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Entretiens
Yvan Bachaud
Yann Arzel

Chloé : Quel est l’objectif principal de votre association Article 3 ? 

Yvan Bachaud : L’objectif de notre association, c’est d’obtenir le RIC en toute matière, ouverte aux élus. On a rajouté ce dernier élément “ouverte aux élus” pour répondre à tous les “ennemis du peuple” qui disent “oui mais on va rétablir la peine de mort, on va supprimer l’avortement ou le remboursement de l’avortement, le mariage gay etc”. Notre position est de dire “ouvert à toutes les propositions, que le peuple puisse intervenir, partout où les élus peuvent intervenir”. En effet, pour rétablir la peine de mort, il serait d’abord nécessaire de sortir de l’Union Européenne, ce qui paraît compliqué. Ceux à qui on a délégué le pouvoir pour 5 ans ne peuvent pas avoir plus de pouvoir que ceux qui leur ont délégué. Donc je pense que là, on est inattaquable. Pour les modalités, vous avez vu que dans l’article 3, on ne propose aucune modalité pour éviter que les personnes qui sont “pour” le RIC ne se divisent inutilement. On demande seulement trois choses :
    - Première chose: que ce soit un RIC en toute matière, ouvert aux élus (y compris constitutionnel et ratification des traités)
    - Deuxième chose: que le changement de l’article 3 se fasse seulement par voie référendaire. Là dessus on pourrait nous dire que c’est de l’autoritarisme, de la méfiance envers les élus. Or, en 2005, les citoyens avaient voté non à 55 % (avec 70 % de participation) au traité constitutionnel européen. Trois ans après, le congrès est revenu dessus. On ne veut pas que cela soit possible.
    - Troisième chose: si, dans les six mois qui suivent, le référendum inscrit dans la constitution avec ses modalités précises n’est pas opérationnel, une dissolution automatique de l’Assemblée nationale s'établit, avec des élections dans un délai donné. En effet, notre argument est de dire que six ans et demi ont été nécessaires pour que  l’article 11, modifié en juillet 2008 avec le référendum dit “partagé”, soit opérationnel.

Cédric : Raul Magni Berton nous expliquait, comme vous le dites aussi, que le RIC est souhaité par une très forte majorité de gens dans la population, mais qu’il ne constitue pas leur priorité. Ces questions de constitutionnalité comme le RIC ne passent donc pas, étant compliqué à pousser sur le devant des revendications. Selon vous, quelles sont les possibilités pour que ce sujet émerge dans la vie publique ? Il y a eu les gilets jaunes, et maintenant ? 

Yvan Bachaud : Il y a eu un sondage le 5 février dernier où ils ont posé 17 questions. Parmi elles, la question “Quelles sont les quatre propositions qui seront déterminantes pour votre vote aux élections communales”. Dans les propositions de réponse, il n’y avait pas “pouvoir décider par référendum d’initiative citoyenne”. Alors nous avons fait un sondage sur la page Facebook du CLIC en demandant : “Si vous aviez carte blanche pour faire votre programme idéal des municipales, ‘pouvoir décider par RIC’  serait-il dans vos 4 priorités ?”. Nous avons eu plus de 1000 réponses. Il y a eu 95 % de oui. Il y a une omerta complète des médias. Tous les soirs, les journaux télévisés proposent quelques minutes de questions interactives avec l’audience pour que l’on pose toutes les questions, même celles qui dérangent. Je ne les ai jamais entendu parler du RIC…et pourtant celle-là dérange beaucoup. 

 

Chloé : Que pensez-vous des propositions politiques, qui proposent de mettre en place le RIC, notamment venant de la France Insoumise ? 

Yvan Bachaud : : Pour moi, toutes les formations qui se prétendent “d’opposition” ne veulent pas du RIC. Même parmi celles l’ont dans leur programme, comme le Front National - c’était la 4e des 144 promesses. La France Insoumise ne le demande pas en matière constitutionnelle, ce qui ne rime à rien. Ils l’ont proposé “théoriquement”. Les écologistes aussi, en 2012, cela fait 40 ans qu’ils le demandent, mais en fait toutes les oppositions n’en veulent pas. La raison est simple. En Suisse, si une loi est mauvaise, ce sont souvent les syndicats ou les partis de gauche qui lancent les initiatives. Or, en France, aucun syndicat ne veut du RIC. Dans les mois passés, quand on m’avait quand même donné la parole sur France Inter, j’ai pu interroger Philippe Martinez de la CGT et Laurent Berger de la CFDT. Ils sont à 100 % contre le RIC. Et aucun parti politique ne veut du RIC. La seule chose qui les intéresse étant de gagner la présidentielle puis les législatives, le RIC pourrait mettre en danger ce système établi. Aussi, pouvoir continuer à présenter le RIC dans leur programme est un plus pour l’opposition. 

Chloé : Vous avez parlé du site CLIC et de l’association Article 3. Je voulais savoir le lien entre ces associations, et votre rôle entre toutes ces associations. 

Yvan Bachaud : Article 3 est une association qui a été fondée en 2006, et j’étais un des initiateurs. Par la suite, on a aussi créé le “Mouvement pour une initiative populaire” pour établir une liste pour les Européennes. On nous avait qualifié de gilets jaunes et on a réussi à le faire changer par l’AFP.  Le CLIC c’est un collectif qui regroupe les associations. Le principe est de mettre en commun les personnes favorables au RIC et de pouvoir ainsi proposer dans un futur proche une manifestation commune. Il y a déjà un formulaire pour s’engager à manifester tous les vendredis soir dans sa commune. Puis le jour où on sera très nombreux, et sûrs de pouvoir assurer la pérennité, le but sera d’organiser une grande manifestation. Ce collectif répond ainsi au souci du petit nombre d'adhérents dispersés dans chaque association, qui ne peuvent pas s’organiser sous une ambition commune. Article 3 doit avoir un millier d’adhérents, et le conseil d'administration se compose de 10 personnes. Certains ne sont pas trop actifs également, il faut essayer de garder une certaine dynamique. 

Cédric : Et donc selon vous, les syndicats qui vont être opposés au gouvernement sur de nombreuses questions vont par contre avoir la même position que le gouvernement et les médias par rapport au RIC? Et toute cette oligarchie est contre le RIC?

 

Yvan Bachaud : Évidemment. Et ça vous l’avez constaté, il y a eu 50 jours de grèves, en France. En Suisse, en 2017, une loi qui augmentait d’un an le départ à la retraite et les cotisations de tout le monde avait été votée. En septembre 2017, les suisses, sans un jour de manifestations, sans grèves, ils ont réuni 50 000 signatures, 1 % de leurs inscrits, et puis ils ont voté, ils ont abrogé la loi. Est-ce qu’il est normal, que des syndicats, que la France Insoumise, qui passait sur LCI en continu, n’aient jamais mentionné ce qui s’est passé en Suisse? On leur a écrit, aussi, au gouvernement et au Premier Ministre pour leur dire que s’ils veulent la paix sociale, alors c’est simple, il suffit d’annoncer que dans les six mois le RIC en toute matière sera instauré. Et à ce moment-là les Français n’auront plus aucune raison de descendre dans la rue. Le gouvernement ne l’a pas fait, et on a dit la même chose aux syndicats: qu’attendent-ils pour rappeler qu’en Suisse, sans un jour de grève, ils ont abrogé une loi? Le gouvernement est responsable de la grève, il porte l’entière responsabilité de la grève, et des dérives qu’il peut y avoir, parce qu’il ne donne pas aux citoyens le droit réel d’exercer leur souveraineté nationale. 

 

Cédric : Pensez vous que si Mélenchon arrive au pouvoir, il fera le RIC, comme c’est écrit dans son programme, ou que c’est juste un argument ? 

Yvan Bachaud : Mais bien sûr que non, il ne le fera pas. Et puis le Front National non plus, mais on en a la preuve pour le Front national. Le FN, en 2014, a gagné dix villes: Hénin Beaumont, Fréjus, et d’autres. Je les ai contactés cette année-là. Sur les dix villes Front National, on leur a demandé s’ils étaient prêts à appliquer le RIC à la demande de 20 % des inscrits. Il n’y en a pas un qui a accepté ou qui nous a même répondu. On a saisi Madame Le Pen, en lui disant que ça causait un grave préjudice à son parti : vous dites que si vous vous gagnez la présidentielle et la législative vous allez instaurer le RIC Suisse à 1 ou 2%, et quand vous êtes au pouvoir, avec 10 villes, vous le refusez à 20%. Et bien il faut exclure ces gens là ou les faire signer. On n’a jamais eu de réponse de Madame Le Pen. 

 

Cédric : On avait une question sur l’origine de votre intérêt pour le RIC : à partir de quand y êtes vous intéressés, et est-ce bien vous qui avait inventé l’acronyme RIC, comme nous l’a dit Raul Magni Berton ? 

Chloé : Pour comprendre comme on est passés de RIP à RIC : on aimerait bien élucider cette question. 

Yvan Bachaud : C’est très simple. Au début, j’avais fait le mouvement pour l’initiative populaire. Et puis à l’époque, il y a environ 25 ans, on parlait à ce moment là de populisme. Populaire, populisme, j’ai dit que c’était quand même embêtant, référendum d'initiative populaire, c’était trop proche de “populisme”, ça risquait de nous desservir, alors on a opté pour “citoyen”. En 92, on a fait le rassemblement national d’association pour le référendum d’initiative populaire, le RNARIP, il y a de ça longtemps, plus de vingt ans, trente. On est passé à citoyen pour éviter populaire, et donc populisme. Mais c’est globalement la même chose quoi.  

 

Chloé : comment expliquez-vous que cela ait pris autant d’ampleur avec les gilets jaunes, et pas avant ? 

 

Yvan Bachaud : Cela a été très net, notre association Article 3 avait eu - de mémoire - 6000 signatures en 6 ans. Et en quelques mois, plutôt quelques semaines, on est passés à 300 000. C’est grâce aux gilets jaunes que le RIC a été connu. Toute la journée il y avait des pancartes pour le RIC sur LCI, et puis sur BFM, et les chaînes d’information. Il y avait aussi des petites vidéos, donc c’est grâce à eux que c’est venu dans les médias. 

 

Cédric : Et si même les gilets jaunes n’ont pas réussi à le pousser en avant, à votre avis, comment le RIC pourrait être instauré ? 

 

Yvan Bachaud : On aurait pu, et on pourra peut-être, il y a des choses qui sont des résultats des municipales, il y a des trucs qui sont encourageants. On vous avait envoyé les modalités que l’on avait proposé de signer pour les municipales à tous les candidats ? 

 

Cédric : Oui. Les modalités du RIC communal. 

 

Yvan Bachaud : Non, ce n’est pas ça, ça ce sont des modalités que j’ai fait il y a bien longtemps, et qui ont été améliorés petit à petit. Non, on a envoyé des documents dans toutes les listes dans les trentes plus grandes villes de France. On a envoyé trois propositions de RIC, vous ne les avez pas eu ?

 

Cédric : On a la lettre aux candidats des têtes de liste pour les municipales. 

 

Yvan Bachaud : Dans cette lettre, on disait aux candidats : on vous propose plusieurs modalités de RIC, et on leur disait qu’ils pouvaient aussi proposer les leurs : on ne tient pas spécialement à nos modalités. Et donc ce sont les modalités que l’on a envoyées à au moins cinq ou six listes par grande ville. Et il y a eu un truc intéressant : C’est à Toulouse ou il y avait une liste appelée “l’archipel citoyen” avec des écologistes, des gens de la France insoumise, et puis essentiellement des citoyens d’associations, de la société civile etc. Et eux ils sont pour la démocratie participative. On compte beaucoup là-dessus, et donc ils ont un peu de RIC, mais  dans leur programme c’est introuvable. Et donc on leur avait proposé ça, et pour ne pas se faire avoir comme on s’était déjà fait avoir par Monsieur Collomb, et par Monsieur Wauquiez, qui en tant que tête de liste avaient signé un engagement pour le référendum d’initiative citoyenne. C’était à Lyon pour Collomb il y a bien longtemps (en 95) et il n’a jamais proposé sa promesse. Et Wauquiez, sur l’application démocratique du RIC régional, il avait signé et quand on lui a dit que l’on voulait en lancer un sur une subvention à un million d’euro sur l’autoroute Saint-Etienne - Lyon, il a dit : moi j’appliquerai la loi, toute la loi. Bien sûr, il crée la loi. Mais la loi c’était qu’il n’y a pas de RIC possible à la demande de 20 % des inscrits les deux premières années. Et puis s’il applique la loi et toute la loi, ça veut dire que quand on aura réuni 10 % de signataires de la région, et bien la loi dit que le conseil, en admettant qu’il soit obligé de statuer sur la demande de consultation, peut très bien la refuser, et s’ils l’organisent ce ne sera qu’un simple avis. Or lui avait signé un truc comme quoi dès la première année, sauf les six derniers mois, il ferait tous les référendums qui auraient 10 %, et il suivrait le résultat si le oui avait plus de voix qu’il n’en avait eu lui-même. Et bien sa signature, il ne l’a pas honorée. En plus des modalités, on disait que le RIC c’était pas un point du programme comme les autres : c’était une façon de gérer la commune, et avec lui on pouvait faire passer tous les autres points ou s’opposer à tous les autres points du programme de qui que ce soit. C’était quelque chose de particulier et on voulait qu’ils s’engagent à ne pas fusionner, et c’est ça qui a bien foutu la merde, en disant : ils s'engagent à ne pas fusionner avec une liste qui ne le reprendrait pas. Et on demandait par exemple à Lyon la signature de tous les gars de l’arrondissement. Et les verts, qui théoriquement étaient pour - on a des échanges écrits là-dessus, ils ont refusé de signer, en nous écrivant que quand ils seraient élus, ils feraient les modalités qu’en tenant compte de nos propositions. Et ce qu’il y a, c’est qu’à Lyon ils sont en passe d’être élus. Donc on va voir ce qu’ils vont faire. Et à Toulouse, les gars de l’archipel citoyen, ils avaient dit : on est prêts à signer, mais on ne signera que si on arrive en tête des listes de gauche, et à ce moment là on mettra le RIC comme incontournable. On leur avait donc demandé de s’engager à ne pas fusionner avec une liste qui ne reprendrai pas le RIC, et ils nous ont dit “ah oui, mais c’est embêtant, le numéro 1 c’est de battre le maire de droite, et donc on peut pas imposer ça, mais si on était en tête, à ce moment là on pourrait l’imposer”. Donc on leur a refait un texte, en disant que les signataires s'engagent, si ils arrivaient en tête des listes de gauche, à mettre en impératif le RIC. Et malgré tout quand je leur ai envoyé ça, ils n’ont pas signé. Alors j’avais fait un communiqué tirant un peu à boulets rouges quand même, et puis en définitive il n’y avait rien à dire, je ne faisais que rapporter ce qu’il y avait entre nous. En définitive je l’ai pas envoyé, parce que j’ai vu que le gars de l’équipe de campagne était bien embêté de tout ça. Mais de toute façon c’était pas facile. Ce qui est très intéressant, c’est qu’ils ont fait 29 %. A Toulouse, il  y a 29 % pour l’archipel citoyen, le maire a dû faire de mémoire 33 ou 35 %, et la liste socialiste a fait 16 %, donc plus 29 %, et il y a encore le maire socialiste battu la fois d’avant, qui a du faire une misère, 5 % quand même parce qu’ils parlent de fusionner. Donc à Toulouse, il est quasi certain que l’archipel citoyen va gagner la ville. Et ils ont déjà le RIC, mais un machin à dormir debout, et on risque d’avoir une ville ou il y aura globalement le RIC quoi. Et à Lyon peut être aussi.

 

Cédric : D’accord. Et vous pensez que la voie vers le RIC national ce sera la démocratisation du RIC municipal, qui permettra de prouver que ça fonctionne bien?

 

Yvan Bachaud : Bien disons qu’il y a aussi des endroits où il y a eu des listes uniques, donc on va avoir ce qu’ils vont faire, mais c’est parce que c’est petits trucs. Pour qu’il y ait des RIC, il faut qu’il y ait quelque chose d’important, pour que ce soit utile et que ça triomphe. Et donc dans les modalités par exemple, dans mon village où il y a 3300 inscrits, Communay, aux élections précédentes, un candidat qui signait pour le RIC à 20 a été élu. Et les autres n’avaient pas signé. Et ce maire a sorti de son chapeau en 2018, donc 3-4 ans après les élections, un projet de centre commercial à la sortie du village. L’opposition a hurlé au scandale, en disant que c’était pas dans son programme. Et moi j’ai dit que j’allais lancer un référendum d’initiative citoyenne. Et je vais commencer par tirer au sort, parce que dans les modalités que l’on me propose, il y a le tirage au sort d’un échantillon qui est informé contradictoirement par le maire, l’opposition et les commerçants, et après ils renvoient les signatures pour demander ou pas la consultation. Donc j’ai fait ça : le maire, l’opposition et les commerçants, les gens, à qui j’ai mis dans les boîtes à lettres. Quelques uns m’ont renvoyé leur signature, d’autres me l’ont scanné, quelques un par la poste. Mais il a fallu que je passe chercher la plupart des trucs. J’ai vu sûrement à peu près tout le monde, et sur les 100 j’ai eu 78 % de signatures, qui demandaient une consultation. J’ai donc écrit au maire : je lui ai dit que c’est pas 20 % qui vous le demandent, apparemment c’est 78 % avec une marge d’erreur calculable. Il a pas répondu, et puis il a fait savoir qu’il renonçait à son projet, que rien ne serait fait avant les prochaines municipales qui ont eu lieu. Donc pour ces nouvelles municipales je lui ai demandé à lui et à l’opposition de signer un engagement public. L’opposition nous a raconté des conneries, elle nous a dit qu’elle allait le faire puis ils ont rien fait. Et le maire, qui avait signé pour le RIC à 20 %, a refusé de signer. L’épisode du centre commercial lui a fait renoncer au RIC. Le maire est quand même passé au premier tour avec un bon score, je crois 64 % des suffrages exprimés. Et maintenant à Communay il n’y a plus de RIC.

 

Cédric : D’accord, parce que ce n’était pas dans son programme, c’est quelque chose qu’il avait signé avec vous. 

 

YB : Ah, mais il avait signé. En plus de ça, pour montrer que les gars ils sont contre, il avait signé ça, il était venu chez moi pour dire qu’il était d’accord, il avait signé le document, mais il avait jamais mis ça dans son programme. Mais là, la seconde fois, il a refusé de signer. Bon, s’il savait qu’il allait passer largement, on peut le comprendre, mais de toute façon que ce soit dans son programme ou pas, en définitive ça ne change pas grand chose. Si on refait ça, moi je ne m’en occuperai plus, mais si l’opposition veut le faire, si sur 200 personnes tirées au sort, informées contradictoirement, il y a 70 % des gens qui demandent à être consultées, ça lui sera quand même difficile de faire son projet. Et après les 20 % de signatures on pourra les amener. Mais de toute façon les deux premières années ça ne sert à rien, vraiment à rien.  

 

Chloé : Comment a été instaurée cette durée des deux premières années ? D’où ça vient cette idée ? 

 

YB : Et bien c’est la loi, ça j’ai dû vous la mettre dans les documents. C’est la loi du 13 août 2004 qui est une fumisterie complète qui dit que c’est pas possible les deux premières années ni la dernière et qu’on a pu signer qu’une pétition. Et puis elle dit encore que le conseil municipal peut refuser de l’organiser et que le résultat de la délibération ce n’est qu’un simple avis. Alors sur un plan pratique, on ne voit pas comment on peut faire. Comment on peut écrire des conneries comme ça, c’est vraiment des conneries. Si le maire ne veut pas appliquer le résultat, il ne lancera pas la consultation. Vous ne pouvez quand même pas lancer un référendum, les gens disent blanc et puis faire noir. Donc les maires, ils n’organisent pas. Moi je me souviens, c’est vieux ça, en 95, c’était Pasqua qui avait créé ça. C’était le référendum, c’étaient les mêmes modalités mais ce n’était possible qu’en matière d’aménagement, donc pour un rond-point, une école. J’avais, quelque temps après, écrit et téléphoné au ministère de l'intérieur pour avoir les statistiques de ce qui s’était passé en 10 ans. A l’époque le ministère m'avait dit qu’il y avait eu 12 référendums de lancés dont 8 de refusés. Mais c’était toutes des petites communes qui faisaient au plus 1000 habitants peut être. Voyant ce grand succès de ce truc génial, Pasqua, en 2004 a dit que ce serait sur toutes les affaires concernant la commune et ils ont remis les mêmes modalités. Alors là j’ai demandé une nouvelle fois au ministère s’il y en avait eu depuis 2004, et ils m’ont dit “Oh bah là, on n’a pas de statistiques.” Il y a dû sûrement ne pas en avoir ou très peu, avec surement des refusés. 

 

Chloé : Pour vous il faudrait allier démocratie représentative avec une démocratie directe ?

 

YB : Évidemment. Evidemment la démocratie directe, c’est un truc complètement utopiste et farfelu. Les gens ne veulent pas participer, alors s’il faut en plus qu’ils participent dans leur commune, dans leur département, dans leur région, ils cumuleraient les mandats ce qui est interdit. C’est ridicule. Nous ce qu’on demande c'est une petite place qui soit faite à la démocratie directe dans un système représentatif. Alors, c’est en dehors du cas de l'article 3 puisqu’on ne s’occupe que de l’article 3 de la constitution, mais il faudrait évidemment modifier le mode de scrutin présidentiel, législatif, pour avoir - on peut être d’accord ou pas - une majorité nette qui se dégage mais que l'opposition, quand elle fait 1 million de moins comme le FN aux législatives que les autres - il y a admettons 7 millions et 8 millions, en gros, celui qui avait 8 millions a 308 députés et celui qui a fait 7 millions il en a 7. Je veux dire faut arrêter ce genre de conneries. Mais pour moi il faut des majorités pour que les gens puissent gouverner. Mais sous contrôle continu des citoyens. 

 

Chloé : Et concernant la démocratie, toujours, connaissez vous la proposition de Terra Nova sur le référendum délibératif ? 

 

YB : Ah oui alors, ça ce sont des beaux salopards aussi ceux là. Ce sont les champions du monde. Ils ont des modalités…, vous savez qu'actuellement le référendum à l’initiative du maire s’impose au maire, le résultat s’impose au maire à la condition qu’il y ait eu 50% de participation. Et ça vous semble quoi anodin, ou à peu près normal ? 

 

Ch : Je pense qu’il faut qu’au moins que plus de la moitié participent pour que ce soit représentatif sinon ce n’est pas démocratique. 

 

YB : Voila, alors il y a 76% des gens qui ont répondu comme toi dans un sondage, il faudra que je le retrouve quelque part, c’est assez récent et google vous le trouvera si vous voulez . Et donc il y a 76% des gens qui ont répondu oui à “est ce que vous êtes pour un seuil de participation”, sinon c’est pas démocratique et ça semble en effet assez anodin puisque les français interrogés à  (nom d’une ville) qui ne connaissent rien, ça leur semble oui, ils disent oui. Or si on analyse, ça veut dire que les représentants, l’assemblée nationale par exemple qui vote les lois pendant 5 ans sans aucune opposition parlementaire possible, et bien ils ont été élus et ils ont fait en moyenne 22,53% des inscrits. 

Donc nous ce qu’on propose, parce que je vous l’ai dit tout à l’heure, on veut faire des modalités qui ne soient pas refusables. Ce que l’on veut, c’est que pour abroger une loi ou en proposer une nouvelle, il faut avoir un pourcentage des inscrits supérieur à celui obtenu par la majorité en place. Donc là on est absolument incritiquable. Ca veut dire qu’un maire qui aura été élu avec 26%, à Toulouse je crois que c’est ce qu’il avait fait euh, ça varie beaucoup hein entre 20 et 50 %, donc ça a l’avantage ce qu’on propose de coller à la réalité du terrain. Il y a eu un maire FN qui avait été élu la fois d’avant avec 17,5 des inscrits et qui a refusé le référendum à 20% donc nous on demande à avoir plus de voix que la majorité en place. Et donc ça, ça me semble démocratique. 

 

C : Et dans le rapport de Terra Nova, il y avait un aspect sur l’assemblée délibérative. 

 

YB : Oui oui mais justement, j’ai disgressé je ne sais pas pourquoi mais c’est une habitude. Terra nova, si vous regardez bien, faut bien regarder hein, ce qu’ils proposent comme RIC pour adopter une loi nouvelle, il faut qu’il y ait 50% de participation. Donc là, c’est carrément... 

 

C : ouais c’est impossible. 

 

YB :  Ce n’est pas impossible, il faut savoir quand même, et c’est pour ça que nous à l’article 3 on ne propose pas de modalités, qu’ils peuvent nous mettre ce qu’ils veulent du moment que c’est des initiatives citoyennes et qu’on peut modifier, en Italie le dernier référendum abrogatif qu’il y a eu, il y a eu 54% de oui à l'abrogation et 3% de non. S’’il y avait eu 48% et avec les 3% ça faisait passer le truc. En restant chez eux le 48 ça ne passait pas. Mais donc ça ça prouve, les sujets c’était des lois un peu sur l’écologie, je vous les trouverai, qui étaient abrogé, je ne sais plus exactement. Ces 4 lois étaient importantes mais il y a quand même 54% des inscrits, sur 50 millions quand même là bas donc il y a plus 25 millions de gens qui se sont déplacés pour voter “oui” à l’abrogation. Donc s’ils nous mettent des modalités à la con dans le 1e RIC qu’ils feront, on n’aura aucun mal à dire “ce sont des salopards, des ennemis du peuple, il faut changer ces modalités”. On n’aura aucun problème à avoir un seuil à 20% ou peu importe quoi.

Alors Terra Nova, parce qu’il faut en finir avec Terra Nova, ils disent que pour faire une proposition nouvelle il faut qu’il y ait 50% de participation, donc 50% de oui, puisque ceux qui sont contre ils ne vont pas participer. Donc ça veut dire les députés qui ont été élus avec 43% de participation et qui ont fait 22, eux, ils font les lois qui veulent pendant 5 ans, mais avec les modalités de Terra Nova, si on veut en proposer une nouvelle il faut 50% de participation, donc on n’y arrivera pas. Mais il y a pire encore ! Ils se sont mis à neuf Loïc Blondiaux, un ennemi du peuple redoutable. Il dit que pour abroger une loi il faut qu’il y ait 50% de oui à l’abrogation. Comment on peut dire des trucs comme ça enfin ? Des gens élus avec 22% des inscrits, 40% d'abstention, pour abroger une loi il faut ...de oui. Voilà Terra Nova. 

