du 11 janvier lorsque le peuple s’est réunit autour du slogan « Je Suis Charlie » et explique qu’alors, « ce qui faisait le peuple, c’est le fait de partager la même conception du droit, le droit à la même liberté d’expression et le droit à l’égalité des différences ». C’est cet accord sur le droit, sur ce bien commun, qui permet aux « hommes de se représenter non pas comme des individus mais comme des citoyens ». Or la démocratie directe est dangereuse car elle supprime ce moment de construction du peuple, en donnant l’idée que le peuple existe par lui-même. Dominique Rousseau explique que le risque, si le peuple ne se construit plus sur ce partage des valeurs constitutionnelles, qui seraient soumises à des modifications permanentes au travers le RIC, est que le peuple ne se construise sur un accord sur la race, la religion, la classe sociale…. autant de critères qui fragilisent et divisent notre société. La seule condition qui ouvre sur un horizon démocratique selon lui est la construction du peuple par un accord sur le droit. Il cite la position d’Habermas qui parle de « patriotisme constitutionnel », considérant que la Constitution pourrait être une patrie.
La constitution lie les citoyens à ses représentants, chacun ayant besoin de l’autre pour exister. Aussi il ne s’agit pas, selon lui, de supprimer toute forme de représentation mais au contraire de mettre en place les institutions qui consacrerons pleinement le citoyen.
Capacités du citoyen
Dominique Rousseau revendique la capacité de la société à produire du droit commun. Seulement, face à la démobilisation politique des citoyens aujourd’hui, il est primordial, selon lui, d’effectuer un travail intellectuel de “reconnaissance des capacités de la société à participer à l’élaboration du bien commun”. Selon lui, si les gens ne veulent pas participer aujourd’hui, c’est parce qu’on ne leur a pas inculqués l’envie et le besoin de participer à la vie politique. Il cite à ce sujet Carré de Malberg pour expliquer que : « si toutes les constitutions valorisent la figure du citoyen, elles consacrent l’essentiel de leurs dispositions à déposséder les citoyens de leurs pouvoirs en organisant et légitimant l’existence et la parole des représentants et, par conséquent, l’absence et le silence des citoyens-représentés ». Ainsi, les citoyens ne sont pas habitués à participer à la vie démocratique et au débat public. Il affirme que la première étape est de mettre en place une révolution culturelle pour légitimer la parole citoyenne et encourager les individus à participer au débat. Alors seulement « on passera à la 2ème étape qui sera de trouver les mécanismes par lesquels la société pourra exprimer ce bien commun ».
"Notre démocratie représentative représente quoi ? La Nation. L’être abstrait"
Définition
« La représentation, c’est tout simplement une division du travail politique entre deux catégories de personnes, les représentants, et les représentés ». A partir de cette définition générale, Dominique Rousseau distingue deux types de représentations. Le premier, qu’il nomme « la représentation fusion » est caractéristique des régimes monarchiques, lorsque les intérêts des représentés fusionnent celui des représentants. L’autre conception, qu’il appelle « la représentation-écart » cherche à trouver des institutions permettant de maintenir l’écart entre le corps des représentants et celui des citoyens. Cela passe notamment par la réclamation d’un droit, pour les citoyens, d’intervenir, de parler, entre deux moments électoraux, à côté, voire contre, leurs représentants.
Le besoin de représentation
Dominique Rousseau résume la situation ainsi : « la crise de la représentation ne signifie pas qu’il n’y ait plus de représentants, mais que les représentés puissent continuer à pouvoir intervenir ».
Il refuse en effet l’idée de fusion du citoyen avec le représentant, qui ne lui parait pas, « dans l’histoire politique française un processus de démocratie ». Pour lui, au contraire, l’écart entre le corps des représentants et le corps du peuple permet précisément de construire une relation démocratique en instaurant un échange constructif entre les deux corps. Il défend l’idée que la représentation et les institutions de la représentation sont les conditions nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie.