 

Chloé : Et on pensait aussi à leur proposition d'assemblée délibérative avec tirage sort...

 

YB : Là je ne sais pas ce qu’ils disent, je suis “pour” le tirage au sort parce que c’est représentatif, à la différence des élections où le FN a 8 députés pour 7 millions de voix et les autres, avec 8 millions, en ont 308. Donc le tirage au sort ça donne une représentation exacte de la population que vous tirez au sort et donc on ne peut être que “pour”. Mais il faut que ce soit un tirage au sort intégral hein. Je ne sais pas ce qu’ils proposent. Moi, à titre personnel, si on veut refaire la constitution, ce que je propose c’est qu’on tire au sort 1500 personnes - ca fait beaucoup sur toute la France - les gens ils participent ou participent pas, donc on peut penser qu’il va en rester 1000 mais ils pourront participer. Donc ça veut dire que quand il y aura un article de la constitution qui aura été modifié, qu’on demandera aux 1500 de se prononcer sur un article. Ils voteront ou ne voteront pas, ils auront suivi ou pas suivi. Mais si vous en avez 1500 il en restera au moins 1000 qui participeront un peu au vote, si c'est un vote sur la constitution sachant que c’est important et tout, les gens font un petit effort pour la présidentielle ils se déplacent quand même. Il y avait au moins 70% de participation. Donc si c’est une constituante tirée au sort comme ça, qui par des forums, des réunions comme le truc de la convention citoyenne là, se réunissent un peu physiquement une fois par mois. Je suis pour le tirage au sort, un nombre important et sans qu'il y ait de remplaçant et ceux qui ne participent pas ils font partis des abstentionnistes aux élections. 

 

Chloé : Là vous parlez bien de la convention citoyenne sur le climat c’est ça ? 

 

YB : Oui voilà

 

C : Qu’en pensez vous de ça ? Est ce que ce ne serait pas un RIC détourné, comment dire, parce qu’ils vont faire des propositions et Macron a dit, je crois, qu’il les ferait passer au référendum. 

 

YB : Oui alors Macron a dit qu’il les ferait passer au référendum, on verra. Maintenant ça va tomber à l’eau tout ca. Avec l'histoire d'être confiné au minimum 45 jours ou 90 jours sûrement, c’est ce qu’on dit, c’est que j’entends toute la journée sur LCI. On en a pour un bon moment. Malheureusement ils n’ont pas pu finir leur truc, je ne sais pas ou ça en est, mais ils étaient pas loin de la fin quand même. Donc ils doivent pouvoir normalement continuer à discuter comme la on le fait par skype, et doivent avancer sûrement sur leur truc, faire des propositions de loi. Il était prévu qu’il y ait des techniciens, des juristes pour mettre sous forme juridique leur proposition et donc ils vont quand même sûrement les sortir. Ce n’est pas prêt de venir dans l’actualité, mais sinon c’était pas mal.
Dans les modalités du RIC national que je propose pour RIC france, il est prévu l’intervention. Il est prévu, ça se fait dans l’Oregon - je ne sais pas exactement comment ça se passe pour l’oregon - il est prévu nous dans nos modalités que quand les citoyens auront sélectionné en ligne les 6 propositions (on propose 6 propositions maximum), il y a un tirage au sort de 25 personnes qui étudieront les modalités, qui proposeront les arguments pour et les arguments contre, avant que les gens votent quoi… Les gens auront 3 mois, je crois, pour réfléchir sur les propositions. Et il y aura l’intervention de 25 gars tirés au sort. C’est pas mal… ça facilite la tâche aux gens.  Ca leur évite de dire… Quand on leur dit “Est ce que vous êtes pour qu’il y ait 50% de participation”, de dire “oui”.. Là ils sauront (rire) qu’il faut absolument dire non parce que c’est le scandale du siècle ça. Et c’est ce que propose Terra Nova. 

 

Cédric : Est ce que t’as une question Chloé ? 

 

Chloé : Sur le nombre de propositions maximales, vous êtes l’un des seuls à vouloir limiter le nombre de propositions et je voulais savoir pourquoi … 

 

YB : Dans les propositions, les initiatives disons, on prévoit que pour lancer une initiative, il faut que sur un bureau de vote, donc au moins 700 personnes, informées contradictoirement par tous les candidats députés qui ont fait plus de 1%, y en a entre 7 et 9 dans chaque circonscription, ces gens là disent aux gens s’il faut voter ou pas pour l’initiative, et il faut obtenir le score des députés. Donc 22... un peu plus 25% des inscrits. Donc c’est un premier filtre. Tout citoyen qui a une proposition, il commence par devoir obtenir le soutien de 25% des gens, informés contradictoirement. Si on avait ce système, des trucs comme ça, y en aurait 50 ou 100... je sais pas. Y a que des conneries dans les lois, c'est simple, il suffit d’en prendre une, on se demande comme ça a pu être écrit parfois. Donc.. ce stade là, par exemple, l’histoire des casiers judiciaires vierges pour les élus, y a 380 ou je sais plus combien de professions qui doivent avoir un casier judiciaire vierge, et pour les élus non. Bon... si vous faites un référendum là dessus, vous aurez beau informer contradictoirement, ça va faire 70 ou 80% des gens. Des trucs comme ça on peut en imaginer dans tous les domaines spécialisés. Y a des conneries, et y en aurait beaucoup. C’est pour ça que dans les propositions que je fais, dès qu’une proposition a obtenu au moins 25% des inscrits, elle est mise sur le site du ministère de l’intérieur et les 24 premières qui ont été sélectionnées sont mises en ligne. Et après, la 25ème qui arrive, et qui a dépassé aussi les 25%, elle n’est mise sur le site que si elle est meilleure que la dernière. Elle sera pas jetée à la poubelle, elle sera archivée disons, c’est pour que les gens disent, si y en a 24 en lignes (on a 6 mois et demi pour déposer les propositions), si y en a 24 c’est déjà pas mal. Alors y a aussi une chose, un des gros avantages avec les modalités que je propose, c’est s’il y a une loi par exemple l’histoire du casier judiciaire vierge. Si ça fait 65% dans un bureau de vote. Quand la proposition a fait son score, elle est soumise au conseil constitutionnel. On la soumet pas avant, mais après. Donc le gars faut qu’il fasse attention de pas avoir fait de connerie, pour pas avoir fait le boulot pour rien. Le conseil constitutionnel dit “bon ben c’est d’accord, cette loi est conforme”. A partir du moment où elle a été validée par le conseil constitutionnel, le gouvernement peut adopter cette proposition. Et on voit mal le gouvernement aller à un référendum national, souvent le jouir d’une élection générale. (coupure). [...] Qu’ils ont refusé d’adopter eux mêmes, et qui va faire 65% des voix. Je pense qu’avec mes propositions, y a énormément de propositions qui vont être adoptées avant d’aller à la présélection. Mais de toute façon, le truc de l’Oregon là.. le comité national tiré au sort.. Je sais plus comment j’ai appelé ça. Bref, il donne son avis, les gens, quand ils ont choisi 6 propositions, le comité tiré au sort s’occupe de traiter les 6. Mais, le gouvernement, tant qu’il n’y a pas eu le vote, il peut adopter toutes les propositions qui ont le label du conseil constitutionnel. Et je pense que y a énormément de lois qui seront directement mises en place car le gouvernement ne peut pas se permettre d’aller à des élections municipales en ayant refusé par exemple le casier judiciaire vierge pour les élus. Il y aura à mon avis, logiquement, beaucoup de référendums qui passeront, car le gouvernement aura peur, le jour d’une élection générale, de se retrouver avec des référendums qui sont absolument sûrs de passer avec des scores fleuves, et que eux auront refusé. 

 

Cédric : On avait quelques questions justement sur les modalités car, même si avec Article 3 vous n’en proposez pas forcément, est ce que vous avez quand même un point de vue sur par exemple la question du financement des campagnes pour un RIC ?

 

Yvan Bachaud : Y a pas de question de financement, pour lancer un référendum sur un bureau de vote, comme à Communé (son village, mais je ne suis pas sûr de l’orthographe). Y avait 819 personnes sur le bureau de vote, 330 foyers. Donc il faut faire 330 photocopies, passer les mettre dans les boites au lettres, ça se fait en 7 ou 8h...

 

Cédric : Et au niveau national peut être, c’est plus compliqué non ?

 

Yvan Bachaud : Ben là je te parle au niveau national, si tu veux une initiative au niveau national, il faut quer dans un bureau de vote, il y ait au moins 25% des gens qui soutiennent ton initiative. Donc ça te coute rien, et c’est même pas tant de boulot, ça je l’ai fais plusieurs fois. 

 

Cédric : D’accord. Parce que Raùl Magni Berton nous disait que comme en cas de RIC, le Oui était la position un peu révolutionnaire et le Non la position conservatrice, le Non n’avait pas besoin d’être défendu. Et que le Oui au contraire avait besoin d’être défendu pour qu’il puisse exister. Il nous avait dit qu’en Suisse, 9% des référendums avaient OUI comme réponse, ce qui montrait que le Non n’avait pas besoin d’être défendu mais qu’il fallait quand même une campagne pour le Oui. 

 

Yvan Bachaud : Oui mais ça prouve surtout que les modalités que Raùl propose avec un seuil bas, nous on a exclu ce truc là car on veut des modalités inattaquables. J’avais intercepté Baroin qui était avec Chirac, j’avais été l’interpeller dans une réunion publique sur le RIC. Il m’avait dit “ah oui.. mais le RIC, si on va voter tout les dimanche comme en Suisse.. Et puis y'aura pas de participation etc.”. A ce moment là, oui, si on fait des référendums, par exemple en Suisse, sur 150 ans y a eu 90% des initiatives qui ont été rejetées. Donc on a pas besoin de faire des référendums, dépenser de l’argent pour des initiatives vouées à l’échec. Les gens vont s’engueuler entre amis et familles pour des discussions vouées à l’échec. C’est un argument recevable. Tandis qu’avec ce que je propose, il n’y aura référendum que s’il est sûr de gagner, tellement sûr de gagner qu’il n’y aura pas référendum. Puisque le gouvernement ne voudra pas faire, par exemple un référendum sur le casier judiciaire vierge, ce qui voudrait dire qu’il le refusait. Ce qui serait ensuite reproché et sanctionné sur des élections ultérieures. Nous c'qu'on veut, c’est qu’il n’y ait aucune critique avouable. 

 

Chloé : Vous pensez pas que cette division sur les modalités entre personnes favorables au RIC empêche justement le RIC de s’imposer ? 

 

Yvan Bachaud : Ben justement, c’est pour ça qu’Article 3 ne propose aucune modalité, les seules choses… Y a 3 impératifs : en toute matière ouverte aux élus, que ça ne peut être modifié que par voie référendaire (article 3) et que si dans les 6 mois c’est pas opérationnel, il y a dissolution de l’assemblée… Ce qui va les stimuler, y a aucun doute là dessus. Mais s’il y a pas ces 3 choses, eh bien nous, on lance une manifestation avec le CLIC ou bien Article 3, si on a pas une assurance sur ces 3 choses, on continuera les manifestations jusqu’à ce que ces 3 choses soient dans le texte qui sera accepté. Les modalités on s’en fout, si y a eu 53% d’italiens qui ont pu se déplacer pour abroger 4 lois écologistes, les modalités à la con qu’ils auront pu faire, on aura pas de mal à réunir les 20/25%, enfin les clauses qu’ils auront mis, il n’y aura aucun mal à les obtenir. Donc, il faut pas se diviser là dessus. J’ai un copain que vous connaissez, Etienne Chouard, lui il propose 100 000 signatures… Bon ben là ça veut dire des référendums, il va y en avoir sans arrêt. Il y a des dizaines de lois qui sont à refaire, dans toutes les lois y a des trucs qui vont pas quoi. 

 

Cédric : J’avais une question à ce propos. Vous n’avez pas peur que si c’est ouvert en toute matière, il y a des gens qui soient contre en disant “oui mais on va pouvoir voter sur la peine de mort, les questions budgétaires ou fiscales, donc ce sera trop compliqué” ? 

 

Yvan Bachaud : Les élus ils exercent la souveraineté nationale par ses représentants et par la voie des référendums. En 60 ans il y en a eu 9, le dernier remonte à 2005, et le résultat, le congrès est revenu dessus. Donc ne parlons pas du référendum comme outil d’expression de la souveraineté nationale. Les représentants, une fois élus ils font ce qu’ils veulent. Je ne vois pas comment on pourrait avoir moins de pouvoir que ceux à qui on a délégué le pouvoir. Donc.. compliqué ou pas … Tout est compliqué mais en définitive ça se termine toujours par oui ou non. Le traité constitutionnel, y avait des centaines de pages, mais il fallait au bout du compte dire oui ou non. Et puis les décisions qui sont prises dans un référendum, souvent ce ne sont pas des raisons techniques, ce sont des raisons politiques, de “on est de droite ou on est de gauche”. Dans les idées, le gars il vote pour ses idées, il va pas regarder les détails. Et puis y aura des juristes. Il est bien évident que si on avait le RIC, celui qui avait une initiative, et c’est d’ailleurs dans les modalités que je propose, on la met sur un site. Ceux qui ont des propositions qui se rapprochent, essayer de faire qu’une seule proposition. Une fois que c’est validé par les 25%, ça va devant le conseil constitutionnel, et admettons que ce soit validé et que y en ai plusieurs validées sur le même sujet, j’ai prévu qu’il y ait encore possibilité de fusion de propositions avant de les mettre en ligne quoi… Donc euh… Toute matière ouverte aux élus, c’est inattaquable ça. Comment ils peuvent justifier qu’ils aient plus de pouvoir que le peuple à qui appartient la souveraineté nationale ? 

 

Marius : On a une question aussi sur le vote justifié et le vote blanc : quelle place ça pourrait avoir sur le dispositif du RIC ?

 

YB :  J’ai toujours été pour que le vote blanc soit comptabilisé à part des nuls. Mais, depuis des années, il y a le parti du vote blanc qui fait son cheval de bataille avec ça, depuis 25 ou 30 ans, je lui ai plusieurs fois posé la question (sur Facebook, par mail…) de savoir ce qu’ils veulent comme conséquences du vote blanc : à quoi ça sert le vote blanc ? Certains disent s’il fait 50% on annule l’élection, ce qui veut dire que les dernières législatives avec 43% auraient été annulées ? Quel est l’intérêt ?  Ils se seraient représentés ? Ils auraient mis les suppléants ? Le vote blanc, il faut qu’il soit comptabilisé à part, c’est sur mais ça ne peut avoir aucune conséquence. En admettant ceux qui disent 50% n’en parlons pas, même s’il arrive en tête, ce qui serait possible, mettons des législatives, quel est l’intérêt ? Si c’est pour dire, les gars vont plus pouvoir se représenter ? Mais ils s’en foutent … Il mettra sa femme ! Il y avait Mégret du FN qui avait été invalidé comme maire, il a fait élire sa femme et il y en a d’autres à droite qui avaient fait ça aussi (le maire de Deauville il avait fait ça aussi). Donc le vote blanc n’a aucun intérêt, ça fait perdre un temps : les gars au lieu d’avoir théoriquement le meilleur ou les 2 meilleurs qui ont été sélectionné, quelquefois par les militants, seront exclus. Les militants en remettront d’autres mais les gars qui sont des candidats indépendants, avec des suppléants ne pourront plus se représenter donc défendre leurs idées. Il n’y a aucun intérêt, personne n’en a donné un en tout cas, que le vote blanc ait un effet sur le scrutin. 

 

Chloé : Qu’est ce que vous pensez du vote justifié ? 

 

Yvan Bachaud : Ca veut dire quoi ça ?

Chloé / Marius / Cédric : Lors d’un vote par référendums, les citoyens devraient justifier leurs choix, ce qui permettrait d’avoir leurs réflexions sur le sujet et de comprendre à posteriori pourquoi on avait voté dans ce sens à telle époque et pourquoi ça ne correspond plus forcément à l’évolution de la société. C’est une proposition de Pierre Etienne Vandamme. Il y aurait une assemblée tirée au sort, il y aurait par exemple les deux positions : Oui / Non avec à chaque fois “Oui car”… et l’assemblée devrait établir une certaine liste de réponse et “Non car” et pareil avec des listes de justifications. Donc l’assemblée serait chargée d’établir une liste de réponses avec “Oui car” et “Non car” ce qui permettrait de comprendre pourquoi les gens disent oui ou non et ce qui amènerait les gens à vraiment réfléchir et à pas juste voter au hasard...

 

YB : Les gens en principe ne votent pas au hasard, mais s’ils ne connaissent pas le sujet, ils votent parce qu’ils prennent la position des gens à qui ils font confiance, le plus souvent à tort mais c’est quand même ce qu’il se passe : c’est un vote politique. Mais sinon pourquoi pas, si on explique pourquoi, du moment que ça reste anonyme et que le bulletin ne soit pas nul si les gens veulent mettre un roman sur leurs bulletins et que ce soit dépouillé et qu’on en retire quelque chose, ça peut être pas mal. Justement les modalités que l’on propose de véto suspensif provisoire, plus que le référendum, ça a l’avantage d’être carrément un droit d’amendement puisque l’Assemblée nationale adopte une loi (pas définitivement puisqu’elle doit aller au Sénat…), les gens disent moi j’en sais assez pour être contre cette loi, ils lancent une procédure sur un bureau de vote. En admettant que sur les 18 régions il y ait au moins un bureau de vote qui mette un véto, c’est à ce moment-là, au plan national 10 000 personnes tirées au sort qui doivent confirmer le véto et si le véto est confirmé pour une ou deux raisons, quand ça va après au Sénat, celui-ci a intérêt après à modifier le truc où il y a eu un véto donc même s’il fait ce qu’il veut il va surement tenir compte du véto des citoyens. S’il ne le fait pas, alors on peut mettre de nouveau un véto, sans besoin de repasser par la case bureau de vote dans les 18 régions, ça passera directement au plan national donc il y aura 10 000 personnes qui auront 8 jours pour s’informer et 8 jours pour soutenir en ligne et s’il y a plus de voies que le gouvernement n’en a eu, il y aura de nouveau un véto sur la loi des sénateurs. Quand elle arrivera à l’Assemblée, même chose. Donc avec ce système, les citoyens auraient carrément un droit d’amendement de fait. C’est pareil votre truc de faire justifier son vote c’est pas mal. On verrait comme ça aussi, qu’il y a souvent des gens pour des raisons, qui sont contradictoires, par exemple lorsqu’il y a eu le non au traité constitutionnel, il y avait une partie des gens qui étaient de droite, une partie des gens qui étaient de gauche qui ont votés contre le traité pour des raisons qui étaient parfois un peu contradictoires. 

 

Marius : Pensez-vous que l’instauration d’un vote obligatoire, comme c’est le cas en Australie, serait pertinent au niveau du RIC ? 

 

YB : Je crois que t’as plus près : t’as la Belgique déjà. Moi je suis contre, je suis 100% contre le vote obligatoire. Allez obliger des gens, moi ça fait 50 ans que je vois des gars qui sont élus, la fois d’après ils sont foutus à la porte, la fois d’après on les remet, alors qu’ils ont déjà été foutus à la porte, et ça fait 40 ans que je vois ça se faire. Donc allez obliger les gens à voter pour des trucs comme ça, c’est pas très raisonnable. 

 

Cédric : Connaissez vous le vote quadratique proposé par Raul Magni Berton ?

 

Bachaud : Ah non mais c’est une espèce de vote où on a plusieurs propositions avec des assez bien / bien ?...

 

Chloé : On aurait un nombre de voies par citoyens à vie, par exemple 50 voies chacun que l’on pourrait utiliser plusieurs fois par référendums : par exemple si une question m’intéresse particulièrement je vais pouvoir voter ¾ voies sur cette question et ne pas participer à d’autres questions qui m‘intéressent moins donc ça compenserait et ça donnerait plus de poids au vote de certains pour des questions qui les intéresse vraiment. Mais ce serait proportionnel : c’est-à-dire que 1 voie = 1 voie mais 3 voies = 1,5 voie / 6 voies = 3 voies…

 

YB : ça me semble un peu compliqué et contestable ça. Quel est l‘intérêt ? En général quand ça sera comme ça il y aura beaucoup d’abstentions, c’est ce qui se passe en Suisse : les gens en Suisse vont voter quand ça les intéresse sinon ils estiment que les gens sont raisonnables et font confiance à ceux qui se sont intéressés à la question et prennent le risque qu’éventuellement ça ne passe pas. Mais en Suisse ça passe quel que soit la participation c’est 50% + 1. Ce truc de Raul je pense que c’est un peu compliqué et c’est pas un truc qui doit être mis en avant pour avoir l’unanimité, c’est un truc qui peut être débattu pourquoi pas. Mais ça me semble quand même un peu compliqué et même contestable : je pense qu’il y aurait des arguments contre. Mais il pourra le proposer dès qu’on aura le RIC ! 

Cédric : On avait une question sur votre méthode de calcul de la taille de l’échantillon ? 

 

YB : La taille de l’échantillon, j’avais interrogé l’INSEE, il y a peut-être 30 ans, qui m’avait donné une formule que j’ai toujours, pour calculer la fourchette de vraisemblance, c’est une formule mathématique, pour choisir l’échantillon c’est le tiers du Ln je sais pas trop, c’est un truc qui est proportionnel, qui est progressif… C’est un truc mathématique, je pense que c’est un copain qui était ingénieur qui m’avait fait le truc. Pourquoi ça ne vous semble pas aller cette histoire ? 

 

Cédric : Parce que vous nous aviez envoyé l’Excel avec la formule et on se demandait comment vous l’aviez trouvé. Aussi on se demandait ce que vous pensiez de la proposition de Raul Magni Bertin avec un seuil de 700 000 qui permettait d’être un tout petit peu en dessous des 2%...

 

YB : Raul je lui ai dit, en Suisse c’est à 2%, il y a 92% des trucs qui sont rejetés, on a pas d’argent en France a dépenser pour faire des référendums voués à l’échec et puis ça divise les français, on va s’engueuler, se fâcher avec ses voisins pour un sujet alors qu’il n’a aucune chance de passer et c’est quand même bien embêtant. 

 

Cédric : Du coup mieux vaut un seuil plus haut pour vous ? 

 

YB : De tout façon, il ne faut pas se leurrer, le seuil que nous mettrons si on arrive à arracher ce RIC, je pense qu’on va y arriver, le seuil on aura jamais moins de 10% des inscrits. Puisque pour le référendum à l’initiative parlementaire, là qu’ils ont fait dans l’article 11, le seuil est à 10% et c’est un référendum qui ne sert à rien. Vous avez bien compris, et vous le saviez probablement, ce référendum, d’abord est d’initiative exclusivement parlementaire contrairement à ce que tout le monde dit partagé ; et une fois qu’on a ces 10% on n’a pas le référendum, on a les 20% de parlementaires, soutenus ensuite par les 10%... Si c’était un référendum d’initiative partagée, on aurait le référendum. Or le référendum, une fois qu’il y a ça, la proposition de loi va en référendum si dans les 6 mois ça n’a pas été examiné en première lecture par les 2 assemblées. Ce qui veut dire, a contrario, que si les assemblées examinent le texte de loi des parlementaires en première lecture, il n’y a plus de référendum. Pour un référendum qui n’est même pas un référendum : c’est une procédure législative d’initiative parlementaire, qui peut déboucher sur un référendum mais ce n’est pas un référendum puisqu’il est évacué par un simple examen par les 2 chambres. Donc pour ce truc-là, le seuil est à 10% et il a fallu 6 ans et demi pour que ça passe de la Constitution au Journal officiel. Donc s’ils nous votent un RIC sou la pression populaire il faudra bien faire attention qu’il y ait dissolution si ce n’est pas fait dans les 6 mois et on n’aura pas de seuil inférieur à 10%, ça c’est sûr. Raul peut proposer ce qu’il veut, les élus ne nous feront jamais moins de 10 et on s’en fou complètement. Parce qu’ils peuvent le mettre à 10, ils peuvent le mettre à 20, du moment qu’il y a 54% des italiens qui ont été voter oui à l’abrogation de 4 lois on trouvera bien 20% ou 25% ce qu’ils veulent. Et puis ils ne peuvent pas faire ça puisque s’ils font des modalités manifestement hostiles aux français, ils seront sanctionnés à la prochaine élection et de toute façon ce sera changé donc ils sont cons et comme ce qui les intéresse c’est d’être élus, ils ne s’amuseront pas à faire des propositions exorbitantes mais ils s’en tiendront quand même à 10%. 

Chloé : De manière générale, pouvez-vous nous donner votre avis sur le RIC ? Et aussi à la lumière de vos recherches sur les pétitions ?

 

YAMD : Mon avis sur le RIC, comme ça, c’est un peu abrupt… En fait il s’agit d’une assez vieille revendication qui a pris des formes diverses, notamment depuis la révolution française et qui finalement se situe exactement à l’endroit où se rencontrent démocratie et représentation, et qui cherche en quelque sorte – mais ça c’est une question rousseauiste pour ainsi dire – une perfection de la démocratie, dans une démocratie la plus absolue possible. De ce point de vue, en réalité c’est une question d’idéal qui se pose à travers le RIC / la demande du RIC… avec toujours cette question qui figure déjà chez Rousseau dans le Contrat Social, de savoir si la représentation ne « viole » pas, au fond, le principe de démocratie, en créant une « suspension » de cette démocratie entre chaque élection ; au fond, le RIC chercher à passer outre cette difficulté, soulevée par Rousseau, qui est celle de l’imperfection et de la discontinuité de la représentation politique dans un cadre qui se veut démocratique : ça, c’est me semble-t-il la position principale du pb, qui dans les temps actuels, accuse ce qu’on appelle la non-correspondance entre ce que font les représentants et ce que veulent les représentés.Lorsque l’opinion publique est opposée ou insatisfaite de ce que fait la représentation nationale, la question d’un RIC ou de la démocratie directe se repose d’une façon renouvelée quasi-systématiquement 

Après, il y a différentes modalités de mise en œuvre de ce mécontentement ou de cette insatisfaction, et différents moyens de raccorder la représentation avec la nation, le RIC n’étant finalement que la dernière version de cette ambition. Pour ce qui me concerne, à la lumière de mes recherches sur la question des pétitions qui est proche et qui touche assez vite celle des référendums, le RIC ne me séduit absolument pas parce qu’il revêt un caractère plébiscitaire qui me paraît peu adapté au gouvernement d’un nation et relativement dangereux.

Chloé : Avez-vous connaissance des différents types de RIC qui sont proposés ?

YAMD : Non je n’ai pas une connaissance actuelle, vous allez me les rappeler… 

Chloé : Un RIC proposé par Yvan Bachaud et suivi par de nombreuses associations : le RIC CARL où en toute matière, cad Constitutif, Abrogatoire, Révocatoire et Législatif / et celui proposé par Terra Nova : RIC délibératif avec un quorum de participation de 50% et une phase de délibération où les citoyens sont tirés au sort et débattent entre eux de la question posée pour donner leur avis pour que les citoyens se positionnent.

Cédric : Une fois que le seuil est atteint, une phase de débat et une assemblée délibérative tirée au sort.

YAMD : OK et avec quelle méthode de tirage au sort ? 

Chloé : on n’a pas les détails la dessus

YAMD : C’est embêtant car tout est dans la méthode de tirage au sort : le rapport avec le tirage au sort est assez compliqué parce que on a attaché longtemps cette méthode à une forme de démocratie parce c’était utilisé dans l’Athènes démocratique. Le pb étant que lorsque l’on tire au sort des magistrats, on désigne des magistrats qui sont purement exécutants, cad en fait qu’ils n’ont aucune autonomie de décision propre : ils doivent exécuter purement et simplement les ordres qui découlent des décisions de l’Ecclésia. Ainsi, d’une certaine manière, cela n’a effectivement pas d’importance qu’ils soient tirés au sort ou qu’ils soient élus. Plus exactement, en étant tirés au sort, leur légitimité est simplement celle d’exécutants. S’ils sont élus, ils ont la légitimité démocratique, qui est évidemment plus forte, et qui leur permet de prendre une part plus importante dans la mise en œuvre de la décision qu’ils exécutent. Le tirage au sort, lorsque vous considérez qu’il est démocratique, c’est en faisant une sorte de pirouette qui consiste à passer d’une situation où on avait un tirage au sort pour des exécutants à un tirage au sort qui va produire des délibérants ou des décisionnaires ; ce n’est pas du tout la même chose…. Donc lorsqu’on va constituer une assemblée délibérative pour définir une arène de la discussion ou un périmètre de la discussion préalable à un référendum, les conditions de tirage au sort sont extrêmement problématiques tout de suite. Vous rajouter un filtre - qui ne peut pas être un filtre pur-  entre la décision démocratique et le scrutin du référendum. Donc cela ne va pas sans poser qqes difficultés et on ne peut pas laisser cette question-là sans réponse précise dans la version de Terra Nova… Mais, à vrai dire, d’une manière plus générale et quelles que soient les modalités techniques du RIC la question est de savoir si on veut maintenir ou non, et dans quelle mesure, le principe représentatif dans les démocraties que nous pratiquons aujourd’hui. Lorsque vous êtes en système représentatif, vous faites peser sur la représentation une responsabilité spécifique, qui est à la fois morale et politique. Lorsqu’en revanche, dans ce système représentatif, vous recourez à un référendum, cad à une consultation directe de l’intégralité du corps électoral démocratique, eh bien, vous contournez cette responsabilité et cette fonction.  Le résultat est que vous fragilisez considérablement la légitimité de la représentation nationale, quelle que soit sa forme (1 ou 2 assemblées) et cette déresponsabilisation est double tranchant : d’une part, le peuple peut considérer qu’il passe outre la représentation nationale ; et d’autre part, la représentation nationale peut elle-même se défaire d’une responsabilité pour la faire peser sur le peuple. Nous l’avons vu dans un certains nb de cas récents, par exemple au moment de Maastricht et au moment du passage au quinquennat. Alors par ailleurs, nous avons un certain nb de cas, par exemple en Suisse, dans lesquels il existe des dispositifs qui ressemblent à celui du RIC ou des RIC, tels qu’on les propose aujourd’hui en France. Je pense qu’il y a une différence fondamentale avec le système fédéral Suisse qui est que dans ce système c’est un élément de la culture démocratique Suisse qui les citoyens se prononcent directement sur certaines lois ou éventuellement des règlements. C’est une particularité qui est qu’il s’est crée au fil du temps une culture de la consultation démocratique directe qui est d’une très grande régularité en Suisse : il y a là quelque chose qui manque profondément au contexte politique et culturel français. 

Cédric : je voudrais revenir sur ce que vous avez dit sur “la dimension plébiscitaire du RIC” : cela me semble paradoxal car j’avais vu que c’était surtout avec Napoleon 1er puis Napoleon 3 qui fait que les républiques s’en étaient méfiés ensuite… donc j’avais l’impression que le RIC c’était moins cette dimension plébiscitaire puisque ça va être un lien spécial entre le chef de la nation et le peuple ?

YAMD : C’est parce qu’on ne s’entend pas sur le mot « plébiscitaire » : le mot plébiscitaire ne désigne pas le processus qui a lieu entre la proposition d’un Napoléon 1er ou Napoléon 3 à l’électorat français,  il désigne plus ou moins la colère du peuple, cad en fait une décision qui est réfléchie sur des émotions. C’est tout le pb de la question plébiscitaire. En réalité, Napoléon 1er et Napoléon 3 usent habilement de la colère du peuple. Mais cela ne signifie pas que la dimension plébiscitaire se limite au rapport providentiel qui est établie entre le 1er ou le 2nd empereur et la pop française à un moment donné. On peut tout à fait avoir des « spasmes démocratiques » en quelque sorte, en dehors de la présence d’un homme providentiel. En gros, ce que le terme plébiscitaire désigne, c’est au fond, la démocratie contre la démocratie. Cad la démocratie contre les principes qui la gouvernent. La décision démocratique, qui résulte de la consultation qui a lieu, par ex les plébiscites napoléoniens ou bonapartiste finissent par annuler le raisonnement ou le résultat même de l’expression démocratique.  

Cédric : …Avec cette idée que le chef peut un peu faire ce qu’il veut parce qu’il a cette légitimité ...

YAMD : Parce qu’il a l’onction démocratique. Mais vous en avez des exemples plus récents : rappelez-vous (mais vous êtes trop jeunes pour ça ! … ) les conditions du débat sur le quinquennat en 2002 : on a globalement en faveur du passage du septennat au quinquennat, au nom d’un argument principal qui est que c’est plus moderne…  Ce qui est du délire pur et simple ! le principe du septennat c’est de ne correspondre à aucun autre mandat. Une durée en quelque sorte étrange et différente, par rapport aux élections sénatoriales et celles de la Chambre, ce qui contraint les différents organes de la constitution à prendre en compte le fait qu’ils dureront plus ou moins longtemps au-delà de la majorité qui leur est acquise à un moment donné. En d’autres termes, cela contraint à une forme de modération dans l’exercice des prérogatives qui vous sont dévolues et, lorsqu’il y a décalage entre la couleur politique de l’un des organes et celle des autres, cela oblige à négocier. C’est typiquement ce qu’ont proposé dans les années 80 et 90, les cohabitations qui ne sont plus possibles maintenant, sauf si le président dissout l’AN. Ce que nous avons fait en 2002, c’est profondément présidentialiser la 5eme république : écraser le système du gouvernement à peu près complètement, compte tenu de l’usage qu’ont eu les 3 présidents qui se sont succédé depuis 2002… une présidentialisation extrême, très loin de ce qui se fait aux Etats-Unis par exemple, car je vous rappelle qu’aux Etats-Unis, il y a des élections de mi-mandat, ce que nous n’avons pas.

Cédric : se rapproche-t-on aussi, avec le quinquennat, de décisions prises « sous l’émotion », comme vous l’avez dit, avec ce temps qui est en plus raccourci ? 

 

YAMD : Je ne suis pas sûr que ce soit une conséquence directe, mais c’est bien souvent qq chose qui résulte de la grande personnalisation du pouvoir, dont effectivement le quinquennat est un accélérateur, puisque évidemment, non seulement au moment de l’élection mais tout au long du quinquennat, la personnalisation est accrue par la fonction que prend le chef de l’état. Dans les conditions actuelles, c’est très spectaculaire depuis le début du mandat en cours d’EM : nous avons une majorité parlementaire qui est elle-même de type plébiscitaire, il ne faut pas de le cacher : nous sommes avec une majorité extrêmement large, de telle sorte qu’il n’y a aucune négociation à avoir, ni avec d’autres organes ni avec une opposition. Et de ce fait, nous avons je trouve un grand appauvrissement de l’argumentation dans le débat public pour faire accepter la décision. 

 

Chloé : Pouvez vous mettre ça en parallèle avec l’émergence du RIC comme principale revendication aujourd’hui ? 

YAMD : Ce que nous dit le contexte dans lequel la dernière revendication du RIC apparaît c’est à dire le mouvement des gilets jaunes, c’est que nous avons effectivement une forme de discontinuité politique, de non-correspondance ou de sentiment de non-représentation de la part d’une partie importante de la population qui est sociologiquement assez déterminée, et qui ne trouvant pas de débouché à l’expression de ses revendications, de ses demandes ou de ses besoins dans le système représentatif tel qu’il est devenu aujourd’hui, trouve d’autres moyens d’expression. D’abord les manifestations elles-mêmes avec des degrés de violence ont été spectaculaires dans le contexte présent et évidemment une demande par ailleurs d’expression directe dont le RIC est la partie la plus évidente.

Cédric : pour revenir sur le tirage au sort : la convention citoyenne pour le climat : qu’en pensez-vous ? y voyez-vous une tentative d’EM de compenser ce phénomène d’hyper-présidentialisation ?

YAMD : Il s’agit évidemment de créer un organe, une assemblée qui en qq sorte absorbe la contestation et qui ait vocation à légitimer ce qu’il aura décidé à la suite, sous prétexte de : « démocratie » puisque ce tirage au sort, construit sur des panels de « sondagiers » reconstitue une forme de nation ou corps électoral artificiel qui aurait la légitimité de représenter la nation… hors ce n’est pas cela qui se passe. Je veux dire par là que cette représentation statistique n’est pas une représentation politique. La seule représentation politique, c’est l’élection.

Chloé : à ce propos, que pensez-vous qu’il adviendrait du droit des minorités si le RIC était mis en place ? 

 

YAMD : C’est le deuxième pb, notamment lorsque vous avez évoqué la 1ere modalité (pas de Terra Nova) de M Bachaud : où le RIC est susceptible de toucher à tous les objets, yc les objets constitutionnels, voire constituants. Cela veut dire qu’il n’y a plus aucune garantie démocratique dans le système. Cela veut dire que toutes les dispositions, yc compris celles qui en-deçà de la constitution elle-même comme les principes des droits de l’homme, aucun domaine ne peut échapper à la réclamation populaire du référendum. Donc il n’y a plus au fond, ce qui assure une sécurité - et c’est la première fonction du droit d’assurer une sécurité politico-juridique- donc, plus aucune sécurité qui soit assurée dans le temps. Or précisément, la sécurité consiste à savoir, dans le temps, quelles sont les règles qui s’appliquent. En matière de droit c’est ça : chacun d’entre nous agit car il sait qu’il y a des règles de droit qui vont continuer à s’appliquer et qui permettent cette action ou permettre que cette action produise les effets que nous voulons. En d’autres termes, vous passez un contrat parce que vous savez qu’il existe une responsabilité contractuelle. Vous ne frappez pas votre voisin… car vous savez qu’il existe une responsabilité civile et une responsabilité pénale. Avec ce 1er système de RIC, aucun des systèmes de droit n’est placé à l’abri… l’une des caractéristiques historiques du référendum c’est que ce n’est pas celui qui répond qui pose la question. Or, le RIC consiste à faire poser la question par celui qui va y répondre : le peuple. Cad que nous retrouvons dans le RIC le défaut inverse du référendum : les deux ont un défaut constitutif en quelque sorte. Si on pose une question qui est complètement biaisée dans le cadre d’un référendum, je suis floué comme électeur… Mais si je peux définir la question que je pose, et s’il n’y a pas de limite à cette question, je suis dangereux … dangereux pour les minorités, pour mon voisin, pour etc…. et pour l’architecture générale du système juridique et au-delà, du système de valeurs dans lequel je vis, qui schématiquement est héritier de la déclaration des droits de 1789. 

Cédric : Et que pensez-vous de l’argument de Yvan Bachaud qui est de dire que toute façon les élus sont les représentants du peuple, donc qu’il n’y a pas de raison que les élus puissent changer les choses que le peuple ne puisse pas changer et aient plus de pouvoir que le peuple ? 

YAMD : Si c’est là le raisonnement, il faut passer à la démocratie directe, tout simplement. Cad d’une certaine manière, ce raisonnement fonctionne un peu comme celui de Sieyès – celui de l’électorat fonction- c’est à dire qu’il ne s’agirait que d’une mécanique. Or ce n’est pas seulement une mécanique, c’est aussi une culture politique et une répartition de responsabilités liées entre elles. Il y a une cascade de responsabilités : celle de l’électeur et la responsabilité de l’élu en tant que représentant, et ce n’est pas la même chose que de dire : finalement, puisqu’ils nous représentent, est-ce qu’il nous faut finalement une représentation ? … ça, c’est de la pure mécanique. C’est estimer que, finalement, on utilise des outils mais on pourrait très bien faire à la main.. 

 

Chloé : cela me fait penser à la réflexion de Dominique Rousseau qui s’est exprimé sur le RIC et explique que selon lui le référendum n’était pas la parole donnée au peuple mais juste un acte de votation, et que la démocratie participative, c’est la réunion du peuple en « agora » qui se réunit pour discuter et était plus favorable à une démocratie délibérative qu’à une démocratie directe ou telle que voulue au-travers le RIC

 

YAMD : Oui de ce point de vue, je suis d’accord : ce qui fait la démocratie, c’est la qualité de la discussion…. Et surtout, qu’il en existe une. C’est tout le pb de la distinction entre les projets de RIC plus ou moins fréquents, dans un espace culturel et politique comme la France, et la situation des cantons Suisses. En suisse, vous avez des citoyens qui d’une certaine manière ont acquis une forme d’expertise dans l’appréciation des sujets qui leur sont soumis et cela suppose qu’il y ait un débat et un système de réflexion, d’argumentation et de contre-argumentation dont, à mon sens, nous ne disposons pas en France aujourd’hui. 

 

Chloé : justement les arguments des défenseurs du RIC est de dire que cette connaissance et compétence politique vont être acquises par les citoyens automatiquement avec l’instauration d’un RIC. Poser la question, cela impliquerait que les citoyens s’informent sur la question et donc, augmente nécessaire leurs connaissances et leurs compétences politiques

 

YAMD : Théoriquement oui, mais théoriquement…. On a un certains nombre d’indices de cela : l’espérance qui est manifestée à travers cela ressemble bcp à ce que j’ai souvent lu à propos de l’histoire de la révolution française de la part des révolutionnaires, à savoir : le citoyen va acquérir les lumières et il va devenir un acteur et maître de son destin, participant au destin collectif. Moi je veux bien mais cette révolution se conclut précisément par un plébiscite : celui qui conduit Bonaparte au pouvoir, puis qui transforme Bonaparte en consul à vie, puis en empereur. Malgré le temps et la violence des enjeux qui se sont exprimés, on n’a pas réussi à constituer cette culture-là. Ensuite si on regarde l’évolution politique des démocraties représentatives européennes des 15 dernières années, elles se sont « popularisées » au sens mauvais du terme, c’est à dire qu’elles ont porté à leurs têtes ce qu’on appelait dans la Grèce antique des démagogues. Ce sont les gouvernements de droite ou extrême droite que nous voyons se multiplier tristement dans les démocraties occidentales, y compris dans la plus vieille d’entre elles, aux Etats Unis. Je ne vois pas de processus utile et convaincant qui auj. nous permette de penser – malgré la lecture qu’en faisait Tocqueville qui était celle précisément d’une délibération dans le cadre des contés- je ne crois pas que nous ayions trouvé la recette qui permette l’acquisition et l’entretien de ces  compétences de la part des citoyens dans nos démocraties. 

Cédric : Pensez-vous que des cours d’histoire politique et de sciences politiques au lycée et dans les études de manière générale pourrait aider ? 

 

YAMD : Cela ne relève pas seulement de cet aspect académique, mais cela ne pourrait pas faire de mal certainement. Comme enseignant en droit je me lamente de l’état de méconnaissance dans lequel arrivent mes étudiants en 1ere année car ils n’ont eu aucun enseignement de droit. Et quand ils ont eu un enseignement, celui-ci a été confié aux enseignants d’histoire et de SES majoritairement. Or ceux-ci ont été formés dans les Universités de lettres et d’histoire qui sont profondément marquées par une culture post-marxiste qui considère au fond que le droit est une super-structure de domination. Je veux bien que cela soit ça mais le droit c’est aussi un produit historico-culturel qui signifie autre chose. C’est aussi par ailleurs le dépôt du système de valeurs et même du système d’idéal d’une société et donc il y a un moment où l’enseignement des institutions et des règles de droit par des gens qui sont formés dans une position systématiquement critique et externe à l’égard du système dont il s’agit pose littéralement un problème. On vous dit cette règle de droit, c’est une règle de domination.

 

Chloé : C’est peut être pour ça aussi que le RIC est aussi populaire parce que les gens ont peu de connaissances juridiques généralement donc c’est un instrument qui fascine aussi parce que c’est un instrument de puissance

 

YAMD : Oui bien sur, en l’occurence c’est un argument totalement populiste qui consiste à soutenir que l’on va rendre le pouvoir au peuple. On constitue le personnage peuple, qui est un personnage largement fantasmé puisqu’il supposerait qu’il y ait un être qui soit un être cohérent ce que le peuple n’est pas, dans sa composition tout simplement. Et avec cette figure là fait surgir une sorte de Dieu politique qui serait la fin définitive de tout, qui serait sa propre fin. 

 

Chloé : D.Rousseau disait à ce propose que le peuple se construit par opposition à l’existence des représentants et que sans représentants il n’y a plus de peuple. 

 

YAMD : Oui on peut le dire comme ça, c’est pas du tout incohérent avec les conditions initiales. Quand Sieyès fait adopter la déclaration du 17 juin 1789 qui constitue l’AN et donc en réalité pose la souveraineté de la nation face à la souveraineté monarchique. La déclaration commence par : “la nation est suffisamment représenté puisque 96% d’entre elle a déjà ses représentants, cad les représentants du tiers etat. Donc à partir du moment où on a quantitativement constitué le peuple c’est suffisant. 

Cédric : J’avais une question à propose de la responsabilité des élus … Comme les élus changent tous les 5 ans, il n’y a pas de système qui ferait poser une responsabilité sur eux après ces 5 ans ? 

 

YAMD : Il y a 2 sortes de responsabilités : responsabilité politique supposée être sanctionnée à la fin du mandat au moment de l’éventualité de son renouvellement [...] et la responsabilité pénale qui ne s’arrête pas à la fin du mandat mais à la prescription. Nous revenons à la question du début que pose Rousseau : qui a t-il de démocratique dans les élections successives ? Toute sorte de systèmes historiques ont été expérimenté. Chaque citoyen de l’ecclesia pouvait faire une proposition de décret à l’Assemblée, si cette proposition produisait un résultat contraire au bien public on pouvait actionner la responsabilité de celui qui avait fait la proposition : la graphè paranomon… Il ya aussi la possibilité de révoquer un député… Il y aussi la possibilité avec les girondins d’avoir un référendum à posteriori, cad que l'assemblée décide une loi et une circonscription politique considère que cette loi est mauvaise et exprime son refus. S’il est suffisant, ce refus va déclencher un long système de consultation de l’ens des circonscriptions politiques / géographiques et si plus de 50% des assemblées politiques primaires se prononcent contre la loi on va  revoter, pratiquement sous forme référendaire sur cette question là.  C’est un procédé idéal mais complètement décalé par rapport au temps politique… Temps beaucoup trop long. 

 

Cédric : Concernant la responsabilité des élus, vous pensez pas que le RIC révocatoire serait une responsabilité supplémentaire des élus vis à vis du peuple ? 

 

YAMD : Sur le papier c’est très chouette mais concrètement c’est assez contradictoire avec ce que nous considérons comme une des conditions de l’exercice des mandats électoraux qui est de disposer d’une forme de sécurité et de protection, nt de sa parole. Cad que l’élu ne peut pas être poursuivi en ce moment pour ce qu’il a dit, pensé ou voter dans le cadre de l’exercice de ses fonctions électorales. Par exemple si je suis député et que je dis une monstruosité à la barre de l’AN je ne suis pas censé être poursuivi pour ça. Cette protection est une des conditions de la sérénité avec laquelle je vais participer au débat. Or précisément le RIC révocatoire qui figurait dans le dispositif de la Constitution de 93, jamais été mise en oeuvre puisque le gouvernement révolutionnaire a suspendu la mise en oeuvre de la constitution au début de l’automne jusqu’à Robespierre… Je pense que vous changez la nature de la représentation politique telle que nous l’entendons lorsque vous permettez la révocation d’un député en cours de mandat sur des fondements d’opinion politique. Je ne parle pas des autres fondements : il ne s’agit pas de rendre les députés intouchables à tout mais protéger l’exercice libre de sa fonction fait à priori parti de ce que nous considérons comme constitutif de la démocratie aujourd’hui. Par ailleurs ne nous masquons pas la face et ne faisons pas comme si : dans le cours des mandats de nos élus il y a en réalité de nombreux avertissements qui sont envoyés par les mvts de protestations politiques et par les sondages aujourd’hui. 

 

Cédric  : A ce titre les sondages font office de sanction des élus mêmes si c’est pas opératoire ? 

 

YAMD : Ce sont des manifestations de l'état de l’opinion. C’est très insatisfaisant comme modalité mais cela existe et nous voyons les élus se repositionner en fonction de ce que les sondages disent. Ce qui est parfois un problème : ca a autant d’avantages que d’inconvénients : c’est très gênant pour la cohérence des projets politiques c’est très important pour le rapport qui existe entre représentants et représentés. La qualité de ce rapport est absolument essentiel au bon fonctionnement de la démocratie représentative. 

 

Cédric : On avait une question sur la décentralisation, avec les différentes régions en france est ce que ça ne permettrait pas une forme de décentralisation et l’apparition de RIC locaux ou régionaux qui peut être pourraient ensuite  débouché sur un RIC national ? 

 

YAMD : Il y a d’autres dispositifs que ceux de l’article 72.1 de la Constitution qui introduit le droit de pétition auprès des collectivités locales. Il existe déjà un dispositif de type comparable. Or ce dispositif a posé une série de problèmes qui ont beaucoup retardés sa mise en oeuvre effective auprès des assemblées régionales et départementales. Les citoyens pouvaient formuler des pétitions auprès de leur région. La question qui se pose est quelle est l’obligation de l’institution régionale en terme de réponse ? On a passé quasiment 10 ans sans règlement d'application parce qu’aucun des executif locaux ne voulait voir son ordre du jour perturbé par des intrusions de ce genre. Tout l’enjeu est de savoir si on doit contraindre l’institution à prendre position sur le sujet.  Car une réponse négative est aussi une réponse. 

 

Chloé : Si on pousse schématiquement la réflexion le RIC serait juste une pétition avec un pouvoir contraignant de réponse positive ? 

 

YAMD : Non car le RIC il dépossède l’organe qui a reçu la compétence de prononcer la réponse de sa réponse. C’est pas une obligation de réponse positive car à partir du moment où vous êtes dans le processus du RIC c’est plus l’organe régionale qui va répondre c’est le collège électoral. Encore une fois le référendum dépossède le représentant de sa représentation pour schématiser les choses c’est un court circuit. Tout l’enjeu du droit de pétition et de l’article 72 c’était précisément de trouver une modalité intermédiaire entre une représentation complètement dégagée de toute relation et obligation enver ceux qui sont représentés et le court-circuit que représente la démocratie prétendue directe du référendum. C’est la raison qui me faisait conclure dans mes travaux que le droit de pétition n’est pas une forme de démocratie directe, il ne peut pas exister dans une démocratie directe mais que dans la démocratie représentative. Il y a une dimension directe dans la mesure où le citoyen s'exprime mais ça n’est ni plus ou moins direct que le vote puisqu’il ne peut pas avoir d’autres interlocuteurs destinataires de la pétition que le représentant. 

 

Cédric : Pensez vous qu’on aille de toute façon vers une nouvelle formes de démocratie à ce niveau là, que ce soit le RIC ou autre chose ? 

 

YAMD : Pas forcément de nouvelles formes mais c’est plutôt un renouveau des pratiques qui nous fait défaut. Les formes on en a expérimentés un nombre incroyable historiquement. Souvenez vous que c'est dans la province de Porto Alep au Brésil que se développait les formes de démocratie participatives les plus avancés de la période au milieu des années 90-2000. Ajd Bolsonaro ne constitue pas un espoir de renouveau la démocratie. Il faut nourrir en permanence la vie démocratique et nous n’avons pas trouvé actuellement de moyens d’alimenter cette dynamique démocratie, cad le débat démocratique de façon satisfaisante.
Après vous pouvez construire toutes sortes d’espaces, d’organes, de lieux, de procédures diverses et variés avec des budgets participatifs, assemblées sur l’enjeu environnemental, des forum, espaces virtuels politiques.. Si les gens n’y vont pas ou si n’y vont qu’une seule ou deux catégories de gens, vous n’avez pas sauvé votre démocratie. On a quand même ajd des taux d’abstention absolument récurrents considérables et qui concerne globalement les mêmes catégories socio-politiques tout el temps. Ce ne sont pas des fait nouveaux en revanche ce sont des faits dangereux. 

 

Cédric : Pensez vous que le vote obligatoire pourrait permettre à certaines classes socio-politiques de plus voter car ce seraient les plus défavorisées ? 

 

YAMD : A titre personnel je pense que l’acte de citoyen de voter est un devoir moral. je ne connais pas assez le système belge et les lectures socio-politique qui en sont faite pour conclure à l’efficacité véritable d’un système de sanctions; En revanche si vous rendez le vote obligatoire il me parait nécessaire de reconnaître le vote blanc. Cad de fair entrer le vote blanc dans l’ensemble des paramètres qui vont décider de la victoire à l'élection. [1’04...]
Les votes blancs ont la vertu d’exprimer que l’offre politique n’est pas satisfaisante ou ne satisfait pas une partie importante de la population. Mais je ne sais pas si en france la chose serait utile ou efficace car je ne tient pas à ce que Marine Le pen soit élue. Ce qui est en cause c'est l’ordre dans lesquelles vous faites les choses : il faut d’abord ranimer la vie démocratique. 