Risque de déresponsabilisation
La constitution définit deux corps distincts : les représentants et les représentés, chacun ayant son rôle à jouer pour assurer le fonctionnement de nos démocraties. Cette dualité permet en effet aux citoyens d’exercer un contrôle politique et juridictionnel sur les représentants. Or ce contrôle est la clé de la démocratie pour Dominique Rousseau car il fait peser une responsabilité sur le corps législatif. Il rappelle qu’en l'état actuel, les lois votées par les représentants du peuple sont contrôlées par le juge constitutionnel, qui vérifie leur conformité aux droits et libertés garanties par la Constitution. En revanche, les lois votées par le peuple ne sont pas contrôlées car elles sont « l'expression directe de la souveraineté nationale » : « Le peuple-législateur-direct ne peut être contrôlé ni voir sa responsabilité engagée puisqu’il ne peut y avoir un corps devant lequel il devrait soumettre ses lois »
Or cette absence de contrôle, et cette toute-puissance décisionnaire lui paraît dangereux pour les droits fondamentaux énoncés dans la Déclaration de 1789. Il met en garde contre le contre ce principe de suprématie numérique et rappelle que, quel que soit le suffrage numérique recueilli, « la loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la constitution ». Il craint que le RIC aboutisse à une « tyrannie du nombre » qui « est encore plus monstrueuse que la tyrannie d’un seul individu car elle prend l’apparence et le nom de peuple ».
"Entre une démocratie directe, qui repose sur l’individu, une démocratie représentative sur l’électeur et un système capitaliste sur le travailleur-consommateur, le citoyen est le grand absent"
Le référendum n’est pas l’expression d’une démocratie directe
Pour Dominique Rousseau, l’instrument de la démocratie directe n’est pas le référendum mais « la présence physique des citoyens dans un même lieu pour proposer, discuter, amender et approuver les lois ». L’auteur prend l’exemple de la démocratie athénienne pour illustrer que « l’expression de la volonté du peuple ne peut être qualifiée de « directe » que si et seulement si tous les citoyens sont physiquement présents – et donc non représentés – sur une place publique ou dans une assemblée pour délibérer sur les lois ». Selon lui, le référendum est plus un acte d’acclamation qui donne le vote mais pas la parole au peuple.
Trouver l’équilibre entre démocratie directe et représentative
Dominique Rousseau constate que la démocratie représentative est à bout de souffle : « Le suffrage universel perd sa force légitimante du fait de l’abstention, les partis politiques n’ont plus d’adhérents, les syndicats ne représentent plus grand monde, le Parlement ne délibère plus… ». Le principe de délégation du pouvoir, selon lequel « ceux qui savent et ceux qui agissent et se taisent », n’est plus valable aujourd’hui. Il cite le discours de Sieyès du 7 septembre 1789 : « le régime représentatif n’est pas, et ne saurait être, la démocratie puisque le peuple ne peut parler et agir que par ses représentants ».
S’il se montre critique envers le système représentatif, il n’adhère pas non plus au principe de la démocratie directe. Il considère cette dernière comme «l’idée naïve que le peuple est une réalité objective qui peut se saisir lui-même». Il reste persuadé que la représentation et les institutions de la représentation sont les conditions de la démocratie, et que c’est ce qui permet aux individus de devenir citoyens et à la foule de devenir peuple :
“On ne naît pas citoyen, on le devient”
Il considère que la réelle démocratie s’exprime par “un mode d’élaboration délibératif de la volonté générale” et se consacre donc par une délibération entre l'ensemble des citoyens, un échange constructif entre le peuple et ses représentants.
Démocratie continue
Dans son ouvrage, Radicaliser la démocratie. Propositions pour une refondation, il propose un système de « démocratie continue », fonctionnant sur des « Assemblées délibératives de citoyens », inscrites dans la Constitution. Ces assemblées primaires, à la différence du RIC qui est intermittent, garantiraient une action continuelle du citoyen sur les affaires de la Cité. Dans cette démocratie continue, le vote n’a pas de place centrale, la discussion, la confrontation et l’échange primera sur le vote. Il imagine ainsi une forme de légitimité délibérative, qui amoindrira la légitimité issue du suffrage universel. La démocratie continue, selon lui, c’est avant tout « un acte de délibération » qui reconnait aux citoyens le droit de « réclamer, d’agir, de participer à l’élaboration de la volonté générale ».
Dominique Rousseau estime que le RIC favoriserait la politique par « les affects » ou « les émotions premières », en ne se réalisant que dans « l'instant du vote alors que le droit des citoyens à donner leur avis doit pouvoir s'exercer en continu entre deux moments électoraux ».