 

Cédric : Vous avez participé à un colloque sur la discipline et l’indiscipline parlementaire, on voulait avoir votre avis sur ce sujet de la discipline partisane et ce que pourrait apporter le RCI par rapport à ça ?

 

YAMD : Discipline partisane fait des dégâts assez considérables dans l’opinion que l’on a de nos représentants car des structures privées se sont emparées de la représentation nationale et ont développée leur propre logique de discipline et de comportement et ont constitué  leurs intérêts d’une façon dogmatique souvent. Ces partis ont donné ces dernières années des spectacles assez déplorables en terme moraux (affaire Bygmalion, lycée de france…). Cela accrédite le fait que nous avons des systèmes partisans qui fonctionnent de manière parfaitement égoïste en dépit de l’intérêt général. Blessure très profonde du système démocratique. Nous avons aussi assisté à une plus grande professionnalisation du politique  des gens qui passent leur vie en politique, ce qui est pas une excellente idée. Ils vont successivement occuper des fonctions politiques. Des fonctions dans le parti ou des fonctions électives qui font d’eux des hommes politiques « à vie », ce qui est un très grand problème car pour représenter des gens, il faut être quelque chose… « représentant, ce n’est pas un métier ». Un peu comme vos représentants syndicaux à Sciences Po, sont représentants parce qu’ils sont étudiants. S’ils ne sont pas étudiants, ils ne sont pas représentants. Le pb est que c’est devenu une fonction spécialisée, une fonction en soi.

 

Cédric : que pourrait-on faire contre ça ? la réforme de l’ENA pourrait aller dans ce sens-là ? 

 

YAMD : La réforme de l’ENA ou même l’existence de Sciences Po ?... Dans la classe politique, la représentation de Sciences Po est plus élevée que dans l’ensemble de la population, on est bien d’accord ? Mais on pourrait trouver bcp d’autres organes que SP et cela se déplacera vers d’autres cercles (HEC ou Polytechnique), ce n’est pas tant le problème. Le problème me paraît être que « représentant politique » est ou n’est pas une carrière, fondamentalement, c’est ça. On a un exemple intéressant fourni par les EU : on a observé au fil des derniers cycles politiques américains que lorsque qq se présente à l’élection présidentielle et n’y réussit pas, il sort du circuit. Et par ailleurs, la plupart des responsables politiques -sauf exception (Kennedy,..)-  n’ont pas une carrière et ont une autre vie, soit avant soit après ce qui est relativement sain, et plutôt rare dans le contexte politique français.

 

Cédric : lié à quoi ? une simple différence de culture ou un cheminement différent ?

 

YAMD : D’une certaine manière, aux Etats-Unis, les hommes politiques ont dû faire la preuve de leurs capacités à réussir dans un autre domaine que celui dans lequel ils sollicitent le suffrage des électeurs. Chez nous, Sciences Po et l’ENA servent à ça… à prouver que l’on est compétent…Ce qui a vraiment vocation à lutter contre cela, c’est le système d’interdiction des cumuls, mais on n’a manifestement pas réussi à le rendre suffisamment performant pour obliger la classe politique à s’auto-renouveler, en fait c’est ça ; c’est à dire qu’il faut que les gens préparent leur succession, qu’ils transmettent… et cela veut dire qu’ils ne doivent pas pouvoir « s’accrocher » à leur fonction.

 

Chloé  : ne pensez-vous pas que ce système est en train de se renverser avec justement cette volonté de retour à la démocratie directe, plus liée au peuple ? qu’on n’est en train de rentrer dans un système qui refuse de plus en plus ces énarques ou ces sciencespistes ?

 

YAMD : Probablement oui, c’est une des dimensions pour ainsi dire constitutives du populisme, càd que le populisme a pour ressort d’accuser les élites et d’en contester la légitimité. Le problème est que, quand vous avez décapité les élites, vous avez aussi perdu du savoir-faire … et donc, vous n’êtes pas du tout sorti d’affaire.

 

Cédric : des cycles de débats seraient plus intéressants et enrichissants que des cours ?

 

YAMD : Au fond ce sont des questions de philosophie, qu’il faudrait apprendre pratiquement avec des philosophes… Un mauvais technicien de la déontologie ne permet pas d’investir les règles de la déontologie avec les enjeux qu’elle soutienne 

 

Cédric : Yvan Bachaud pensait seulement changer l’article 3 de la réglementation pour le RIC et selon Guillaume … il faudrait au moins modifier l’article 11 pour faire le RIC. Donc l’idée de Yvan Bachaud serait vraiment de faire le RIC le plus simple possible pour que les élus ne puissent pas le refuser.. qu’en pensez-vous ? pensez-vous qu’il faudrait au moins modifier aussi l’article 11 et peut-être encore plus ?

 

YAMD : Je ne suis pas un constitutionnaliste comme Guillaume, donc s’il vous a dit quelque chose il a surement raison. Il me semble que l’article 11 relève d’un autre pb : celui de l’initiative du référendum, plus que le référendum lui-même en définissant les conditions dans lesquelles les pouvoirs publics peuvent soumettre une question ou ouvrir une question au référendum. Cela ne concerne que les pouvoirs publics.

 

Chloé : à part si on le modifie en disant justement que ce n’est plus seulement le pouvoir, mais aussi les citoyens

 

YAMD : Donc c’est possible, mais on peut aussi le mettre de côté en considérant que cela ne traite que de cela. La modification de l’article 3, j’imagine, cherche à bénéficier de la 1ere phrase de l’article 3, cad « la souveraineté appartient au peuple ». En quelque sorte, on vient s’abriter à l’encontre de la légitimité de cet article qui lui-même renvoie à l’article 6 de la déclaration de 1789. A partir du moment où la souveraineté appartient au peuple et où le peuple est, en somme, en action permanente… cela veut aussi dire que le pouvoir constituant est en action permanente et ça, c’est un vrai problème parce que si le pouvoir constituant est activé en permanence, cela veut dire que la constitution est en permanence en transformation, donc les règles-cadres, celles qui précisément contribuent à notre sécurité juridique, deviennent précaires.

 

Cédric : selon vous, cela entrainerait un changement très profond notamment pour le droit, tout le temps instable ?

 

YAMD : Oui on en revient à la question de tout à l’heure : qu’adviendra-t-il du droit des minorités ? Les droits des minorités sont protégés parce que nous avons organisé une hiérarchie des normes et dans la hiérarchie des normes, nous avons placé le droit des minorités, (sous une forme propre ou de manière indirecte avec les droits des individus, à leurs pratiques culturelles, etc… ) dans une zone particulière qui est protégée par la procédure : cad qu’on ne va pas pouvoir changer cette catégorie-là de règles comme on veut, comme on va changer par exemple la loi sur la vitesse max sur les routes secondaires, cad par un vote du parlement selon la procédure législative. Pour certains changements constitutionnels, on fait voter le Parlement, mais en le réunissant les 2 chambres à Versailles, dans des conditions particulières,… je ne vous fait pas un dessin sur la procédure de modification constitutionnelle non référendaire… Lorsque vous avez donné en qq sorte un accès direct au changement de la totalité des règles parce que vous avez placé le droit du peuple à exiger le référendum directement dans l’article 3 sous la souveraineté du peuple, vous avez fait sauté a priori l’essentiel des règles protectrices du système qui équilibre notre démocratie. Parce que sinon, notre démocratie n’est que majoritaire. Si elle est majoritaire, elle est dangereuse…. C’est assez simple : la majorité peut avoir tort.

 

Cédric : tout à fait, je crois que par exemple sur la question de la peine de mort, Mitterrand était allé contre l’avis du peuple. Mais là, pour la peine de mort, dites-vous bien qu’il ne s’agit que d’empêcher des gens de mourir… nous avons des pbs bcp plus graves que ça sur le tapis ! comme la question de l’émigration, des pratiques religieuses, …

 

Cédric : c’est vrai que pour ces sujets le RIC pourrait rendre les débats encore plus violents et augmenter les divisions

 

YAMD : C’est le principal danger !

 

Chloé : Raul Magni Berton m’avait répondu que c’était exactement les mêmes arguments que l’on utilisait pour ne pas donner le droit de vote aux femmes… et qu’il ne fallait pas sous-estimer les capacités des citoyens et qu’on n’en arriverait jamais à une remise en question des droits élémentaires.

 

YAMD : Il a raison de dire que ce sont les mêmes arguments… mais ce n’est pas parce que ce sont les mêmes arguments que les arguments sont toujours mauvais. Prenons une situation plus simple, plus immédiate : vous mettez en place le RIC aujourd’hui en Grèce : que pensez-vous qu’il arrivera en matière d’immigration ? On aura vraisemblablement une expulsion massive qui aura toutes une série de conséquences, d’abord sur les relations entre la Grèce et la Turquie qui vont devenir très compliquées, et surtout : ces gens-là vont mourir - encore plus qu’ils ne meurent actuellement…. C’est typiquement ce genre de pb que pose le RIC… et c’est typiquement la difficulté d’instituer en somme, une voie d’expression à ce qui est un « spasme » de l’opinion. Mais attention, derrière ça, je ne cherche absolument pas à excuser la manière dont on a laissé s’installer les conditions du spasme… Càd que la situation qui fait que Marine Le Pen arrive au 2nd tour de l’élection présidentielle et qu’elle fait des scores époustouflants aux européennes est un résultat, et il y a des responsabilités politiques collectives dans ce résultat, que je ne cherche pas à excuser. En revanche, j’aimerais que l’on n’aille pas jusqu’au bout des conséquences de cette erreur…

 

Cédric : certains acteurs en faveur du RIC proposent un vote qui serait espacé : tous les ans pendant 3 ans, donc 3 votes ; et ce serait seulement le dernier vote qui compterait qui réduire l’effet de ce spasme un peu…

 

YAMD : C’est de la vieille technique constitutionnelle : toute l’experience de la révolution française tourne autour de ces questions-là en partie, c’est à dire qu’on va chercher à éviter que tout le pouvoir ou trop de pouvoir soit concentré dans les mêmes mains, en divisant l’assemblée ou en divisant l’exécutif, ou en limitant les possibilités du judiciaire. Ensuite, on va chercher à constituer des mandats décalés, pour faire en sorte qu’on ne pourra pas avoir un basculement brusque de majorité qui changerait complètement l’opinion et donc la direction du gouvernement. Enfin, on va imposer une distance ou une confirmation de la décision – c’est en particulier, ce qui figurait dans la constitution de 1789, en matière de solution aux vétos royal. Le véto royal qui pouvait s'opposer à l’expression de la volonté législative. C’était un était un véto suspensif et pour que la volonté législative passe outre l'opposition de l'exécutif il fallait que cette volonté soit renouvelée 3 fois et par 3 assemblée différentes. Le problème de ce dispositif, et il y a d'autres exemples dans ‘l'histoire constitutionnelle, c’est qu’ils ne répondent absolument pas à l'immédiateté de l'urgence à laquelle on cherche à répondre par les dispositifs dont ils ‘agit. Si vous mettez en plus un RIC c’est pour que le peuple ait le pouvoir, c’est pas pour qu’il l’ait après demain ;  Et en plus, ce qui fera l’objet des réclamations d’ouverture d’un référendum, ce sont des questions immédiates, cad c’est le prix de l’essence. Les GJ nous l’ont dit : c’est leur pouvoir d’achat. 

 

Cédric : Dans ce cas, peut être on pourrait imaginer un RIC rapide pour certains sujets et pour d’autres sujets plus importants (constitution  europe…) un système plus espacé ? 

 

YAMD : je pense que ce sont des subtilités indéfendables 

 

Cédric : parce que trop compliqué ou trop difficile à mettre en place ? 

 

YAMD : Non juridiquement les juristes savent faire, techniquement on écrira le texte, c’est comment on le fait comprendre aux gens. Comment on fait comprendre aux gens que le peuple est supérieurement souverain à un moment, parce que c’est lui l’être politique mais que cet être politique n’est plus souverain en matière européenne. C’est inacceptable ! Plus vous avez constitué le peuple comme un être politique, plus vous avez reconstitué la nation politique. Cette nation elle compte sur elle. D’une certaine manière l’actualité de l’inaction européenne lui donne raison. 

 

Cédric : Comme le ric local ouvre la voie d’un ric national on peut aussi imaginer un RIC national qui mène à un RIC Européen ?....

 

YAMD : Le système existe dans le dispositif européen. Il existe un droit de pétition qui impose une réponse du parlement européen avec un système de répartitions des pétitionnaires, à la fois en quantité et en nombre d’Etat, ce qui est le système habituel au fond que tout le monde pratique pour que les parlements nationaux prennent en considération les demandes qui leurs sont faites par cette voie. [Ex : pétition de Trump donne un exemple qui montre que en Angleterre,  le seuil de 1 million est atteint assez facilement, même si c'est pas sérieux]. Cela veut dire que le seuil de 1 million est un seuil qui expose à un certain nombre de questions et de situations relativement ridicules, que, presque par définition, les systèmes gouvernementaux vont chercher à éviter. Donc il vaut augmenter le seuil, ce qui va conduire à des seuils de 20%, ⅕ de l'électorat...C’est plus difficile à atteindre, ce qu’on entend le plus souvent. Sauf que quand on aura atteint le seuil de 20% on ne pourra plus dire que ça n’est pas une question sérieuse, et d’une certaine manière on ne pourra plus lui faire la même réponse. C’est à la fois énorme et pas assez et trop 

 

Cédric : je m’étais fais la reflexion que les constitutions étaient souvent modifiée par guerre… Et que ce serait peut être inédit si le RIC arrivait suite à des protestations populaires comme les gilets jaunes. 

 

YAMD : J’en pense que votre réflexion n’est pas juste. La constitution n’est pas modifiée comme vous le dite. La constitution meurt lorsqu’il y a une révolution, une guerre.. C'est la fin ce n’est pas une modification. C’est donc très différent de ce qui arrive à la constitution de la Vème République depuis 70 ans. Maintenant on peut considérer dans quelques cas un peu étroits, qu’un référendum a modifier la constitution, mais alors il faut retourner au plébiscite bonapartiste. Or dans les 2 cas c'est un massacre constitutionnel. La question que pose le RIC de ce point de vue là c'est une question de changement de régime politique. C’est en grande partie pour ça que vous trouvez j’imagine pas mal de résistances de la part, soit des spécialistes du droit constitutionnel, soit de toute sorte d’autres acteurs qui disent que les exemples dont nous disposons, dans lesquels, à cette échelle là, une démocratie directe s’applique, ne nous permette pas d’assurer la sécurité des gens qui vivent dans nos sociétés. C’est une très vieille question, complètement pourrie par un certains nombre d'a priori. Vous allez retrouver de manière répétitive l’idée que la démocratie directe c’est fait pour les petits états. On trouve ça dans des contextes tout à fait étonnants, ce que disent par ex les constituants en juill 89 : on est un État vachement important, on est pas rigolo comme les USA, ni petit comme la grèce donc on ne peut pas faire de démocratie directe. Ils ont été élus dans un processus où tous les hommes de plus de 21 ans ont plus participer au débat  : ils disent qu’il est impossible de faire ce dont ils sont eux-mêmes issus. Il y a un vrai problème qui est celui de l’exercice dynamique de la démocratie directe à grande échelle, en même temps on dispose mnt de syst d'informations et communication qui devraient permettre de passer outre le problème matériel mais ce dont nous avons pas du tout résolu c'est la question de la formation et de la culture.

Samuel Hayat

Chloé : Comment êtes-vous arrivés à vous intéresser au RIC ? 

 

Samuel Hayat : La manière dont je suis arrivé à m’intéresser au RIC est liée à mes travaux sur la question démocratique qui se divise en deux temps. L’un qui est plutôt historique, suivant avant tout l’histoire des idées, sur l’histoire des conceptions de la république, de la représentation, et de la démocratie principalement au 19e siècle ; et l’autre sur la théorie politique où je travaille sur la question démocratique d’un point de vue normatif. De mon point de vue, le RIC, ou de manière plus générale l’utilisation des dispositifs référendaires, est quelque chose qui est profondément lié à la représentation de deux manières. L’une négative, parfois ces dispositifs sont perçus comme un remède au problème de la démocratie représentative, problème notamment de la distance entre les représentants et les représentés. L’autre positif, où dans les pays avec le RIC comme en Suisse, le référendum n’élimine absolument pas la représentation mais ce qu’on voit c’est que la lutte entre les partis passe aussi par le fait de convaincre les gens d’aller dans telle ou telle direction pour un référendum. Donc je considère que le référendum est un outil très intéressant pour représenter la démocratie, non pas tant pour repenser la démocratie au delà de la représentation mais parce qu’il y a des formes de représentation tout à fait intéressantes, qui se mettent en place dans les démocratie référendaires. 

Lorsque le RIC est apparu dans le mouvement des gilets jaunes, cela m’a intéressé pour une autre raison. Depuis au moins Rousseau, cette idée du peuple qui fait lui même sa loi, est utilisée par des mouvements qui entendent critiquer quelque chose de précis qui est le double caractère professionnel et partisan de la politique. C’est à dire que le référendum est vu comme un moyen d’éviter des divisions entre gauche et droite, des visions partisanes qui sont considérées par ses promoteurs comme quelque chose qui vient diviser le peuple. Le RIC, il permet d’éliminer ou de minimiser les professionnels de la politique mais en les minorant, d’invisibiliser les oppositions partisanes qui existent entre ces différents acteurs politiques et qui sont vus comme des divisions inutiles, comme une caste qui défend ses propres intérêts et pas les intérêts du peuple. Tous ces discours là me semblaient montrer cette opposition des gilets jaunes à la politique partisane et à la politique professionnelle. Et du coup, dessiner un autre univers démocratique que celui de la démocratie représentative avec là aussi des aspects que je juge très favorablement, et puis des aspects sur lequel je suis plus dubitatif. C’est l’idée qu’avec le RIC, on n’a pas besoin de se demander ce que pensent les autres. On n’a pas besoin de parler politique entre nous, des sujets qui fâchent parce que tout cela sera résolu, donc on peut s’allier tous ensemble de l’extrême gauche à l’extrême droite puisque de toutes les manières ces classements là on ne les veut plus. Ce qui me semble être faux, car le RIC n’empêche absolument pas la représentation et les professionnels de la politique de s’opposer, mais en tous cas cela va avec une certaine obsession des gilets jaunes, une volonté de toujours faire l’unité, de ne pas parler de ce qui divise, qui est qq chose qui me semble être un des traits les plus fondamentaux de ce mouvement et qui a ses raisons par ailleurs stratégiques, il s’agit de faire l’unité.

 

Cédric : On avait notamment discuté avec Yann Arzel Marc Durel, qui est un professeur de droit constitutionnel qui s’intéresse aussi à ces questions. Il nous avait parlé effectivement d’une remise en questions des partis traditionnels avec le monopole qu’ils peuvent avoir, mais aussi de l’hyperprésidentialisation avec le passage du mandat de 7 à 5 ans, entraînant moins de contre pouvoir si le président dispose d’une majorité à l’assemblée pendant tout son quinquennat. Il nous disait que c’était une des principales raisons de la montée du RIC, que pensez vous de cette hyperprésidentialisation ? 

 

Samuel Hayat : Premièrement, il faut noter que la revendication de repasser le mandat du président à 7 ans fait partie des 42 revendications originelles des Gilets Jaunes. Sur l’hyperprésidentialisation, je n’ai pas d’avis sur le lien avec le mandat à 7 ans. Parce que, il ne faut pas se tromper, lorsque c’était 7 ans, le but du Général de Gaulle, c’était aussi de construire un régime plus présidentiel que n’importe quel régime au monde. Le régime français n’est pas devenu hyper présidentiel avec la réforme du quinquennat, il l’est depuis le coup d’Etat de 1958. Le système français est unique au monde de ce point de vue là. C’est quelque chose qui n’est pas neuf et qui plonge sa tradition dans une longue histoire. L’élection directe du Président date de 1848, c’est un choix de l’Assemblée constituant de la IIème République. On a en février 1848 une révolution qui donne lieu à la IIème République. On est dans un contexte social délicat, et les constituants souhaitent un président fort. C’est donc la première élection directe au monde, aucun autre pays n’avait eu une élection d’un président au suffrage universel direct. Elle donne lieu à la victoire à plus de 70% de Louis Napoléon Bonaparte, l’empereur qui fait un coup d’Etat trois ans après. 

 

Donc l’histoire de la présidence en France est vieille et très liée à un héritage bonapartiste. Je pense pas qu’il s’agisse d’hyperprésidentialisation. D’autre part, pour une autre raison, les institutions sont très liées à ce que les gens en font. Les institutions de la IIIème République donnent sur le papier beaucoup de pouvoir au président. Mais au début des années 1870, il y a un conflit entre le parlement et le président, qui donne lieu à une prise de pouvoir du parlement politiquement, ce qui donne ce régime absolument pas présidentiel. C’est la pratique des institutions qui veut cela.

 

On est dans une situation exceptionnelle en France, qui est un régime ultra présidentiel aussi présidentiel que dans un régime autoritaire. Il y a d'autres traits qui font qu'on est dans un régime plutôt démocratique. Mais la grandeur, le caractère complètement exceptionnel de la situation, c'est que quelqu'un a réussi à profiter des institutions très spécifiques de la République française pour se faire élire sans parti politique, sans avoir de parti pour se faire élire. Ce qui n'est pas possible dans un autre pays, les pays où l'élection législative est l'élection centrale, vous êtes obligés de créer un parti et de choisir un candidat, comme aux Etats-Unis. Emmanuel Macron, du fait de cette spécificité de l'élection du président au suffrage universel direct où n'importe qui peut se présenter, a réussi à être élu sans avoir la moindre base partisane. Cela s’est fait uniquement sur la base d'une relation directe entre lui et les électeurs, il a réussi en quelques mois à rendre totalement caduc le jeu de la démocratie des partis qui existaient en France depuis 120 ans et ça, c'est quelque chose de tout à fait exceptionnel. Et je pense qu’une des raisons pour lesquelles le mouvement des gilets jaunes a pu si bien prendre, c’est qu’il a pu rentrer dans cette brèche d'un président qui dit que les partis politiques appartiennent au passé. Nous aussi, on veut faire une politique au delà des partis politiques. Les gilets jaunes prennent une solution plutôt démocratique, c'est à dire un mouvement dans lequel tout le peuple peut venir participer du moment qu'il laisse de côté toutes ses caractéristiques spécifiques, qu'il vient uniquement comme citoyens, avec son gilet jaune. Je crois que c'est Tania Tartakowsky, historienne, qui disait qu'il y a une sorte de miroir inversé entre Emmanuel Macron et les gilets jaunes. Ils appartiennent au même univers politique, celui d'un refus des partis et celui d'une glorification populiste de l'unité du peuple.

 

Cédric: Vous écrivez que les partis politiques aussi produisent des visions du monde antagonistes. On a l'impression qu’il y a un caractère artificiel des partis politiques, quelle est votre position là dessus ?

 

Samuel Hayat : Il y a une conception de la démocratie qu'on appelle agonistique. La conception agonistique de la démocratie, c'est une conception qui valorise le conflit, qui consiste à dire que c'est une bonne chose que la société et que les personnes prennent des engagements qui sont opposés et que lorsque ces engagements sont opposés, à un moment donné, on tranche par l'élection. Et puis, à côté, on a une autre conception de la démocratie qu'on peut qualifier de citoyenniste ou de hasard. C'est le peuple en entier, uni vers un certain but. De mon point de vue, il n'y a pas de bonne ou de mauvaise conception de la démocratie. Mais lorsque l'on considère qu'on est dans une société qui est divisée en classes sociales antagonistes, la démocratie unitaire pose problème parce que le peuple est uni et le peuple ne se divise pas dans une société qui est elle même divisée en classes, la politique viendrait alors masquer les divisions qui existent dans la société. Il y a donc un grand enfumage avec l'idée de démocratie unitaire. Quand je dis que les partis viennent proposer des idéologies opposées et des visions du monde opposées, quand je l'écris, c'est quelque chose de positif. C'est très important d'avoir des visions opposées. Il faut que cette division de classe, elle trouve une représentation. Simplement, la question est la suivante: est ce que le système des partis actuel en France permet l'expression des divisions sociales ? Je pense que les offres politiques sont devenues indifférenciés ou en tout cas, elles n'expriment pas les divisions sociales réelles, c'est à dire pour le dire clairement, Le PS n'est plus le représentant des classes populaires et ce n'est pas quelque chose de nouveau. C'est quelque chose qui se fait sur trente ans.

 

Cédric: Pensez vous d'ailleurs que beaucoup d'électeurs de l'extrême gauche ont été justement récupérés par le Front national ? 

 

Samuel Hayat: Je ne sais pas ça. Ce sont des analyses de sociologues sur lesquels il faudrait aller voir un peu dans le contexte. On voit un mouvement de forte désaffection des électeurs traditionnels de la gauche du Parti communiste qui glissent vers l'abstention. Une partie observe un passage à l'extrême droite. Il faut rajouter à cela le changement générationnel, c'est à dire que l'attachement à l'identité ouvrière et à l'identité communiste était beaucoup plus forte dans la génération précédente que dans la génération qui aujourd'hui est au sommet démographique.. En tout cas la division entre gauche et droite a pu être mise en fonction par Emmanuel Macron ou par les gilets jaunes aussi parce qu'elle a perdu de sa substance, c'est à dire qu'on a de plus en plus l'impression qu'effectivement, François Hollande fait la même politique que Nicolas Sarkozy. On a l'impression que leurs luttes et leur opposition sont des oppositions factices, sont des oppositions de façade, sont en fait en jeu. Et cette idée là que la politique est en jeu est quelque chose qui est radicalement refusé par les gilets jaunes qui disent non, ce n'était pas un jeu, il y en a marre de cette caste qui fait semblant de se diviser sur des fausses questions. C’est ce qui fait que l'on peut avoir cette sorte de défiance pour la démocratie adversariale, c'est qu'on a l'impression que les divisions entre eux, entre gauche et droite, ont perdu. En gros, on a besoin de nouvelles organisations, de nouvelles luttes.

 

Cédric: Certaines personnes interrogées nous ont dit que de toute façon, même si la France insoumise arrive au pouvoir, elle ne mettrait pas en place le RIC parce que l’objectif était justement d'arriver au pouvoir. 

 

Samuel Hayat: Je pense que les gens qui vous disent cela, ce sont des personnes peu prudentes et peu au fait de l'histoire et de la manière dont les institutions se construisent. Je trouve cela très bizarre comme idée de dire face à des acteurs en faveur du R.I.C, “ah non, tout ça, c'est de la façade”. Concrètement, le référendum sous une forme ou une autre du référendum d'initiative citoyenne était dans le programme de la moitié des candidats à la dernière élection présidentielle. Donc, c'est une idée qui est défendue par beaucoup de partis pour deux raisons. Premièrement, en défendant ce dispositif, les partis veulent donner des preuves qu'ils représentent bien le peuple dans son ensemble. Et de ce point de vue là, ce n’est pas un hasard si c’est la France insoumise et le Rassemblement National qui mettent ces thèmes le plus en avant. ce sont des partis qui font ce jeu là de se présenter comme les représentant du peuple français dans son ensemble, avec une dimension nationaliste au rassemblement national, et avec une dimension plutôt populaire du côté de la France Insoumise. Donc moi je pense qu’il faut prendre très au sérieux leur projet. Certes c’est une récupération partisane, mais c’est une récupération partisane, qui dans un cas comme dans l’autre a un sens par rapport à la manière dont ils entendent représenter le peuple. Et c’est ce que je vous disais au début. Le RIC ce n’est pas la fin de la démocratie représentative, c’est un outil que les partis peuvent utiliser - il ya des partis qui sont plus ou moins adaptés pour l’utiliser - comme pratique de gouvernement, regardez ce qu’il se passe avec les votations en Suisse. Les RIC sont complètement utilisés par les partis aussi, et notamment par le parti d’extrême droite, l’UDC, qui a beaucoup utilisé les référendums pour faire passer un agenda islamophobe. Je pense que ce sont des partis qui sont favorables au RIC, parce que ça va dans leur vision du monde d’un peuple unifiée et d’un refus de la politique professionnelle, d’un refus de la politique des partis. Ces différentes forces politiques là (France insoumise, Rassemblement National, Emmanuel Macron, gilets jaunes) sont contre la politique partisane. Moi je ne serais pas du tout surpris qu’Emmanuel Macron décide de mettre en place le RIC par exemple. Lui, il est plutôt du côté du pôle expert, du refus de la politique partisane. Ce refus, ça peut être au nom de l’expertise ou au nom du pouvoir direct du peuple. Emmanuel Macron est plutôt du côté de l’expertise que du côté du pouvoir direct du peuple, mais je pense que le RIC est tout à fait compatible avec le macronisme par ailleurs. 

 

Chloé : Tout dépend de quel RIC on parle justement, je sais pas si vous êtes au courant des différentes formes de RIC proposées dans les détails et les modalités.  

 

Samuel Hayat : Non, allez-y 

 

Chloé : certains acteurs sont favorables au RIC CARL, et d’autres vont être plutôt en faveur d’un RIC délibératif, un peu plus prudent, ou qui respecte plus les codes démocratiques actuels, avec des quorums de participation à 50 % et surtout un focus sur une assemblée délibérative tirée au sort de citoyens qui débattent de la question et proposent ensemble une sorte de livret d’information pour informer les citoyens, un peu comme en Suisse. 

 

Samuel Hayat : De mon point de vue, ce ne sont pas des différences qui sont fondamentales. C’est comme si vous allez expliquer à quelqu’un qui vit dans un régime autoritaire que l'élection proportionnelle ou bien l'élection par scrutin majoritaire uninominal ça n’a absolument rien à voir. D’un côté vous avez raison, c’est à dire qu’être dans un système ou vous avez une représentation proportionnelle au parlement, et être dans un système ou le parlement est fait par un scrutin majoritaire, ça a des conséquences fondamentales en terme de contenu de l’assemblée et de pratique du pouvoir, donc les institutions comptent. Mais, il n’empêche que vous allez quand même considérer que c’est de la démocratie représentative, que le fait d’avoir des élections, qu’elles soient proportionnelles ou au scrutin uninominal, franchement, ce sont des micro variations et c’est plutôt facile de passer de l’un à l’autre. Si vous considérez qu’à un moment donné, il va manquer de la représentativité, vous pourrez ajouter une dose de proportionnalité.. Là je vous parle juste des institutions, mais il y a la pratique des institutions. En Suisse, la mise en place du référendum, pendant des décennies n’a rien changé : les gens ne l'utilisaient pas. C’est progressivement que l’utilisation du référendum a modifié le design institutionnel Suisse, et a amené à ce que ça devienne un thème central dans la législation. C’est pareil aux Etats-Unis : c’est relativement récent - à ma connaissance - que des changements législatifs aussi importants que le mariage homosexuel, ou la légalisation du cannabis soient des changement d’abord fait principalement par référendum d’initiative citoyenne. C’est relativement récent que l’on ait cet usage du référendum qui va jusqu’à transformer des choses tout à fait fondamentales dans la société. 

Expliquer que son RIC à soi, le RIC CARL c’est le seul vrai RIC, ou alors expliquer que non, il faut faire un RIC responsable avec une assemblée délibérative, ça fait partie des jeux d’acteurs qui s’opposent - c’est assez drôle parce que l’on retrouve le conflit- ce sont des acteurs qui s’opposent dans leur offre politique. C’est des gens qui essayent de se distinguer les uns des autres en présentant des offres politiques, dans le cas du RIC CARL, ça se présente comme une offre plus radicale : on va jouer à fond la carte de la radicalité, Terra Nova c’est un think thank lié au parti socialiste. Eux, ils doivent jouer la carte du sérieux et de l’expertise, et donc ils vont proposer un design institutionnel plus équilibré. Et tout ça c’est des oppositions qui sont de vraies oppositions, mais qui sont des oppositions entre acteurs qui viennent se positionner dans le champ des offreurs de RIC, donc concrètement je ne pense pas qu’il y ait plusieurs RIC ou que ces RIC soient fondamentalement différents, car ensuite tout ce qui va trancher ça va être la pratique de ces RIC: c’est à dire est-ce que ces partis vont s’en saisir. Est-ce que les gens vont s’y intéresser, est-ce que les gens vont y participer massivement ? Et cela dépend de beaucoup de facteurs qui ne sont pas uniquement institutionnels. De mon point de vue, en tout cas dans une logique démocratique rousseauiste, c’est-à-dire d’une démocratie unitaire, rousseauiste, qui fonctionnerait par référendum, il est impératif que le référendum n’ait pas de limites, que ce soit le RIC en toute matière, et en particulier que le référendum puisse décider des questions constitutionnelles et des constitutions. Il me semble que c’est en plus tout à fait en lien avec la pratique du référendum qui existe en France. Dans les institutions de la cinquième république, le référendum est utilisé pour trancher les questions constitutionnelles. Si demain, on fait un RIC qui ne peut pas être constituant, on aura un sous-référendum et ça poserait un véritable problème d’un point de vue de cohérence institutionnelle. Si on veut un référendum d’initiative citoyenne qui soit logique dans les institutions de la cinquième république, il faut qu’il soit constituant, il faut qu’il puisse être en toute matière. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas par ailleurs une assemblée délibérative tirée au sort pour éclairer le référendum. Ce n’est pas antagoniste. Mais effectivement on peut penser que si demain Emmanuel Macron se saisit du RIC pour en construire un, il y a des chances que ce soit un RIC qui soit dans la logique de la réforme de 2008 : c’est-à-dire un référendum qui ne puisse pas parler de toute une série de questions législatives, et notamment des questions de finance, des questions constituantes, et il me semble que ça irait contre la logique du référendum des institutions de la cinquième république. 

 

Cédric : A ce propos, pourquoi pensez-vous qu’Emmanuel Macron ne veut pas du RIC alors, est-ce que c’est une posture pour montrer que c’est encore lui qui prend la décision par rapport au gilet jaune, ou alors est-ce que c’est aussi des craintes vis à vis des risques possibles de perte de pouvoir du président ?

 

Samuel Hayat : Je ne sais pas, je pense qu’il n’est pas du tout certain qu’il ne ressorte pas cette proposition à un moment. je pense pas qu’il soit contre le RIC, ou que cela ne soit pas du tout quelque chose auquel il réfléchisse. Je ne m’avancerais pas là dessus, je pense que là il faut s’accorder un peu de recul. Je ne pense pas qu’il y ait d’opposition d’Emmanuel Macron au RIC sur le principe. A mon avis c’est tout à fait compatible avec son logiciel. 

 

Cédric : et que pensez-vous des risques que pointent certains acteurs, par exemple dans le cas d’un RIC CARL, notamment vis à vis du droit des minorités, puisque ce serait la majorité qui déciderait avec le RIC. 

 

Samuel Hayat : Je pense qu’il y a des usages du référendum, qui parce qu’ils peuvent s’autoriser de l’expression directe de la majorité qui est présentée comme l’expression directe du peuple tout entier, comportent effectivement des risques d’usages contre les minorités, c’est un fait, et l’exemple Suisse le montre. On a des référendums qui ne seraient pas passés sous forme de loi parce que la majorité des partis y étaient opposés, et qui sont passés par le référendum, et notamment sur les mosquées, notamment sur les étrangers. C’est une réalité. Maintenant c’est un peu comme dire on va enlever le droit de vote aux gens parce qu’ils peuvent voter pour l’extrême droite. Ce n’est pas démocratique. Ce qui est démocratique, c’est d’essayer de trouver des solutions de protection des minorités. Dire que l’on va pas utiliser un mécanisme démocratique parce que la majorité peut se tromper, moi je veux bien mais qui ne peut pas se tromper ? Si on donne tout le poids aux partis politiques, ils ne vont pas se tromper ? Non, ça ne marche pas comme ça. Si on considère que le règne de la majorité est dangereux pour les minorités - ce que je crois fondamentalement - le règne de la majorité il s’exprime tout autant dans les élections que dans les référendums, et donc il faut tout simplement arrêter les élections, et trouver une manière de repenser la politique d’une façon qui ne soit pas le règne de la majorité. Là on passe à complètement autre chose. Je pense qu’il y a des risques d’instrumentalisation des référendums, comme il y a des risques d’instrumentalisation des élections, voilà. Emmanuel Macron a instrumentalisé l’élection présidentielle pour casser les systèmes, pour mettre à bas 120 ans de politique partisane, il a réussi à faire le truc et à y entrer, on ne considère pas pour autant qu’il est anti-démocratique. Or il a su utiliser une des failles du système pour prendre le pouvoir. 

 

Cédric / Chloé : Qu’est ce que vous pensez du tirage au sort ? Vous qualifiez l'élection comme une procédure aristocratique qui donnerait le pouvoir à une élite...

 

Samuel Hayat :  Ce sont de veille choses, lorsque la typologie des régimes est créée en Grèce au 5ème siècle av. JC, l’idée est de créer des noms à certains régime. C’est à ce moment là que les mots démocratie et artistocratie sont inventés. Dans toute les typologies de régime, la démocratie repose sur la participation directe du peuple à la décision et sur l'utilisation du tirage au sort. Les régimes qui utilisent l'élection sont appelés des aristocraties parce que lorsqu'on utilise l'élection, c’est pour donner le pouvoir à un petit nombre de personnes qui sont les “meilleurs”. Rousseau n’était pas pour la démocratie, il disait que la démocratie était trop compliqué et conviendrait à un peuple de Dieux, ça ne convient pas aux humains. Il était pour que les gens votent les lois directement mais que les lois soient appliquées par un petit corps de personnes élues. Donc quand je dis que l'élection est un régime qui fonde une aristocratie et pas une démocratie, je ne dis rien d'extraordinaire, je reviens juste au sens des mots de l’époque d’Athène.  Mais on reste dans un régime qui a de fort éléments aristocratiques puisque c’est une toute petite partie des gens qui dirige des milliers de personnes. Bernard Manin dit simplement que la procédure démocratique c'est le tirage au sort, la procédure aristocratique c’est l'élection. Lui il est plutôt pour le système aristocratique, il trouve que c’est un bon système, l'élection. Donc lorsque Bernard Manin est lu par Etienne Chouard qui découvre son livre quelques années après le référendum de 2005, il ne lit que la première partie du livre qui décrit le tirage au sort et donc devient un défenseur du tirage au sort. Il est très surpris d’apprendre que Bernard Manin était contre le tirage au sort car ce dernier dit : “le tirage au sort c’est démocratique” mais dire qu’une chose est démocratique ça ne veut pas dire qu’elle est bonne. On est tellement dans un univers politique où démocratie correspond au bien, que quand on dit que quelque chose est plus démocratique on s’imagine que c’est mieux. Pour moi le tirage au sort est une procédure très démocratique, beaucoup plus que l'élection mais, comme l’explique Bernard Manin, on a un autre principe qui est devenu extrêmement important dans la modernité politique qui est le principe du consentement. On veut vous voir consentir aux pouvoir qui s'exerce. Or le tirage au sort ne permet pas l’expression du consentement. Je pense qu’aujourd’hui le tirage au sort est plus démocratique car c’est plus égalitaire mais un régime fondé exclusivement sur le tirage au sort poserait un gros problème en terme de consentement. Donc de mon point de vue, le tirage au sort à tout à fait sa place évidemment dans une démocratie puisque c’est une procédure égalitaire de sélection mais il ne peut pas venir remplacer absolument tout. 

 

Cédric : pensez vous qu’il faudrait, si on passe au tirage au sort, améliorer l’éducation politique des citoyens ? Car il y a  un risque évoqué par certains de donner le pouvoir au peuple non éclairé.

 

Samuel Hayat : De ce point de vue, vous avez une tradition qui vient de Montesquieu, qui consiste à dire que les gens sont tout à fait capable de choisir leur chef mais ne sont pas capable d’être eux mêmes leur propre chef. Moi je considère que c’est hypocrite de penser ça. Si on considère que les gens sont incompétents, il ne faut pas leur donner le droit de vote. Et pour moi être démocrate c’est y croire, c’est croire sérieusement au fait qu’il n’est pas absurde de donner la même voie à quelqu’un qui est docteur en sciences politique comme moi et quelqu’un qui n’a jamais étudié la science politique. C’est la grande force de la démocratie de nous donner le même poids. On nous donne le même poid dans le choix du vote du président de la république, je ne vois pas pourquoi on nous donnerait pas le même poids dans le vote de la loi. Donc si on considère qu’il y a une éducation politique à faire, très bien, mais elle est à faire tout autant dans un système de démocratie représentative que de démocratie directe. Et je pense que les gens s'intéresserait beaucoup plus facilement à la politique, s'éduqueraient beaucoup plus par eux-mêmes,  et iraient beaucoup plus chercher l’information si on leur demandait de faire des référendums que dans la situation actuelle où on leur demande juste de choisir entre deux candidats. A mon avis c’est plutôt dans l’autre sens : si nous croyons, et moi j’y crois, à l’égalité des chances politiques, laissons ces intelligences et cette égalité s’exprimer et oui, donnons plus de pouvoir direct aux personnes. Pensons à ce qu’il s’est passé à la révolution française, on est passés d’un système où personne n’avait le droit de vote en quelques années à un système de suffrage universel masculin. Les gens étaient considérablement moins éduqués qu’aujourd’hui, ils n’avaient pas Wikipédia, ils n’avaient pas internet, pourtant il y a eu un choix révolutionnaire qui est d’avoir confiance en l’intelligence des gens. je pense que ce choix est toujours bon et il faut toujours le prendre. 

 

Cédric : Comment on pourrait, selon vous, déprofessionnaliser la vie politique ?

 

Samuel Hayat : Déprofessionnaliser la politique, c’est un slogan, il peut avoir son sens. Simplement, on est dans un système qui fonctionne sur l’existence d’une administration qui permet la continuité de l’Etat, qui est une administration composée de professionnels sélectionnés par concours. On ne peut pas se focaliser sur les 500 députés ou sur les 15 membre du gouvernement. La déprofessionnalisation de la politique, c’est le prendre dans l’autre sens. C’est-à-dire de ne pas enlever les professionnels de la politique, mais juste y faire entre les citoyens et citoyennes. Et les faire rentrer, ça passe par des créations d’institution qui leur donnent du pouvoir. Alors après, moi je vous dis ça, mais oui la déprofessionalisation de la politique est une idée centrale des gilets jaunes. Mais le référendum n’a pas amené à ce que la politique soit moins professionnelle en Suisse. Par contre, les citoyens ont plus de pouvoir. Et donc ça change les conditions de la politique professionnelle. Il s’agit donc en créant une arrivée massive des citoyens en politique, de changer les conditions de la politique professionnelle, pas de l’abolir. 

 

Chloé : Par rapport au système Suisse justement, pensez-vous que ce modèle serait applicable tel quel en France, étant donné nos différences de culture politique ? 

 

Samuel Hayat : Je ne crois pas trop à ces histoires de culture politique. Je ne pense pas que cela soit un prisme intéressant pour l’analyse. Je ne pense pas qu’il y ait des cultures politiques spécifiques. Donc non je ne pense pas qu’il y ait d’obstacle politique. Par contre ce qui est sûr c’est qu’il y a en France une tradition d’une crainte des élites politiques vis-à-vis de l’expression directe du peuple. 

 

Chloé : D’après vous le RIC permettrait-il d’apaiser les tensions, la crise de méfiance des citoyens envers leurs élus ou envers leurs représentants ? 

 

Samuel Hayat : Oui certainement 

 

Cédric : Que pensez-vous du vote justifié ? 


Samuel Hayat : Je ne connais pas mais je pense que tout ce qui vient compliquer les procédures vient aussi mettre des barrières à l’entrée. La force de la démocratie c’est de considérer l’égalité des intelligences politiques et notamment à considérer que les gens n’ont pas à expliquer ou à donner des raisons à leur vote. Si on veut faire du vote justifié, moi j’aimerais bien, mais avant tout faisons le dans les choix de nos dirigeants. Faire fonctionner une démocratie requiert de la simplicité. Tout ce qui va dans le sens “il faut de la complexification” exclut une grande partie de la population. Donc a priori, je suis plutôt contre. Tout ce qui va dans le sens de la réflexion institutionnelle a un aspect intéressant, il y a des discussions c’est une bonne chose mais illusoire. En effet il y a un certain fétichisme institutionnel où on pense qu’avec telle ou telle institution ça va changer radicalement le système. En réalité, un système politique c’est surtout fondé sur des pratiques, sur une manière dont la vie politique s’organise, sur les partis, les associations, les syndicats. C’est aussi ça qui compte et pas seulement les institutions. Donc dès qu’on essaie de rentrer un peu trop dans le détail du design institutionnel, le risque est de faire du fétichisme institutionnel et c’est ce qu’on voit avec la démocratie participative. Il y a des institutions qui sont parfois extrêmement bien pensées, et au final il y a seulement 0,5% de la population qui participe et donc ce sont des échecs d’un point de vue démocratique. Ca n’est pas parce-que le vote serait justifié que plus de personnes iraient voter ou que le débat démocratique serait meilleur. Il faut avoir une balance entre l’intérêt politique réel et les aspects institutionnels.

Raul Magni-Berton

Marie : Comment en êtes-vous arrivés à vous intéresser à ce sujet ? Est-ce depuis les Gilets Jaunes ? 

 

RMB : Personnellement je m’occupe de démocratie comparée, de politique comparée. Donc toute sorte d’institution, d’élection, type et mode de scrutins, et donc RIC également. J’avais sorti en 2012 un livre dans lequel un chapitre était consacré au “Référendum d’Initiative Populaire”. Entre-temps, on avait aussi formé un petit groupe à Grenoble en 2017, une association politique qui portait sur deux points : la démocratie directe, donc le RIC, le référendum obligatoire, et l’autonomie locale. Les gilets jaunes sont donc arrivés au bon moment car on avait les connaissances, mais aussi un engagement qui est venu naturellement. Quand vous étudiez le RIC, il n’y a pas photo : la démocratie directe est à la démocratie représentative ce que la démocratie représentative est aux dictatures. Elle a toutes sortes d’avantages, aussi bien en termes  d’inclusion qu’en termes de fonctionnement économique, politique. Quand le RIC est sorti, les gens pensaient que c’était sorti de nulle part, alors qu’en fait il y a deux cent ans d’expérience derrière. Ainsi, dans notre livre, on raconte les études qu’il y a eu pour sensibiliser et dire, à ceux qui soutenaient le RIC et qui avaient peu d’information, ce que c’est le RIC.  On s’est ainsi basé sur les expériences à travers le monde et notamment la Suisse, parce qu’ils sont quand même bons la Suisse. Au-delà de moi, le RIC en France est né au Sud de Lyon. Il y a deux petites villes, et dans l’une d’elles il y a Yvan Bachaud, celui qu’on appelle aujourd’hui le “grand père du RIC”, qui milite pour le RIC depuis des années. Il est un peu foufou et il est très chouette. A ses côtés, il y a Daniel Vienne, très actif pour mettre en avant et faire rencontrer les gens. Très engagé dans les gilets jaunes, il a organisé dès le début du mouvement une conférence en décembre, sur le RIC, dans laquelle il a invité d’une part des gens qui connaissaient le RIC, dont Yvan Bachaud et les gens d’Article 3, et d’autre part des gens qui avaient une notoriété médiatique, dont Maxime Nicolle et Etienne Chouard. A ce moment-ci, il était nécessaire de fédérer les gilets jaunes autour d’une notion clé, n’étant souvent pas d’accord sur les questions de taxation, de services publics… Cette conférence a vraiment été le début d’une sorte de fusion. C’est Maxime Nicolle, étant très médiatisé, qui a amené cette revendication qui avait fait consensus dans les manifestations des Gilets Jaunes. Je me suis greffé quand j’ai vu la première revendication publiée dans la conversation sur les bienfaits du RIC, en décembre 2018 puis d’autres ont rejoint le mouvement comme Hakim Lowe d’Objectif Ric, très entrepreneur, qui organise des conférences. Et voilà. C’est comme cela que la revendication du RIC est née. Le livre sur le RIC on l’a écrit en février 2019, et publié en Avril. Donc on l’a écrit en un mois. 

 

Chloé : Tous ces gens se connaissent-ils d’avant ?

 

RMB : Non, c’est ce Daniel Vienne qui a fait venir Yvan Bachaud et des gens qu’ils connaissaient, mais également des gens un peu visibles. Paradoxalement, Etienne Chouard qui est maintenant un grand défenseur du RIC, à l’époque il connaissait moins. Il était très tourné vers les questions de démocratie mais le RIC lui-même n’était pas un de ses sujets, il a fallu lui expliquer. C’était Bachaud qui était le RIC. Mais comme Chouard est très visible, convaincu, il a permis de donner une visibilité au RIC. C’est un concept qui a parlé à tout le monde. Il faut savoir que par ailleurs on a des sondages sur le RIC, bien avant. On en a un en 2011, dans lequel déjà 72 où des français disaient qu’ils étaient pour.

 

Chloé : Comment expliquer du coup que ça ait vraiment pris corps aujourd’hui, en 2018 et pas avant ?

 

RMB : Le problème c’est qu’il y a un rapport de Santa Review sur la démocratie directe. Quand on demande aux gens les priorités,  s’agissant d’un changement institutionnel, c’est toujours derrière le chômage. C’est donc une revendication majoritaire mais pour le rendre prioritaire il faut une coordination énorme, il faut un coup de publicité qui fait que l’on sait que le voisin le demande aussi. C’est très rare que des mouvements se centrent sur un changement institutionnel. 

 

Marie : Justement, qu’est-ce que le RIC pourrait changer au niveau de la position du citoyen dans la démocratie ?

 

RMB : Le RIC donne simplement des droits en plus. Le RIC donne des droits individuels : le droit de proposer des lois, et le droit de rejeter ou non des propositions. C’est le droit de chacun. Chacun de nous peut le faire. Mais aujourd’hui c’est interdit. Aujourd’hui ceux qui peuvent le faire c’est le gouvernement et le parlement. Donc effectivement, à peu près mille personnes. Le RIC donne le droit à tout le monde de le faire. Il y a eu la discussion sur l’élargissement du droit de vote aux femmes puis aux étrangers, mais il y en a eu très peu sur l’élargissement des droits politiques en dehors des votes. Le droit d’initiative et de proposition des lois est un droit politique. Alors même s’ils sont élus, la concurrence marche mal sur le long terme, entre partis politiques. C’est le principe des “partis cartel”. Dans une démocratie représentative, on a des partis politiques qui doivent se faire concurrence. La concurrence entre les partis est une condition pour que les revendications qui viennent du bas apparaissent dans un parti qui veut gagner par rapport à un autre. Le problème est qu’on les met dans une petite salle, le parlement, pour une bonne part non publique, et on dit faites vous concurrence. Au début ils se font concurrence, et au bout d’un moment ils font des financements pour les partis politiques qui leur permettent de les protéger financièrement et ne pas donner accès à de nouveaux partis possiblement émergents. 

 

Chloé : C’est une concurrence sur une base commune en fait, rien n’est remis en cause.

 

RMB : C’est une oligarchie, de la même manière qu’une salle de multinationale serait un oligopole. Ils se mettent d’accord sur des règles pour qu’il n’y ait pas un tiers qui arrive et qui supplante les partis qui sont déjà là. Donc en fait ils ont quand même des intérêts communs. Et ces intérêts communs c’est ce que l’on a vu dans tous les pays occidentaux : se remplir avec quelques exceptions : par exemple le système de financement des partis dans tous les pays a tué les nouveaux entrants et ont tués les militants. Vous avez remarqué le militantisme baisse à partir du moment ou l’on a créé les financements publics. Parce qu’un militant c’est quoi, c’est un emmerdeur, mais l’emmerdeur on le prend s’il paye, parce qu’il est là il faut du bouleau bénévole, il paye et donc on en a besoin. Mais si les financements viennent du contribuable, on a plus besoin de ces emmerdeurs qui pourraient changer la ligne donc en fait avec les financements publics on a rendu la vie des militants plus difficiles, beaucoup sont sortis des partis, avec la situation que l’on a aujourd’hui, avec moins de 1% des militants, ce qui équivaut à peu près à tous les postes électifs que l’on peut attribuer à quelqu’un.

 

Marie : Mais justement sur le financement du RIC, quelle est votre position sur le financement  du débat, des campagnes de récolte de signature ? Y-a-t-il un seuil clé ?

 

RMB : Après ça c’est une discussion entre gens qui défendent le RIC. Parce que la première question c’est comment il naît etc. donc là on part déjà dans une deuxième phase : quels sont le débat parmi les gens qui défendent le RIC. L’un des débats est la question de la régulation des campagnes. Est-ce que l’on peut utiliser autant de sous que l’on veut, est-ce qu’il y a des temps de parole. ; Donc il y a ceux qui sont très maximalistes, et ceux qui sont très minimalistes. Moi je suis dans les minimalistes. Pour une raison c’est-à-dire que la seule chose qui est importante, dans un RIC, en fait quand vous faites un RIC ? comme il y a des représentants qui prennent des décisions, en général quand vous faites un RIC, c’est que les représentants ne font pas ce que vous voulez, sinon vous ne le faites pas Donc le RIC est un instrument de contre-pouvoir, de contestation. Ce qui veut dire déjà que dans un RIC, quand on vote oui, on vote pour la proposition révolutionnaire, quand on vote non on vote contre. Et donc le non n’a absolument pas besoin d’être protégé par une quelconque loi, vu que c’est l’ensemble du parlement, la majorité parlementaire. Donc déjà le non il n’y a pas besoin. Le oui, il y a besoin naturellement de la protéger un peu, c’est-à-dire que la seule chose qu’il faut c’et que les pétitionnaires aient une visibilité suffisante pour protéger les pétitionnaires. Et donc pour ça je suis minimaliste mais pas non plus zéro. C’est-à-dire qu’il est utile d’avoir la possibilité pour les pétitionnaires d’avoir le droit d’être visible dans les médias. C’est la moindre des choses. Au-delà de ça je pense qu’il n’y a vraiment pas besoin de réguler en termes d’argent, si ce n’est qu’il Ya besoin que ce soit transparent. Car ce que l’on observe c'est que très souvent, les positionnements des gens n’étant pas suivis sur tous les sujets, très souvent ils utilisent des outils comme vous avez étudié ça peut-être. Ils disent bon n’y connais rien, mais je sais que je ne suis jamais d’accord avec l’industrie du tabac. Or si l’industrie du tabac a déposé beaucoup d’argent pour que je vote oui, alors je vote non. Donc en fait aider les gens à se positionner aide aussi les autres à se positionner. C‘est comme si vous allez au cinéma. Vous ne savez pas quel film vous allez voir. Mais vous avez autour de vous des gens, que ces personnes généralement quand elles vous disent un truc vous avez confiance, et cette autre en général quand elles conseillent un truc c’est le contraire qu’il faut faire. ET avec ces personnes là vous arrivez à faire votre choix le mieux possible. C’est comme ça que ça marche.

 

Marie : Et ça ça se régule aussi par la visibilité de chaque opinion. Parce que si on voit plus le oui que le non…

 

RMB : Non ça ce n’est pas possible, parce que si le non est défendu… On verra. Moi le oui… je vous fait un exemple. En suisse, les états américains c’est pareil mais la suisse c’est étonnant. Donc on a des RIC depuis 1891 vous savez quel est le taux de oui qui gagne ? 9%. Le non est vraiment majoritaire. 

 

Chloé : Ça dépend de comment on pose la question aussi non ? 

 

RMB : Mais la question c’est les gens qui choisissent. Si vous voulez lancer un RIC, vous posez une question et c’est vous qui l’écrivez.

 

Marie : Vous dites que ce sont les citoyens qui font les termes de la question. Mais du coup ont-ils vraiment besoin d’une assemblée délibérative, est-ce utile pour au niveau de la construction de ces termes, est-ce qu’il faut débattre avant des termes ?

 

RMB : Mais non l’assemblée délibérative sert dans un deuxième temps. Si on veut la faire, ce n’est pas si nécessaire que ça. Si on veut la faire on la fait et c’est sympa ;

 

Marie : Parce que là vous partez du postulat que les citoyens sont capables de proposer.

 

RMb : Oui je vais vous dire pourquoi. Aujourd’hui, dans la moyenne des français, 0 font partie d'associations. En revanche lorsque vous allez en Oregon, ou en Suisse, les gens sont dans deux associations, c’est la norme. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui être dans une association c’est quand même du boulot. Mais s’il y a le Ric c’est être dans une association c’est être avec des gens comme vous qui pensent de manière similaire sur certaines questions, et qui peuvent à tout moment lancer une loi. Donc une association compte car elle est susceptible de capter des signatures, de faire une campagne. C’est plus intéressant. C’est ce qui fait que vous êtes dans une association et que vous discutez, parce qu’il n’y a pas besoin d’une autorité publique pour faire discuter les gens, ils discutent normalement. Et pour mettre en place une initiative, l’association fait d’abord appel à un juriste, exterieur ou interne à l’association. 

 

Marie : C’est donc l’initiative d’un collectif.

 

RMB : Oui, il faut un collectif pour pouvoir obtenir 50 000, 100 000, 500 000 signatures. Et quand vous avez le RIC dans un pays, il y a plus de collectif, plus d’association, parce que les gens trouvent un intérêt à y aller. Donc les deux se renforcent. Et donc les assemblées délibératives c’est sympa mais ça part d’un mauvais sentiment. Ça part d’un sentiment de dire qu’il faut faire discuter les gens dans de bonnes conditions parce que les gens sont débiles, ils ne savent pas discuter dans de bonnes conditions. C’est là une idée paternaliste. Par exemple le projet de Terra Nova propose deux choses : l’idée d’une assemblée délibérante, et le projet lui-même. Le projet lui-même est nul. L’idée d’une assemblée délibérante est pas mal, et existe. C‘est ce qui est remonté en Oregon. En Oregon, il y a une démocratie directe très forte, qui peut changer la constitution de l’Oregon. Les états des USA peuvent changer leur constitution. En Oregon ils ont voté par exemple sur la peine de mort depuis 1914, six fois. D’ailleurs la première fois qu’ils l’ont aboli c’était en 1914 par RIC, au référendum. Et donc avec le temps qui passe, ils ont remarqué que quand vous recevez le bulletin de vote, en fait vous recevez aussi l’avis des partis, avec un petit argumentaire. En Oregon ils se sont dit que les gens ne se reconnaissaient plus dans les partis. L’idée est donc de faire proposer une assemblée tirée au sort, pour faire discuter cette assemblée sur cette question, et produire des préconisations. Ainsi, quand les citoyens reçoivent leur bulletin, ils peuvent mieux s’identifier à l’assemblée tirée au sort et avoir confiance dans la préconisation. Cependant, c’est quelque chose de très consultatif, juste pour donner une information aux gens qui eux ne l’ont pas. On fait juste confiance à des gens tirés au sort plutôt qu’à des partis. Ainsi, par rapport aux principes du RIC, cela n’a aucune influence, c’est un embellissement. 

  

Marie : Mais comment ça peut-être un avis majoritaire si seule une minorité s’y intéresse ?

 

RMB : C’est une question intéressante. Pour l’instant, le RIC a quand même une petite défense contre ça : la fréquence des référendums. En Suisse ou aux Etats-Unis, il y a 40 % de participation pour les référendums. On peut dire que ce n’est pas très haut, mais comme il y en a plein, chaque Suisse vote à peu près 15 fois plus que chaque français, tout en s’abstenant la moitié des fois. Aussi, les référendums créent beaucoup d’abstention, mais pas toujours la même, contrairement aux élections. Aux élections c’est toujours les non instruits, avec peu de capital social qui ne vont pas voter. Alors qu’aux référendums non, les publics changent. Et je vais vous prendre un exemple. Un article a été publié cette année par une américaine, qui porte sur la Suède. Il y avait la démocratie directe, et elle a été enlevée au moment où ils ont donné le suffrage universel. On s’est rendu compte, grâce aux bureaux de vote qui étaient séparés entre hommes et femmes, que les femmes votaient moins aux élections qu’aux référendums. On s’est ainsi rendu compte que ce n’était pas le manque d’information mais parce qu’il n’y avait pas de candidats femmes. L’exemple de la Suède a ainsi démontré que le problème n’est pas l’information, mais l’identification. Aussi, lors d’une élection, les abstentionnistes sont toujours les gens marginalisés, alors que dans les référendums, ça tourne. Ce qui fait, pour revenir à votre question, que la majorité mal informée ne participe pas à la place de la minorité, simplement parce qu’il y a beaucoup de taux d’abstention à chaque fois, et en fait se déplacent les gens qui sont plus concernés. Ce n’est pas toujours les mêmes car ça dépend des questions.

 

Chloé : Du coup est-ce qu’on arriverait à atteindre les seuils de signatures nécessaires, si c’est toujours une minorité qui s’exprime ?

 

RMB : On parle d’une minorité de 40% quand même. Vous savez avec combien de gens a été élu Macron ?

 

Chloé : Oui, mais par exemple sur une réforme sur la modification de Sciences Po il n’y aurait pas du tout assez de monde mobilisé pour faire un RIC.

 

RMB : Oui, mais les gens ont fait un truc qui s’appelle le Quorum, qui n’existe pas dans les pays sérieux, mais qui existe dans les pays qui ont introduit le RIC tardivement, un peu comme une concession. Le Quorum qui existe d’ailleurs en France dans les référendums locaux, c’est « il faut au moins, par exemple 35 % de oui, ou 50 % de participation, pour que ce soit validé ». Oui mais si deux votent oui, et un vote non, une loi passe, et il y aura trois votants. La question est si mon vote peut être décisif. Et ça ça fait voter les gens, parce qu’ils se disent qu’ils peuvent prendre des décisions. Donc en fait paradoxalement ça fait voter, alors que quand vous mettez une limite, un quorum, automatiquement vous donnez une incitation à des gens à ne pas faire voter des gens. S’il faut 50 %, moi je suis contre, j’ai intérêt à ne pas en parler, à dire aux autres de ne pas voter, à diminuer le débat public au maximum, et donc le quorum c’est une incitation à faire en sorte que les autres ne votent pas, et que nous même on ne vote pas. 

 

Marie : Et vous parlez du vote quadratique.

 

RMB : Oui c’est une solution supplémentaire à ce problème que vous avez posé. Le constat est que malgré tout, certains restent systématiquement plus abstentionnistes que d’autre. De plus, l’intensité dans le vote ne compte pas, chacun compte une voix. Le vote quadratique a été une solution récente pour résoudre ces deux problèmes. L’idée est qu’au lieu que chacun ait une voix, chacun a mille voix au cours de sa vie. Il peut dépenser comme il veut ces milles voix. Naturellement on ne peut pas voter 10 voix dans un référendum. Le vote est quadratique : plus on dépense de voix, moins ça vaut. Cela fait que celui qui n’a jamais voté, tout un coup il se retrouve à avoir trois voix sur un sujet qui lui tient à coeur. Il permet de réintégrer dans un système de vote des gens qui s’excluent, et en même temps de prendre un petit peu en compte le fait que certains enjeux sont plus importants pour certains que d’autres. 

 

Marie : Ce système existe déjà ?

 

RMB : Non ça a été juste proposé par deux américains, Bale et Porter, en 2017, mais ça n’a jamais été testé. 

 

Marie : Avez-vous un autre système pour obliger les gens à aller voter ?

 

RMB : Moi c’est le système que je préfère. Mais il y en a d’autres, par exemple le vote obligatoire. Il y a des pays, comme l’Australie ou la Belgique qui ont un vote obligatoire, c’est-à-dire que si vous ne votez pas, vous avez une amende. Evidemment le vote obligatoire c’est une peu dur avec le RIC, car s’il y a des RIC tous les deux mois, comme en Suisse, et en plus le vote obligatoire, c’est compliqué. Un canton l’a toujours et a un taux de participation de 68 % contre 40 % en moyenne des autres. Donc le vote obligatoire ça marche, et surtout, l’amende étant pareil pour tous, mais finalement  plus élevée pour les pauvres comparativement à leurs revenus, incite particulièrement les pauvres à voter.

 

Chloé : Ce n’est pas représentatif non plus.

 

RMB : Si, parce que les riches votent plus. Même sans amende, les riches votent presque tous, et les pauvres très peu. Avec l’amende, les pauvres votent plus, c’est pour ça qu’on observe par exemple statistiquement que les pays qui ont le vote obligatoire re-distribuent plus les revenus. Les pauvres votent plus, donc les partis se disent il faut attirer les pauvres, et les programmes tendent plus vers la redistribution.

 

Chloé :  Et pour la France vous pensez que ce serait faisable ? 

 

RMB: Je pense que c’est un peu excessif. Je préfère le vote alternatif. Mais je pense que même sans l’un ou sans l’autre c’est très bien aussi. Les systèmes peuvent toujours être amélioré, et c’est très bien qu’on réfléchisse de ces trucs. Mais pour l’instant en France, pour l’instant on a vraiment besoin d’un changement basique institutionnel. Après on discutera de ces petits détails. Etant donné que le RIC produit des publics qui tournent selon les référendums et produit une augmentation des connaissances des gens sur les problèmes, il suffit à résoudre une partie du problème. 

 

Chloé: Vous pensez qu’un RIC implique nécessairement une augmentation de la connaissance des gens et leurs compétences politiques ? Pour moi ce n’est pas vraiment lié à la question de la compétence des gens. Si on pose une question sur le nucléaire, je peux m’informer mais je ne serai pas compétente pour écrire une loi dessus. 

 

RMB: Non, vous devez distinguer la compétence pour voter une loi et la compétence pour écrire. Et c’est les deux. Parce que l’écrire c’est le droit initiatif. Je vous ai raconté tout à l’heure comment ca se passe dire que association. Ensuite vous avez suffisamment de signatures, et ca part en référendum, et là les autres doivent juste voter; pas l’écrire, juste voter sur ce que vous avez écrit. Je fais une proposition de loi, je suis d’accord, je vote, sinon non. Une loi de connaissance c’est different, nécessaire pour voter par rapport à écrire. Au niveau du vote , évidemment que comme vous allez, il y a une question qui va décider le sort de votre pays, vous allez vous y intéresser. Non pas vous?

 

Chloé: Je ne suis pas certaine qu’on puisse généraliser ca comme ca. 

 

RMB: Ah non mais c’est comme ca. C’est vrai en suisse, c’est vrai aux États-Unis, au Liechtenstein, aux Îles d’Alaos, Taiwan. Et donc c’est peut-être juste pas vrai pour les français, mais je ne pense pas. Aux Etats-Unis, c’est intéressant par exemple : 24 états - la moitié donc - ont le RIC et l’autre moitié ne l’ont pas. C’est très facile de comparer l'évolution et les faits sont clairs. Et on peut le voir même en France, parce que, quelque soit votre opinion concernant le résultat sur le Referendum 2005 par exemple, ce qui est intéressant c’est qu’en 2000, il y avait 80% des gens qui étaient pour le oui. En 2001, 81% et en 2002, 80%. Dès qu’on a posé sur la table “on fait un référendum”, là les opinions ont évolués. Alors bon sens, mauvais sens, peu importe. La question est : elles ont évolués et elles ne bougeaient pas avant.Donc ca veut dire que au moment où on pose la question aux gens, avant les gens disent oui, parce qu'ils ne savent pas, ils délèguent, mais au moment où on leur pose la question, ils se mettent à discuter, dans les cafés, dans les bars. 

 

Chloé: Mais en fait, ce que je disais c’est simplement que aujourd’hui on critiquait beaucoup le référendum, parce que on vote plutôt pour ou contre celui qui est initiateur, et donc si l’initiateur devient le citoyen, je peur que le procédé reste le même et qu’on vote pour ou contre, en fonction des partis qui se rattachent au oui ou non. 

 

RMB: Et? 

 

Chloé: Bah on va plus vraiment voir la question se poser?

 

RMB: Ca veut dire, excusez-moi, mais quand vous devez décider d’aller voire un film, vous allez vous conseiller. 

 

Chloé: Oui 

 

RMB: Vous êtes pas une spécialiste nécessaire des films, je ne sais pas “policier”. Alors vous demandez à quelqu’un que vous connaissez. Mais comment vous l’avez choisi, cette personne que vous avez choisi, c’est qu’elle a le même goût que vous. Donc on a quand même le droit de voter pour un truc, en prenant les gens à qui on fait confiance. 

 

Chloé: Oui, mais dans ce cas là on ne donne pas la main à nos connaissances, mais aux gens qu’on fait confiance. 

 

RMB: Non c’est vrai, et dans le même temps ce qui va se passer, c’est que vous vous informez, vous utilisez ca, mais vous vous informez quand même, notamment parce que, quand vous voyez un film, la confiance en quelqu’un se bâti par le fait que vous allez voir le film et vous dites, “ah, encore une fois il a eu raison”. Ou alors, “non la par contre, qu’est ce qui lui a pris”. c’est comme ca que ca se bâtit, donc, en fait vous avez un peu des deux, vous avez une question de liberté d’opinion, vous faite confiance, mais à côté, vous êtes sûres, vous voulez quand même vous assurer que votre conseiller n’est pas en train de vous embrouiller dans la mauvaise piste, donc vous avez ces deux effets. C’est pas que les gens deviennent spécialistes du sujet, mais il s’y connaissent plus qu’avant et l’anecdote marrante sur les Suisses c’est que dans les enquêtes européennes, c’est ceux qui connaissent le mieux l’Union Européenne. Et sont dehors. 

 

Marie: Et justement en Suisse ils n’ont que le RIC constitutionnel? 

 

RMB: Non alors, ils ont le RIC constitutionnel, le RIC qui ici généralement s’appelle abrogatif, mais en technique s’appelle suspensif. Si une loi passe, celle-ci est gelée 3 mois avant de pouvoir la mettre en application. Si durant les trois mois 50.000 signatures sont recoltés, on fait un référendum pour l’abroger ou non. 

 

Marie: Et donc, vous êtes pour ou contre le RIC CARL? 

 

RMB: Je suis pour, bien sûr, mais avant tout je suis pour le RIC constitutionnel. C’est ça qui compte. Pourquoi ? Parce que le système est construit avec le gouvernement qui peut prendre une décision vite, même si peu légitime et des institutions, le parlement, qui prend des décisions plus lentement mais plus légitimes. Le gouvernement peut faire un décret rapidement mais le dernier mot revient au parlement qui seul peut voter les lois. Donc c’est bien quand même l’équilibre. On a quelqu’un qui peut faire face aux urgences, mais aussi on a quelque chose qui est beaucoup plus long et exige beaucoup plus d’accord pour déterminer si cette urgence là est continue ou non. Le RIC fait juste un pas de plus, on en a trois maintenant. On a l’exécutif, le parlement et le vote populaire. Le vote populaire décide sur les lois constitutionnelles, le parlement sur les lois normales et le gouvernement sur les décrets. Le gouvernement peut prendre une décision hyper rapide, mais le parlement peut lui dire non. Si le parlement dit non ou oui, il y a aussi une instance supplémentaire et plus longue encore, parce que, pour recueillir les signatures il faut deux mois, c’est un referendum. Donc toute la procédure dure deux ans, encore beaucoup plus long que le parlement. En plus ca exige le consensus de plein de gens qui vont voter. Donc ça c’est une procédure, et c’est beaucoup plus compliqué, mais ca permet au parlement de contrôler qui lui contrôle l’exécutif. Donc c’est simplement un approfondissement du système démocratique. Donc, si c’est pas constitutionnel, ça veut dire que c’est le parlement qui décide de la constitution, donc c’est le parlement qui a le dernier mot, pas contre le référendum. Puisque le référendum ne peut pas changer la constitution. 

 

Marie: Oui, il y a toujours le parlement à la fin. 

 

RMB: Voilà, et ça sert à rien parce que si moi je vous dis, vous savez, par exemple, si l’exécutif avait le dernier mot par rapport au parlement, bah le parlement serait mort; déjà qu’il est un peu mort, mais il serait vraiment mort, parce que ce serait la Syrie par exemple. La Syrie c’est comme ça. Il y a bien un parlement hein, il est élu, mais l’exécutif a le dernier mot. Donc comme l’exécutif est aussi plus rapide, bah le parlement il est à un mois pour décider un truc, l'exécutif dit “non je change”, et donc l’institution la plus lente doit être aussi la plus importante, sinon ça sert a rien. Donc tout ce qui n’est pas changement constitutionnel, c’est RIC, c’est bien, c’est sympa, les gens votent mais on s’en fout.

 

Marie: Ouais, c’est vrai, c’est plus décisionnel.

 

RMB: Oui, après même si c’est décisionnel, après le parlement peut rectifier avec une nouvelle loi donc. Donc voilà, pour moi, le RIC CARL, c’est le RIC, parce que quand on fait un RIC constitutionnel, quand on peut changer la constitution, après on peut par RIC, ajouter un abrogatif, ajouter un législatif, et donc les Suisses par exemple ont décidé de ne pas ajouter un législatif, ils ne veulent pas ça. 

 

Chloé: Pourquoi? 

 

RMB: Eh bah, parce que, si on ajoute un législatif, le risque c’est de faire des lois et du coup le parlement pourra les changer, et donc on risque de créer un piège. Vous imaginez, il y a une énergie incroyable pour devoir faire un RIC. Recueillir des signatures, ré-écrire, les juristes...en fait, ça vous prend deux ans de votre vie, c’est une croisade. Si c’est pour changer une loi qui ensuite va être re-modifiée par le parlement deux ans après, c’est juste suicidaire. Alors comme l’Arizona a dit, on n’a qu’à dire que les lois votées par le RIC ne peuvent pas être changées par le parlement. Les Suisses ont préféré dire, non non, nous de toute façon si on fait une loi, par initiative, ça doit être changement constitutionnel. Même si c’est pas de trucs constitutionnels classiques. Par exemple en Suisse, dans la constitution il y a le droit à l’usage au vélo. C’est pas quelque chose d’habituel dans une constitution. Mais, en fait, la différence chez nous, c’est que la constitution c’est les pères constituants, les differentiations de pouvoirs, etc. En Suisse la constitution c’est ce qui est voté directement. Rien de plus. Qui vaut donc plus que les lois. Et donc ils ne veulent pas des lois pour cette raison là. Et donc ils ne veulent pas non plus des référendums, ce qui s’appelle révocatoire, le recall, parce qu’ils n’ont pas besoin, avec le RIC on comprend très bien ces gens, mais par contre certains cantons suisses l’ont, 7 cantons l’ont. Le recall est très utilisé aux États-Unis, au niveau cantonal. Au niveau national des pays d’Amérique latine, et ce qui est particulier du référendum révocatoire, c’est que quand les autres RIC fonctionnent, personne ne révoque personne. Ce qui a suffisamment de contrôle. Par contre, quand le reste ne fonctionne pas, il y a de la révocation tout le temps, donc le record du monde c’est Pérou, dans lequel, comme le RIC ne marche pas, mais par contre il y a le révocatoire, un élu sur deux a une procédure de révocation contre lui, c’est un truc hallucinant. C’est celui que j’aime le moins. J’aime bien qu’il y ait cette possibilité. De toute façon je sais qu’elle sera marginale.

 

Marie: Justement, pour revenir sur l’échelle, vous croyez qu’il y a une différence entre un RIC à l’échelle nationale et un RIC à l’échelle locale?

 

RMB: Non, il faut quand même dire que l’échelle nationale c’est clair et que l’échelle locale c’est très varié, parce que l’échelle locale en Suisse ou aux États-Unis n’a rien avoir avec l’échelle locale en France. Eux, ils peuvent décider leur langue officielle, ils peuvent décider si leur salaire peut se cumuler ou pas, ils peuvent décider de la gestion des écoles et les programmes scolaires donc bon. En France, rien de tout ca, ce qui fait que quand on se demande si le RIC local compte, bah les états américains ont des constitutions qui peuvent déroger la constitution nationale. Il faut des conditions, mais voilà. Alors vous imaginez si l’Occitanie a une constitution et peut déroger la constitution française. Voila, donc, si c'est local, si le pays est très fédéral, au niveau local, ça a un intérêt. S’il est pas fédéral, ca n’a quasiment pas d’intérêt.
J’ai travaillé sur le RIC local à Grenoble avec Eric Piolle, le maire. Je fais des propositions parce que ça sensibilise les gens. On a réécrit le RIC pour toutes les communes et on est en train de circuler un rapport sur “comment faire un RIC communal”, comment on fait pour ne pas se faire casser, parce que vous savez c’est interdit de faire un RIC en France. Donc on essaie d’étudier comment utiliser les outils légaux à disposition pour le faire quand même. 

L’impact de ce projet est donc local, il ne sert à rien mais a une valeur essentiellement pédagogique. 

 

Marie: Justement, comme vous voulez instaurer le RIC au travers de l’amendement 89 de la constitution, comment vous y allez arriver en fait, puisque pour l’instant c’est impossible de changer la constitution ? 

 

RMB: Il y a deux travails. Le premier est le mien. C’est de dire, quelle est la revendication la plus claire, voir la plus simple, la plus facile à maîtriser qu’on peut avoir concernant cette question? Je pense que là dessus ma proposition a beaucoup de mérite, parce que elle est hyper simple, tout le monde peut la comprendre, et il change seulement un article de la constitution, le 89.

 

Marie: Que le 89? 

 

RMB: Oui, parce que le reste on l’utilise… C’est celui qui permet ensuite de voir, après ça tout changement constitutionnel pourra être fait via RIC et après je ne veux pas dire comme révocatoire. On ne va pas le faire pareil. Mais par contre, dans le type, pour rentrer dedans, et pour aussi le souder, parce qu’on ne peut pas revenir dessus, parce qu’on aura un référendum obligatoire comme l’Irlande, donc on ne peut pas changer la constitution sans référendum. Donc ça c’est l’avantage. Pour une bonne revendication il faut deux choses: Il faut une revendication claire et un groupe mobilisé et suffisamment de pression. Concernant le groupe mobilisé, je le fais  bien, mais je suis quand même nul, il y en a qui font beaucoup mieux.

 

Marie: Il y a qui? 

 

RMB: Bah tous les gens qui ont réussi à mobiliser les gilets … Quand vous prenez un type comme Etienne Chouard, on a deux types de démocratie directe, mais j’ai l’impression que c’est un peu flou ce qu’il pense, par contre il a une capacité à attirer les gens, qui est étonnante. Et donc, moi l’autre jour quand j’ai sorti mon rapport, je l’ai mis sur mon Facebook, j’ai pas beaucoup d’amis. J’ai quoi, 12 partages, mais heureusement maintenant j’ai des amis qui ont un peu plus d'écho, qui ont bien travaillé leur truc, et donc eux ils le mettent sur leur FB et là il y a 60-65-70 partages, c’est génial. Il y a quelques jours, il y a Chouard qui tombe sur mon rapport et qui veut faire la pub, il le met sur son site et là on est à 500 partages. Donc c’est pas du tout la même dimension. Moi, je vaux en termes mobilisateur 12 partages, par contre là où je fais mon utilité c’est que je permets de formuler la revendication. Parce que si on fait une autre que celle d’Article 3, qui est sympa mais je vais vous dire que les gens d’Article 3 sont rangés aujourd’hui à ma proposition. C’est à dire qu'ils reconnaissent que leur truc est hyper compliqué, hyper contestable. En fait, mais c’est bien, je ne dis pas ça en disant que je suis mieux, c’est que tout le monde discute et à un moment donné il y a des propositions qui sont plus pratiques et c’est vrai, comme moi je suis un rat de bibliothèque, eh bah, pour la même raison pour laquelle je suis nul à mobiliser les gens bah je suis quand même meilleur à identifier des problèmes légaux, voilà.

 

Chloé: Du coup, ça serait à eux de s’occuper des aspects légaux, sur comment l’instaurer? 

 

RMB: Non en fait il y a deux choses: Il y a la stratégie elle même et il y a la partie pour mobiliser les gens. Pour l’instant la stratégie chez les gilets jaunes n’as pas été fameuse mais je suis responsable aussi, mais parce que c’étaient des stratégies très très énergivores, pour des résultats nuls. Les gens se sont retrouvés blessés dans des manifs avec des amendes, parce que quand ils avaient sur des ronds points des flics des amendes pour leurs voitures, puis puisqu’ils sont dit ce truc avec des raisons familiales, tout ça, tout ça pour rien en fait. Donc c’est épuisant. Idéalement, leur stratégie c’est un truc qui ne coûte rien, par contre ça fait beaucoup chier les autres. Donc, et ça c’est difficile à réfléchir, donc là je veux dire … 

 

Chloé: Donc pour imposer le RIC dans la constitution et modifier l’article 89, ça doit venir du peuple, ça doit venir de la politique?

 

RMB: Mais c’est très simple, aujourd’hui je veux dire c’est le président qui peut faire ça et peut la soumettre… un changement constitutionnel peut venir d’un parlementaire de président, mais après, mais ca c’est l’initiative, mais qui dit oui ou non, bah c’est le parlement, ou au mieux le congrès ou le référendum, donc on a déjà le référendum, ça on avait vu. Ce qui fait, d’ailleurs, vous connaissez la statistique sur les … parce que vous avez vu la loi dans mon bouquin, je ne sais pas, la loi elle dit: un changement constitutionnel est ratifié par un référendum, toutefois les deux tiers du parlement peuvent être utilisés pour ratifier à la place du référendum. “Toutefois”, ça veut dire quoi, ça veut dire que c’est exceptionnel, on est d’accord. Vous connaissez combien de fois “toutefois” à été utilisé, par rapport au référendum? 23 changements constitutionnels, 22 toutefois et un par référendum. Donc en fait cette procédure qui était conçue comme exceptionnelle est devenue la norme. Parce que le parlement est devenu plus prévisible. Et donc, la question est, qui soumet un référendum, qui décide qu’il est soumis à un référendum, ou aux deux tiers de l’assemblée du parlement? C’est le président. 

 

Marie: Oui, c’est ce que vous dites. Vous dites que le référendum doit être déclenché par des …? Et donc ca veut dire quoi en fait? 

 

RMB: Alors aujourd’hui c’est seulement le président qui peut lancer un référendum. Aujourd'hui, vous devez faire un texte de loi et vous dites qui doit lancer un référendum. Vous devez prendre en compte deux paramètres: 

Ne pas trop modifier ce qu’il y a maintenant, parce que sinon, voilà. Mais en même temps il faut avoir l’effet que vous voulez. Donc le truc est très simple. Si c’est le président, si c’est lui qui lance le référendum, ça ne me gêne pas, à condition, qu’il n'ait pas la discrétion de le lancer ou non. Parce que le président, c’est un bureaucrate en fait. En fait, signer une loi, c’est le président qui est censé le faire, mais de fait il ne … pas très tôt … quoique il a la possibilité de mettre le véto sur une loi, mais sur certaines choses il n’a pas la possibilité de faire cela. Donc simplement, le fait que ce soit le président ce n’est pas le problème. Le problème c’est que ce soit à la discrétion du président, donc dans la proposition que je fais, il est plus à la discrétion du président puisqu'il est constitutionnellement garanti. Donc le président est seulement celui qui doit, qui est obligé de le lancer. Et il faut quelqu’un qui est obligé de le lancer parce que ça ne se fait pas tout seul, une décision de mise en place d’un référendum, vous voyez? Alors…. on risque pas de ne pas avoir de référendum, par contre il est possible que le président décide de le lancer dans 6 mois, ou dans un an ou dans deux ans. Il a la discrétion de la date. Bon, est-ce-que c’est grave que le président à la discrétion de la date, il peut l’utiliser de façon stratégique, mais si on commence à avoir une telle méfiance, pas très grave, si, ca peut se retourner contre lui, si il décide de mettre une date trop stratégique. En France, il y a eu ca aussi, les punitions, parce que donc en fait ça ne me pose pas trop de problème. Le problème serait, aujourd’hui, parce que le président est discrétionnaire dans son choix. Vous voyez, c’est pas grave de laisser la même institution. C’est une bonne institution, le président. Mais il faut comprendre la distinction entre, vous voyez, quand un notaire vous vend une maison, si la maison est faite dans les règles, enfin l’achat du contrat, n’as pas droit de ne pas vous faire signer. On a besoin du notaire, mais le notaire ne peut pas empêcher que la transaction ait lieu. Donc, les institutions servent à ça aussi. Il y a des fois, elles servent qu'à tamponner des trucs, pouvoir l’officialiser et sans qu’elles aient le choix. 

 

Chloé: Et justement, en parlant d’institution, vous parlez d’institution judiciaire qui contrôlerait une sorte de constitutionnalité, enfin le contenu du RIC. On a pas trop compris ce qu’ils contrôlent.

 

RMB: Alors, oui. Il faut un contrôle parce que; ce n’est pas un contrôle sur le contenu, c’est un contrôle sur la forme. Deux types de contrôle qu’il faut faire. Un sur les signatures, bien sûr, est-ce-qu’elles sont authentiques, et l’autre c’est sur la forme, la formulation, qui s’appelle la contrainte de matière. C’est à dire que, la vertu d’un RIC c’est qu’il porte sur une question. Si moi je vous dis, on va faire un RIC sur les taxes sur l’essence, on va les augmenter, on va augmenter les bourses pour les étudiants Sciences Po et on va diminuer les impôts des commerçants. Donc si je dis ça, vous peut-être que vous ne vous intéressez qu’aux bourses de SciencesPo et vous êtes obligés d’acheter le “paquet”. Or le principe du référendum est précisément celui d’isoler les questionnement les uns des autres. Donc il faut s’assurer qu’il y a unité de matière, c’est à dire que le sujet sur lequel porte le référendum soit unique. Mais c’est tout. Tous les sujets sont possibles. C’est juste qu’il ne faut pas en mettre deux. Si on en a deux, on lance deux pétitions. 

 

Marie: Comme ça, ça contrôle que ça?

 

RMB: Ca contrôle que ça. Les tribunaux administratifs ne contrôlent que ça, et c’est pour ça que je l’ai mis au tribunal administratif, parce que précisément c’est une question administrative et c’est pas une question de contenu. Sinon ce serait les cours constitutionnelles. 

 

Chloé: Donc aucun contrôle de constitutionnalité, parce que ca peut modifier la constitution. 

 

RMB: Bah oui. 

 

Marie: Et pour le contrôle de signature, ça se fait par qui ? 

 

RMB: Le conseil d’État. Le conseil d’État reste toujours le top administratif. C’est qu’une procédure administrative qui consiste à dire que la forme de la procédure était respectée. C’est-à-dire que les signatures sont vraies et que la pétition porte sur un seul projet. 

 

Marie: Parce qu’il y a l’histoire des supports de la récolte des signatures, justement, en Suisse, c’est uniquement sur papier, mais est-ce-que c’est important?

 

RMB: Ah c’est important que ça soit sur papier, après ça peut être que sur papier ou que sur internet, les deux. Mais l’important c’est que ce soit sur papier, parce qu’en fait la récolte de signatures quand c’est sur papier, pour l’instant, on va faire signer les gens en allant dans les marchés, en allant dans les universités etc. Ca nous permet aussi de parler avec des gens, d’expliquer le projet. Si, vous essayez de faire signer quelqu’un en disant “je vous explique le projet” et puis vous allez sur http.www….etc.. plein n’y vont pas en fait. Donc la question est, la récolte des signatures est aussi un moyen de voir l'écho que ça a dans la population, de faire campagne sur la question, de sensibiliser. Et beaucoup de référendums sont des campagnes de sensibilisation. En Suisse il y a eu le référendum sur le revenu universel, qui a été rejeté par 75% des gens, et les gens qui l’ont lancé savaient qu’ils seraient minoritaires, mais ils voulaient qu’on en discute. Et donc, on lance un référendum pour discuter de cette question. C’est pas mal ça aussi. Je vois que vous n’aimez pas la démocratie directe. 

 

Chloé: Non c’est pas ça, j’ai juste du mal à comprendre comment ça peut être appliqué sachant qu’aujourd’hui il y a de moins en moins de liens sociaux dans la vie sociale réelle. Et que les gens sont de plus en plus réticents à toute approche dans la ville. Je sais que moi par exemple j’ai beaucoup d’écho des gens qui détestent les recruteurs de donateurs pour les assos. Et il y a plein de gens qui détestent ce principe, parce qu’ils n’aiment pas être abordés dans la rue de manière générale, même si c’est pour des choses qui peuvent les intéresser. 

 

RMB: Surtout quand on leur demande de l’argent. 

 

Chloé: Oui.

 

RMB: Là, quand on demande des signatures… 

 

Chloe: Mais par principe…

 

RMB: Mais, vous savez, dans la vraie vie, toutes ces objections là, pour moi c’est pas grave, vous gardez votre avis, mais toutes ces objections de dire, les gens ne sont pas prêts, les gens sont égoïstes, les gens s’occupent de leurs petites affaires, les gens sont pas compétents etc. Tous ces arguments là, vous allez voir, au 19è siècle, il y a un petit échantillon de citations dans mon livre mais j’en ai chez moi beaucoup plus, c’étaient les mêmes utilisés pour le droit de vote universel. Les mêmes, pour le vote des femmes. “Ah elles ne sont pas prêtes, elles ne s’intéressent pas à la politique, elles sont fermées, elles s’intéressent qu'à leur ménage, elles suivent l’avis du curé”. La même chose. Donc, je pense que c’est pas bon ça, ça n’a jamais marché cet argument. Une fois qu’on a donné le droit de vote, à chaque fois, les gens l’ont exercé. Les femmes, disons au moins aussi compétentes que les hommes. Les hommes ont créés des systèmes qui sont meilleurs que quand il y avait des oligarchies ou le vote de l’aristocrate, donc tous les arguments de dire, on vote, on donne à des débiles, des égoïstes, des gens fermés, on jamais engendré du progrès.. Donc je crois pas non plus que c’est vrai pour le RIC. Mais si vous pensez que pour le RIC c’est vrai, je vous conseille d’affronter les arguments du 19è siècle qui disait ca pour le vote, parce que je suppose que vous êtes pour le vote des femmes, oui? Donc vous allez voir les arguments qui étaient les mêmes que pour le droit de vote et vous arrivez à expliquer pourquoi pour le RIC c’est différent. Alors que pour le vote des femmes c’est un argument qui était merdique. 

 

Marie: Du coup, vous voulez élargir le droit d’initier la pétition et l’assigner aux résidents sans droit de vote, pourquoi? 

 

RMB: Alors, il y a un problème de résidents au droit de vote qui est un problème non seulement pour eux mais pour tout le monde, qui est le fait que: aujourd’hui comme il y a mobilité entre pays, en fait le suffrage universel baisse tout simplement parce que les gens bougent. C’est à dire que les Français en Chine, enfin à Taiwan, ne peuvent pas voter parce qu’ils ne sont pas Taïwanais, et les Taïwanais en France ne peuvent pas voter parce qu’ils ne sont pas Français. Conséquence, les deux avant de bouger vont voter et maintenant ne votent plus. Donc le taux de gens qui votent diminue dans les pays. Certaines zones, comme par exemple Genève sont très internationalisés, 40% de la population n’est pas Suisse. Donc, une question c’est de dire, faut il donner le droit de vote? Là-dessus je ne me suis pas prononcé, parce que c’est un peu chaud et puis, parce que, de toute façon le RIC il faut l’adapter au droit électoral. Si il faut donner le droit de vote aux étrangers, ça se discutera après sur la question du droit électoral en général. On peut avoir le RIC pour certains. Par contre, les signatures c’est différent. Le droit de pétition c’est une autre chose et la question est: supposons que ok, les étrangers ne votent pas parce que quand même c’est ennuyeux, peut-être que je vis dans un pays trois ans seulement, donc je m’en fous de ce pays. Les signatures c’est une proposition. Après, si on permet aux étrangers de faire des propositions, c’est pas qu’ils vont changer la loi, mais au moins on connaît ce qu’ils pensent. 

 

Marie: Du coup, c’est utile pour la France, en France ou j’ai aucune idée de … 

 

RMB: Bah en fait, les gens ils vont se projeter à l’avenir. En France, le nombre d’étrangers est assez élevé quand même, mais dans l’avenir il sera encore plus élevé. Donc ça c’est vraiment intéressant de pouvoir avoir aussi le point de vue des gens, parce que parfois vous pouvez voter contre votre intérêt, ça arrive plein de fois, quand votre intérêt n’est pas trop affreux mais que vous vous rendez compte que l’intérêt des autres, vous avez pas envie de le vexer trop. Donc voilà, c’est pour ça que je le mets, franchement même si on le restreint au citoyen, c'est pas le point important. Le point important c’est vraiment l’accessibilité pour les gens et le fait qu’ils puissent changer la constitution. Après le reste… 

 

Marie: Et juste pour éclairer un peu plus, vous dites que les individus décident peu importe s'ils participent ou non. Est-ce-que vous pouvez justement reformuler cela?

 

RMB: Je peux vous sortir plutôt une autre punchline que je dis depuis récemment. Parce que là décider ceux qui participent, c’est ce que je disais toute à l’heure, si des personnes vont voter et qu’il y a 0 oui et 0 non, bah le oui gagne. Donc c’est une procédure décisionnelle. Et la question de la participation n’est pas requise. Mais pour vous comparer avec la démocratie participative, je vous aurais dit la nouvelle punchline. En fait, je déteste la démocratie participative, vous avez compris, et c’est très utilisé pour mettre de la confusion dans la discussion. Et donc, la différence nouvellement dite, c’est que dans la démocratie directe les élus travaillent et les électeurs décident, alors que dans la dans la démocratie participative les électeurs travaillent et les élus décident. Ca vous parle ça? Au mieux, les gens vont se rassembler après le boulot, alors qu’ils sont déjà fatigués et on les fait discuter pendant des heures sur les budgets et après ils n’ont même pas le pouvoir de décider si oui ou non. Ca c’est la démocratie participative. La directe c’est non, c’est vous travaillez, les élus, et si ça ne nous plait pas, on vous dit non. Donc c’est …

 

Marie: Ca remet le rôle à … voilà. 

 

RMB: Le rôle à chacun. Parce que les élus quand même on les paye pour travailler et pas pour décider.

 

Marie: Ok. Et dernière question peut-être: On est parti dessus mais on a pas répondu, la question  de si le RIC était populaire avant. Le passage du RIC au RIP. 

 

RMB: Ah, eh bien parce que Bachaud, lui il a décidé que ça s'appellerait le Référendum d’Initiative Citoyenne. 

 

Marie: Ah, ça vient de Bachaud? 

 

Chloé: Et pourquoi il a pris ce nom là? 

 

RMB: Je ne sais pas, alors lui… il m’a expliqué en plus un jour mais, parfois il est incompréhensible Bachaud, donc …

 

Marie: Est-ce-que ça a une connotation? Quelque chose comme ca? 

 

RMB: Je veux dire, les français, un truc assez sympa, marrant, c’est que quand ils découvrent un trucs, ils veulent le franciser. Ils veulent que ça soit quelque chose à eux, tu vois. Donc prendre le même nom qui existe à l’étranger c’est banal. Parce que à l’étranger c’est que Referendum d’initiative populaire. 

 

Chloé: Mais ça existe déjà avec le référendum d’initiative citoyenne partagé. 

 

RMB: Oui, mais ça ne s’appelait pas partagé à l’époque, mais par contre au niveau local il y a des consultations d’initiative populaire, ça se dit comme ca aussi. Donc le nom officiel c’était ça, tout le monde l’appelait comme ça. Et Yvan Bachaud disait non, il faut un autre truc à nous parce que populaire, je ne sais pas, ça veut dire tout et n’importe quoi. 

 

Marie: Il ne voulait pas de confusion avec le RIP parlementaire par exemple? 

 

RMB: Non, pas du tout, parce que le RIP parlementaire a été appelé partagé après que le RIC a existé, c’est à dire que le référendum d’initiative partagé à l’époque, il avait pas un nom spécifique parce qu’on en discutait pas tant que ca. Même qu’au début les gens en discutaient comme ça: “ouai mais ca existe déjà, le RIC c’est l’article 11”. Il n’y avait pas autre que la distinction, ça s’est créé clairement après le …., donc c’était pas pour ca. Et puis le RIC ils le défendent depuis longtemps donc. Donc non, c’était son truc que les gens utilisaient. Puis ils adorent. Parce que quand je fais des conférences avec les gilets jaunes, pour dire tout ce qui se passe en Suisse et aux États-Unis,  à la fois ils, sont contents que ca marche, mais plus déçus que c’est pas eux qu’ils l’ont inventé. Le truc c’est que ça aurait été sympa mais d’un autre côté, c’est sympa aussi le fait de savoir qu’on est juste des ra-ri-re que pleins de gens l’ont déjà, qu'on sait déjà que ça marche bien. 

 

Marie: Parce que plus simple de mettre en place quand ça existe déjà quelque part. 

 

RMB: Oui c’est sûr. Si les pays, si pleins de pays ont déjà le vote des femmes, c’est dur pour vous qui restez, comme la Suisse d’ailleurs, à dire “ah non, les femmes votent mal, hein, vous avez quand même plein de caves, vous avez pleins de retours” alors que si vous êtes le premier.

 

Chloé: Je ne sais pas si vous avez suivi la chronologie politique du RIC, mais nous on a vu que ça a plutôt ré-émergé en 1980 avec Mitterrand et Lalonde, et pourquoi cette époque là? On a pas réussi à trouver pourquoi en 80 précisément et pas dans les années bien avant ou après. 

 

RMB: Je ne peux pas trop vous aider là… Je sais que c’est classique de faire revenir dans les années 90s. 

 

Chloé: Mais dans les années 80 ça reste toujours quand même avec Bachaud qui l’a repris après, c’est resté. Mais on ne sait pas pourquoi c’est arrivé là et c’est resté là. 

 

RMB: Je ne sais pas. 

 

Chloé: Moi j’avais une dernière question sur les seuils que vous proposez. Comment vous avez décidé que ça allait être tel seuil plutôt qu’un autre? 

 

RMB: Avec deux considérations. La première, c’est le chiffre absolu et l’autre c’est le chiffre relatif. Le chiffre relatif, c’est par exemple 20%, 2% du chiffre électoral, le chiffre absolu c’est 500, 700 etc. 

700 c’est un chiffre légèrement inférieur à 2%, ce qui est le seuil Suisse. Mais en même temps, (téléphone sonne)…

Un changement constitutionnel doit quand même avoir un seuil qui n’est pas nul de demandes d’initiative et 2% c’est un des seuils les plus bas. Aux États-Unis c’est un seuil de 5% parce qu’ils peuvent changer la constitution. En Uruguay c’est beaucoup. En même temps, les RICs à plus de 500 000 signatures ont tendance à ne pas marcher, parce que c’est dur. C’est dur de mettre beaucoup de monde. Et plus on a de monde et plus on donne de pouvoir aux grands groupes de proposer et non au petits groupes, ce qui fait qu’il a fallu faire une proposition qui est au milieu d’un seuil relatif, qui n’était pas trop bas, et un seuil absolu qui était atteignable. Donc on s’est dit, voilà ce seuil dans 700 c’est pas mal. C’est un peu au dessus de 2. C’est gros, mais c’est pas trop gros en fait. 

 

Marie: Pas trop gros pour l’atteindre. 

 

RMB: Voilà. Les pays qui ont.. [trop de bruit] Si vous êtes … ou .. c’est facile d’avoir 20%. Mais plus vous êtes gros, plus c’est dure. 

 

Chloé: Oui, donc 2% ca fait 700. 

 

RMB: Oui c’est ça. 700 c’est un peu moins de 2%, mais presque deux. 

 

Chloé: C’est dur à atteindre, en même temps c’est pas beaucoup.


RMB: Tout à fait, voilà c’est ça. Et si vous augmentez de un, si vous faites un cinq c’est vraiment bas et si vous êtes 1000 ou 1 million  vous dites bon il n’y a pas de RIC qui va marché avec 1 million de signatures dans le monde. Donc, voila. Ca vous va?

Guillaume Tusseau

Marius : pourquoi selon vous le RIC a mis tant de temps à apparaître en france ? Est-ce dû à l’histoire du référendum de notre pays ?

 

Guillaume Tusseau : Depuis la révolution française on est dans une démocratie représentative : le peuple n’exerce pas sa souveraineté mais en confie l’exercice à des représentants. C’est ce que dit l’article 3 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1791, qui est la première qui inaugure l’ère constitutionnelle française, on a l’idée que l’exercice de la souveraineté revient au peuple directement. Le peuple a l’essence, le principe, mais l’exercice est commis et délégué aux représentants. La première constitution avec le peuple qui exerce sa souveraineté, c’est celle de l’an 1, en 1793, et la deuxième celle de 1958. L’article 3 dit bien que le peuple exerce sa souveraineté par ses représentants, et par voie du référendum. Il y a un héritage pour ceux qui considèrent qu’en France on ne souhaite pas laisser le peuple s’exprimer directement. Non pas forcément par méchanceté ou par mépris pour le peuple, mais parce que l’on choisit un autre mode de représentation pour le peuple. et c’est très clair dans l’esprit de certains révolutionnaires comme Sieyès. Leur but n’est pas du tout de mettre en place un système de démocratie directe, mais bien un système de démocratie avec des représentants. Il y a plusieurs justifications à cela. la première est toute bête, matérielle, technique, on estime que l’on est trop nombreux pour gouverner dans un système de démocratie directe, ça ne peut pas réunir 70 millions de français, ou 47 millions d’électeurs, donc puisque matériellement ce n’est pas possible, on fait des élections représentatives. Il y a aussi des arguments un peu plus forts, qui sont que la représentation va faire en sorte que ce soit tendanciellement les plus compétents qui vont s’exprimer au nom du peuple et qui vont dégager, créer la volonté du peuple. Et ce sera une meilleure volonté que celle à l’état brut, celle de l’état général. Elle sera beaucoup mieux informée, avec des confrontations d’idées entre gens instruits désignés par le peuple. Donc la démocratie indirecte vient de ce choix. Elle vient aussi des très mauvaises expériences napoléoniennes : le peuple s’est exprimé directement lors des plébiscites, mais pour déléguer encore plus, cette fois pas à une assemblée, pour s’abandonner à un homme. On considère donc que vu l’usage que fait le peuple de sa souveraineté quand on lui laisse l’exercer, autant ne pas lui laisser s’en servir tout seul, et autant désigner des délégués.

 

Cédric : vous pensez que le débat tardif sur le ric s’explique par cette expérience napoléonienne ? Peut être que la réhabilitation du référendum par De Gaulle a contribué à relancer le débat, qu’en pensez vous ? 

 

Guillaume Tusseau : Oui, c’est le président qui l’a sollicité le plus sous la cinquième république. Mais à de nombreuses reprises ça a été un usage Napoléonien en fait, presque autoritaire : on a demandé au peuple de s’abandonner au chef providentiel qu’était De Gaulle pour solutionner tout un tas de difficultés. Mais lui avait comme idée que sur un certain nombre de points, il fallait que ce soit eux directement qui tranchent, et lui il y voyait la marque du rapport spécial qu’il avait su construire dans l’histoire avec le peuple français. Donc il y avait cette dimension bonapartiste. Pour De Gaulle, il y a un usage sain du référendum, parce que le peuple participe dans la cinquième république. Pour beaucoup et au premier rang François Mitterrand, l’usage par de Gaulle du référendum est délétère. C’est la marque de l’autorité, ça reste très présent. Ensuite, cette conception a évolué, car aucun autre président de la cinquième république n’a eu la conception de ce lien direct avec le peuple et de l’idée qu’il fallait consulter souvent le peuple. Ils ont fait très peu de référendum, et quand ils en ont fait, ça a été extrêmement risqué pour eux. Sur Maastricht, François Mitterrand a gagné, mais le pari était vraiment risqué. Sur la constitution européenne, c’est le fiasco pour la classe politique]. Pour le quinquennat, le peuple s’est complètement désintéressé de ces questions. Donc là on s’est dit, soit le peuple n’est pas intéressé quand on le consulte, soit il ne prend pas la bonne décision et c’est la position du politique qui est ensuite adopté ou un équivalent. Sarkozy a fait adopter un équivalent du traité de la constitution de l’Europe, sous la forme du traité de Lisbonne. Donc il y a quand même une crainte sur l’usage du référendum, parce qu’on dit que l’outil est pertinent, mais le peuple ne sait pas bien s’en servir, et qu’une fois qu’il l’a soit il s’en moque, soit il répond à celui qui pose la question en montrant sa détestation pour pour la classe politique. Sur le référendum sur la constitution européenne, En réalité on voit bien que le traité de Lisbonne, c’est un texte qui est absolument illisible pour le commun des mortels, c’est technique, c’est complexe. Comprendre les tenants et les aboutissants ça demande une expertise considérable, même pour les spécialistes de droit de l’union européenne, evidemment c’est une question aussi difficile, on ne peut la poser dans le cas d’un débat rationnel au peuple. Il y a quelque chose de très brutal, de très binaire, par rapport à un texte qui est plus complexe. 

On peut avoir l’attitude inverse, j’ai beaucoup développé cela dans un papier que vous pouvez trouver dans le magazine Le 1. il y a eu un numéro spécial sur le référendum. Je disais que c’est plutôt la raréfaction de l’usage qui fait qu’on rend le peuple plus incapable d’utiliser le référendum. Si il y avait des référendums plusieurs fois par ans, comme en Suisse, les gens considéreraient ça comme normal et organisé. En Suisse, c’est très pacifié, car en fait banal. Et en France tous les arguments pour dire que le référendum est dangereux et donc qu’il faudrait moins l’utiliser me semblent rendre encore plus périlleux l’usage du référendum. Le rejet du référendum s’auto-alimente en fait. Moins on l’utilise et plus ça devient périlleux quand on l’utilise. Au contraire, en le banalisant, en en faisant quelque chose de très quotidien, de peut-être plus naturel, on pacifierait les choses et finalement ça serait peut être un un mode d’expression publique qui serait concurrent certes de la représentation politique, mais après tout ce serait peut-être pas plus mal ou en tout cas complémentaire. 

 

Marius : Il y a un débat entre acteurs de la controverse sur la capacité politique du citoyen à prendre des décisions, quelle est votre position là dessus ? 

 

Guillaume Tusseau : Je pense que c’est aussi un argument qui ne tient pas, parce que si on pense que les citoyens sont trop stupides pour répondre à une question par oui ou par non, je ne vois pas pourquoi ils seraient suffisamment intelligents malgré tout pour avoir le droit de vote. Ensuite, après tout, dans la démocratie athénienne, une des idées centrales de la démocratie tourne autour des compétences propres des citoyens. Pour être charpentier ou restaurateur, vous avez besoin d’une compétence, d’une expertise, mais au contraire pour être citoyen il n’y a besoin d'aucune compétence et l’intérêt justement en démocratie c’est que la voix du voisin compte autant que la votre. Peut être que les gens ne sont pas instruits, mais je n’y vois pas un argument contre, mais au contraire, c’est ce qui devrait pousser à mettre en place des politiques publiques d’instruction civiques, de jury citoyen, de sites explicatifs etc.

 

Marius : Certains disent aussi que l’arrivée du RIC pourrait favoriser l’instruction politique des citoyens, de ce point de vue là, il existe des propositions notamment celle de Terra Nova, qui se basent sur une assemblée délibérative de citoyens tirée au sort, quel est votre point de vue ? 

 

Guillaume Tusseau . : Cela mérite d’être tenté, il y a la convention citoyenne pour le climat, ce sont des gens qui à priori n’ont pas d’expertise mais ça me semble très démocratique, ça ne peut qu’enrichir la volonté de confronter les arguments. Ca dévalorise la fonction politique traditionnelle, peut être, mais ceux qui sont amenés à délibérer dans les jurys citoyens se rendent compte que c’est difficile de délibérer, difficile d’avoir des opinions ou des analyses. Le peuple comprend en participant à ces assemblées de délibération que la tâche du politique n’est pas si facile que cela ce qui peut conduire à nuancer la méfiance ou le rejet de la classe politique un peu massif. L’argument de la faiblesse de la capacité des individus n’est pas un argument pour les exclure mais au contraire pour renforcer les dispositifs d’implication des citoyens. Certains pourraient dire “ça m’intéresse pas” mais au moins, ils sauraient pourquoi ils ne participent pas, ce ne serait pas un rejet non fondé. 

 

Cédric : A propos de la participation, vous évoquez le vote électronique dans l’interview avec Emile Magazine, à votre avis pourquoi ce n’est pas utilisé, pourquoi ce n’est pas démocratisé selon vous ? 

 

Guillaume Tusseau : Je pense que l’obstacle n’est pas vraiment technique. Je ne vois pas bien pourquoi il serait impossible de créer un espace entièrement sécurisé sur internet pour voter. Et s’il y avait des problèmes de piratage, on pourrait toujours refaire le vote trois jours après. L’hostilité, je pense qu’elle vient du rituel républicain du vote, ce n’est pas à négliger. Voter, se déplacer le dimanche dans un bureau de vote, c’est un geste citoyen qui a du sens, c’est une démarche pour les individus à laquelle je comprends très bien qu’on puisse dire “voter c’est un geste politique”. Que les gens prennent la peine de faire l’effort, c’est un rituel politique qui est important. Alors que si chacun est devant son écran, entre une série télé et une séance de yoga, c’est finalement un like de plus, sauf que c’est un like qui engage la vie de la cité, et il n’y a pas la même signification politique, le rituel n’est pas la même chose. 

 

Cédric : Dans la même idée, vous évoquez le vote obligatoire. Est ce que vous pensez que ça pourrait pallier à certaines inégalités  ? 

 

Guillaume Tusseau : Je ne suis pas sûre qu’une amende réduise les inégalités. On peut considérer qu’on a le choix ou pas d'être dans la communauté nationale. On pourrait aussi dire que les citoyens ont le droit de s’exclure de la participation politique et que c’est aussi une part de liberté politique des individus que de ne pas souhaiter participer à un processus qu’ils peuvent désapprouver. 

Marius : quelles formes de RIC à les résultats les plus satisfaisants à l’international ? 

 

Guillaume Tusseau : Le modèle le plus achevé est celui de la Suisse. Satisfaisant je ne peux pas le dire, ce serait une opinion subjective sur les décisions qui ont été prises. En termes de fonctionnement, c’est le meilleur exemple d’une utilisation vraiment routinisée dans un contexte politique particulier. 

 

Marius : dans quelle mesure il faudrait modifier la constitution française pour mettre en place un tel dispositif ? Modifier l’Article 3 comme le propose Yvan Bachaud ? 

 

Guillaume Tusseau : Modifier l’article 3, je ne vois pas l’utilité. Il n’y a aucun obstacle dans l’article 3 à la pratique du RIC. Il voulait peut être dire l’article 11 ou l’article 89, qui font plus obstacle au RIC. 

Cédric : Les membres de l’association Article 3 veulent modifier l’article comme ceci : “la souveraineté nationale appartient au peuple qu’il exerce […] ainsi que par le RIC ouvert en toute matière, ouverte aux élus…”. Selon vous cette modification de l’article ne suffirait pas ?

Guillaume Tusseau : Ah oui c’est certain, sur le plan technique il faut modifier l’article 11 mais je ne vois pas ce qu’on gagne avec cette modification proposée de l’article 3.Pour l’article, 11 il y a deux possibilités, soit c’est le Président qui déclenche le référendum et ça peut être sur proposition de deux autorités (le Premier Ministre ou les deux assemblées) soit c’est par le Référendum d’Initiative Partagée. Techniquement, la rédaction de l’article 3 proposée ne gagne pas, je pense, à aller dans le sens que vous avez indiqué.

 

Cédric : l’idée de cette association était de proposer la réforme le plus simple possible pour qu’elle ne puisse pas être refusable.

 

Guillaume Tusseau : Il faudrait modifier l’article 11 et la loi organique.

Marius : Il y a forcément un contrôle de constitutionnalité qui doit se faire à un moment donné, à quel moment ce contrôle doit avoir lieu ? 

Guillaume Tusseau : Le contrôle par le Conseil Constitutionnel, ça suffirait pour le contrôle de la constitutionnalité de la question. Ensuite est ce qu’il ne faudrait pas un genre d’autorité indépendante qui gère le RIC et qui s’assure de l’information impartiale pour le oui et le non, qui met des documents en ligne pour les citoyens, qui organise des sorte de jurys sur tout le territoire avec des experts, qui répond à des questions purement empirique et pas biaiséés sur les enjeux de la question, ça oui. A mon avis, le contrôle du conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de la question suppose que le RIC soit limité aux décisions législatives et non aux décisions constituantes ou constitutionnelles. Le contrôle devrait s’exercer avant que le RIC ait eu lieu, sinon on aura dépensé de l’énergie, de l’argent public, du temps dans l’organisation du scrutin pour rien si le Conseil Constitutionnel estime que la question était inconstitutionnelle. 

Cédric : on a vu que vous travailliez sur Bentham, qu’est ce que vous pensez du point de vue utilitariste dans le cadre du RIC, y aurait-il des risques par rapport au droit des minorités ?

Guillaume Tusseau : Le RIC ce sera de toute façon au bout du compte une majorité qui l’emporte. S’il y a un Oui forcément qu’il y a une majorité. Ensuite il y a un risque pour les minorités en effet si l’outil du RIC est employé pour nuire à leur droit ou les opprimer d’une façon ou d’une autre. De ce point de vue là il y aurait deux gardes fous : le contrôle du conseil constitutionnel et le débat tel qu’organisé par l’institution chargée de prendre en charge le RIC, et qui présenterait bien les points de vue contradictoire de manière objectif et non biaisée. Néanmoins, on ne peut pas être certain que l’outil ne soit pas capté et détourné par certains groupes d’intérêt et tous les processus de démocratie participative ont ce travers. D’un point de vue utilitariste, avec toutes les conditions idéales que Bentham y mettrait en termes de qualité de la délibération publique, l’idée serait que, en effet, une minorité peut souffrir de décisions de la majorité mais c’est toujours mieux que l’inverse : qu’une minorité fasse la loi pour une majorité, en termes utilitariste. Il est toujours préférable que ce soit une majorité éclairée qui prenne la décision plutôt qu’une minorité qui vise son intérêt personnel.

 

Marius : On parle aussi de vote justifié : quelles seraient vos modalités « parfaites » si on mettait en place un RIC (seuil, vote, quorum…)

 

Guillaume Tusseau : Je ne me suis pas posé la question. Dans l’idée où il n’y aurait pas de vote obligatoire il faut une participation quand même importante pour qu’une décision se fasse mais en même temps, c’est aussi la responsabilité de ceux qui ne veulent pas être déçus par une décision de se bouger et donc de se mobiliser aussi pour voter non plutôt que de simplement compter sur l’apathie des uns et des autres pour que le processus échoue, donc je ne sais pas… Politiquement pour vendre une réforme telle que le RIC et envisager qu’elle soit un jour mise en place dans l’ordre juridique français, il faut la sortir de plusieurs garde fous. 

 

Cédric : ce que dit Bachaud, c’est que comme les députés LREM ont été élus avec 22% des voies, le bon seuil serait de 23-24%

 

Guillaume Tusseau : Pour un référendum révocatoire ça se comprend mais pour un référendum sur une question thématique, il faudrait faire la moyenne du nombre inscrit dont la voix s’est portée sur chaque député ?... Oui on pourrait faire ça après tout. On pourrait imaginer ça pour un référendum législatif, obliger à avoir un seuil de participation qui dépasse la moyenne du nombre d’inscrits qui ont votés pour tous les députés de la législature… La difficulté ici c’est sur la conception française de l’électorat et de la nation : on ne distingue pas des parcelles dans la souveraineté et on considère qu’il y a une nation unitaire. Or là si on fait en fonction de la majorité des uns et des autres ; c’est un peu comme si on divisait le peuple alors que la république est une indivisible… Ca me parait peut être plus difficile à accepter. 

Pierre-Etienne Vandamme

Pierre Etienne Vandamme : Le vote justifié a ses atouts, on irait voter à plusieurs en même temps et il y aurait au moins la nécessité de se justifier devant les proches avec qui on va voter. Plus récemment, il y a eu une autre proposition qui était de sélectionner quelques électeurs après l'élection et de les inviter à une “journée de la justification”. Cette journée s'apparente à une journée de délibération, mais après l’élection. Ce sont les deux propositions que je connais pour dépasser les limites du vote secret. La troisième, que j’ai imaginé, c’est de sélectionner, sur le bulletin de vote des justifications. Je ne crois pas que ce soit une pratique qui ait déjà été expérimentée...

 

Trevor : Et donc c’est votre angle d’attaque sur le RIC ? Pour la transparence ? 

 

P.E. : Je ne suis pas pour le vote public. Les arguments principaux pour le vote secret c’est d’éviter la corruption, l’intimidation. Je ne suis pas pour le vote secret ; qu’il y ait une certaine opacité dans le vote me dérange pas plus que ça mais il se trouve qu’on pourrait demander un peu plus à l’électeur au moment du vote, l’inciter à plus de réflexion, plus de justification. Mais par rapport au RIC et à la question “Comment rendre les référendums plus délibératifs”, pour moi il y a vraiment deux pistes à creuser : le vote justifié mais aussi le modèle d’Oregon que vous connaissez peut être. L’idée de faire préparer le référendum par un mini public, une assemblée de citoyens tirés au sort, qui creusent la question et soumettent un rapport aux électeurs, je trouve ça pertinent. 

 

Cédric : Beaucoup d’acteurs évoquent cette possibilité, c’est évoqué par le rapport de Terra Nova il me semble… 

 

Pierre Etienne Vandamme : Oui, voilà, c’est un modèle qui a déjà été expérimenté, qui fonctionne pas mal en Oregon, qui a déjà été utilisé en Europe, en Finlande au niveau local et en Suisse dans le canton de Sion. Il y a des équipes de chercheurs en Finlande et en Suisse qui viennent de lancer un projet testant ce modèle dans des votations populaires suisses, pour le moment au niveau local. 

 

Cédric : Vous pointez dans l’article le fait qu’il y ait en ce moment une attirance pour le tirage au sort, car il y a une méfiance de l’élection mais vous pointez aussi les limites du tirage au sort. Pour vous le processus de délibération serait un moyen de pallier aux limites du tirage au sort… 

 

Pierre Etienne Vandamme : Oui, c’est ça, parce que je ne pense pas qu’un petit groupe de citoyens tirés au sort pourrait se substituer au grand public. En particulier parce que généralement on n’a pas une assemblée parfaitement représentative, on n’a pas le nombre adéquat pour avoir une représentation réelle. Généralement on a des petits groupes et non 1000 personnes. Par ailleurs, il y a beaucoup de gens qui refusent, pouvant impliquer un certain biais. Elle est ici la limite : on ne peut pas demander à une assemblée citoyenne de prendre des décisions qui s’appliquent à l’ensemble de la population. L’enjeu est de voir alors comment articuler ce moment de réflexion en petit groupe au moment de décision qui impliquerait tout le monde, et c’est en ça que le modèle d’Oregon est intéressant. 

 

Cédric : Et qu’est ce que vous pensez - ce n’est pas directement lié - de ce qu’a lancé Macron sur la convention citoyenne pour le climat ?

 

Pierre Etienne Vandamme : Il y a un peu cette idée de faire approfondir une question par un mini public, qui a été bien pensé, c’est bien équilibré et assez représentatif. Mais là, ce qui a été laissé dans le flou, c’est ce qui serait fait des recommandations de cette assemblée. Ce qu’a dit Emmanuel Macron c’est soit, on s'empare directement de leur propositions pour en faire un projet de loi, soit ça passera par référendum, soit ça passera par le parlement il me semble… Enfin il y avait trois options, je ne suis plus sûr. Mais c’est assez flou, on voit qu’il garde la main et qu’en fonction des propositions, il verra éventuellement lesquelles il garde. S’il décide d’organiser un référendum, alors ça devient un modèle intéressant et là tout l’enjeu sera de voir comment les recommandations de l’assemblée citoyenne sont transmises à l’ensemble de la population. Est ce que les gens seront au courant et suffisamment informés des travaux de cette convention ?

 

Trevor : En parlant de Macron, sur le grand débat, quel est votre avis ? Puisque beaucoup de gens ont dit que ça ne servait absolument à rien et que c’était aberrant de dire que c’était plus direct. 

 

Pierre Etienne Vandamme : Il y a des gens qui pensent que c’est une super innovation, je ne sais pas si vous connaissez Hélène Landemore, qui est une théoricienne politique française qui travaille aux Etats Unis, elle s’est pas mal intéressée au grand débat et elle y voit la confirmation que l’on peut faire de la délibération à grande échelle. Elle dit qu’il y avait plein de défauts mais au moins, c’est une innovation ambitieuse qui montre qu’on n’est pas obligés de se contenter d’un mini public de 100 ou 150 personnes. Après … Il y a des points de vue plus critiques, notamment sur quoi cela débouche. Ce n’était pas clair à l’avance et c’est toujours le problème lorsqu’il y a une innovation politique lancée par un gouvernement sans qu’on sache à l’avance ce qui va être fait de ce qui en ressort, ça affaiblit énormément le dispositif. C’est cette impression qu’Emmanuel Macron veut garder complètement la main et garder ce qu’il veut. Par rapport au grand débat, la convention citoyenne pour le climat est plus claire, plus modeste aussi comme formule. 

 

Cédric : D’accord merci. J’ai l’impression aussi avec la convention citoyenne pour le climat qu'il y a quelque chose que veut éviter Macron, c’est un peu plus l’aspect plébiscitaire.. J’ai l’impression que l’idée c’est que lui s’efface totalement pour que l’on voit que les mesures proviennent des citoyens afin d’éviter un vote qui irait contre lui. J’ai l’impression que ça permet d’éviter cette dimension plébiscitaire. 


 

Pierre Etienne Vandamme : C’est ce qu’il essaie de faire effectivement, je partage votre analyse. Mais est-ce que cela fonctionnera, j’ai un doute. En effet, même si cela débouche sur un référendum, ce ne sera pas une initiative dite populaire, mais un référendum d’initiative gouvernementale. Même si la proposition vient des citoyens, la proposition concrète sur laquelle on va voter a été initiée par Emmanuel Macron, et donc cela réintroduit le risque de plébiscite. Le principal avantage du RIC est que l’initiative de base vient des citoyens. Ce n’est pas le gouvernement qui dit à certains citoyens “faites moi une proposition”. C’est plus ouvert comme type de procédure et donc mieux perçu, à mon avis, par les citoyens car il y a moins la perception d’une procédure qui serait instrumentalisée par le gouvernement. 

 

Trevor: Justement par rapport à cela, pour vous le RIC permet la démocratie directe ? 

 

Pierre Etienne Vandamme : Oui le RIC est un exemple assez parfait de démocratie directe puisqu’il y a très peu de médiation. Mais cela étant dit, ce n’est pas forcément une qualité. Personnellement, je ne pars pas du principe que la démocratie directe est d’office souhaitable mais en tous cas c’est clairement un instrument de démocratie directe. 

 

Cédric: Et comment vous vous vous positionnez par rapport au RIC ? L’article donne l’impression que vous êtes favorable, ou du moins vous pensez que ce serait intéressant.  

 

Pierre Etienne Vandamme : Oui, je pense que c’est un outil intéressant. En particulier parce que les programmes des partis ne suffisent pas à satisfaire les demandes des citoyens. Les citoyens ne se retrouvent pas forcément dans l’offre électorale. Ils peuvent soutenir un parti mais par ailleurs avoir d'autres demandes. Donc ça me paraît important que le système représentatif soit ouvert  à des propositions des citoyens, à une sorte d’in-put supplémentaire aux simples mandats électoraux. Cela corrige un peu une sorte d’écart représentatif, d’écart entre ce que font les représentants et ce que votent les citoyens. Donc pour rapprocher la décision publique de la préférence des citoyens, il me semble important d’avoir ce type d’outil. Mais ça ne veut pas dire que c’est un instrument parfait, on sait qu’il y a des risques de différentes sortes, des risques d’instrumentalisation par des groupes d’intérêts privés. 

 

Cédric: Par rapport à ce que vous venez de dire, dans votre article vous listez quelques reproches qu’on fait au référendum et je me demandais s’ils ne seraient pas encore plus forts avec le RIC ? Et d’autre part, le RIC ne risque-t-il pas d’agrandir l’écart entre les dirigeants et les citoyens ? 

 

Pierre Etienne Vandamme : Il pourrait toujours effectivement y avoir une tension mais le RIC donne une incitation aux représentants à tenir compte des demandes des citoyens. Parce qu’il y a un risque en terme de popularité à se montrer hostile aux propositions des citoyens. Ils ont donc une réelle incitation à s’en emparer, à essayer d’éviter qu’on passe par un référendum. S’ils s’emparent d’une proposition de citoyens et qu’ils arrivent à faire passer le projet de loi par exemple, ils peuvent en tirer le crédit et se revendiquer de ce succès. Alors que si c’est une initiative entièrement parallèle, là ils n’en tirent aucun bénéfice. Ainsi, à mon avis, la procédure les incite quand même à plus s'intéresser à ce que veut la majorité des citoyens. 

 

Cédric: D'accord, ça entrainerait une sorte de rapprochement du camp des représentants avec les citoyens.  

 

Pierre Etienne Vandamme : J’ai l’impression. Après il faudrait vérifier empiriquement dans les contextes où c’est utilisé mais c'est mon sentiment. 

 

Cédric: Et à propos du risque “l'irréversibilité” des décisions encore plus forte et la manipulation, qu’est ce que vous en pensez ? 

 

Pierre Etienne Vandamme : Alors la manipulation c’est un risque qui existe, mais il y a du lobbying aussi dans les procédures strictement représentatives. Il y a aussi des groupes privés qui imposent des projets d’intérêts privés et qui parviennent à leur fin. Je veux dire que la démocratie représentative n’est pas non plus immunisée contre les instrumentalisations par des acteurs privés. Ce qu’il faut voir c’est quelles sont les manières de limiter l’influence de l’argent sur toutes ces procédures référendaires. Il y a sans doute un certain nombre de régulations pour limiter les financements de campagne que peuvent faire les acteurs privés. Il y a sans doute un moyen de réduire ces risques de manipulation. Par rapport à l’irréversibilité, c’est un argument assez intéressant qui ne me semble pas fatal pour le RIC mais effectivement, c’est plus difficile de revenir sur une décision qui a été vraiment validée par la majorité de la population de manière directe. C’est un argument assez valide. 

 

Chloé: Est-ce que le vote justifié ne permettrait pas justement une réversibilité puisque si on justifie selon un contexte, cela peut être utilisé à posteriori pour montrer que ce n’est plus applicable dans le nouveau contexte. 

 

Pierre Etienne Vandamme : Oui c’est un peu mon intuition. C’est un des arguments en faveur du vote justifié dans le référendum. Atténuer ce caractère irréversible qui reste à prouver. 

 

Chloé: Des acteurs comme Raul Magni-Berton ou Yvan Bachaud nous ont parlé d’une corrélation entre le niveau de compétences politiques des citoyens, leur niveau d’éducation et le RIC. Comme si le RIC allait augmenter le niveau de connaissances et de compétences politiques des citoyens. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça ? 

 

Pierre Etienne Vandamme : Je pense que eux le savent mieux que moi parce qu’ils étudient vraiment ça de manière empirique. Moi j’étudie ça plutôt de manière théorique, plus abstraite sans doute. Et donc s’ils le disent je les crois. Effectivement, on peut facilement concevoir que des citoyens qui sont plus souvent appelés à s’exprimer ou qui ont plus les moyens d’expression, sont plus incités à s'informer et à s’intéresser à la politique. Donc ça me paraît plausible oui. 

 

Chloé: Ils nous ont parlé du fait que les citoyens votent souvent en fonction des prises de position publiques de groupes ou de partis politiques. Et dans ces cas là, est-ce que ça atténuerait pas l’implication, le niveau de connaissances qu’ils ont sur le sujet  ?

 

Pierre Etienne Vandamme : Bien sûr. En fait la plupart des gens, dans les élections, utilisent des raccourcis. On ne peut pas devenir des experts sur tous les sujets et donc quand on ne sait pas trop quoi penser on se fie à l’avis d’associations, de partis ou des personnalités auxquels on fait confiance. Cela me paraît inévitable. Mais c’est pour cela qu’il faudrait peut-être penser à des manières d’augmenter le degré d’éducation politique ou citoyenne des citoyen pour qu’ils aient moins besoin de ces raccourcis et qu’ils puissent juger de manière plus autonome sur un certain nombre de sujets. A fortiori, si on décide d’avoir plus de participation, ça me paraît nécessaire de repenser la question de l’éducation politique : apprendre à réfléchir et se positionner sur des questions de sociétés, ca me parait essentiel. 

 

Cédric : A ce sujet, comment pourrait-on améliorer cette éducation politique ? Nous par exemple sur ce simple sujet du RIC on voit que ça prend beaucoup de temps. Comment ce serait possible d’offrir cette éducation politique à toute la population ? 

 

Pierre Etienne Vandamme : Je pense qu’il y a de la place dans l'enseignement obligatoire pour plus se former à ces questions là. Je suis Belge donc je ne sais pas comment ça fonctionne en France mais j’ai le sentiment que lorsque l’on nous parle de politique à l’école, on nous explique juste les institutions qui existent et comment elles fonctionnent. On ne nous apprend pas vraiment à réfléchir de manière autonome sur les sujets de sociétés. Ce qu’il faut, c'est à la fois des bases suffisantes en sciences sociales pour comprendre les enjeux, les débats, les causes du changement climatique, les conséquences etc. A mon avis il y a moyen de s’introduire à ces questions de manière assez ouverte, en cherchant une certaines neutralité, en apprenant aux futurs citoyens à réfléchir sous différents points de vue.

 

Trevor : Dites vous Oui aux quatre formes de référendums (CARL) que les gilets jaunes proposent ?

 

Vandamme : Les quatre me paraissent intéressantes, je commence depuis quelques semaines à m'intéresser à la question de la révocation des élus donc j’ai pas encore un avis hyper tranché sur la question mais je pense que c’est intéressant aussi donc je suis assez ouvert à ça. Mais chacun pose des questions assez particulières, ça vaut le coup de les étudier séparément et ne pas trop parler du RIC en général. Mais j’ai l’impression que quand on parle du RIC en général, ce qu’on a en tête c’est la formule législative ... 

 

Chloé : Beaucoup parlent des 4 à la fois : ce qu’on appelle le RIC CARL.

 

Pierre Etienne Vandamme : D'accord c’est possible mais le référendum révocatoire on est déjà dans autre chose. On peut tout à fait être pour le RIC parce qu’on pense que c’est bien qu’il y ait des initiatives qui viennent des citoyens mais être contre la révocation des élus, ce qui ne va pas forcément de pair. Ca me parait un petit peu dangereux de parler des quatre à la fois quand on parle du RIC, je pense qu’il faut vraiment les considérer un à un. Mais moi j’ai pas de véto sur une de ces quatre catégories, simplement les enjeux sont différents, surtout la révocation des élus.

 

Cédric : il y a aussi un risque auquel vous faites référence c'est celui que les minorités soient parfois lésées lors d’un RIC si c’est à chaque fois la majorité qui parle. Comment on pourrait selon vous pallier à ce risque, est ce que ça pourrait être par exemple un nombre de votants minimum pour s’assurer que ce peut être représentatif ?

 

Pierre Etienne Vandamme : Je ne ferais pas ça parce que justement avec le RIC, de temps en temps des minorités pourraient s’exprimer et mettre à l’agenda différentes propositions et obtenir le soutien d’une pluralité des citoyens à laquelle ils ne seraient pas forcément parvenu si tout le monde s’était exprimé. Donc parfois, l’abstention permet à des minorités de faire passer certaines idées. Ce n’est pas toujours positif, ça peut être des minorités mal intentionnées mais il y a parfois des revendications légitimes des minorités qui peuvent, par cette voie là s’imposer. Donc je ne mettrait pas un seuil de participation. 

 

Cédric : On nous a aussi dit par exemple que s’il y avait ce seuil de participation, certains acteurs auraient intérêt à ne pas du tout débattre et de taire au maximum le débat pour que les gens ne participent pas et au lieu de gagner sur le plan des idées juste gagner sur le plan de la participation, c’est un risque aussi …

 

Pierre Etienne Vandamme : C’est ça et puis il faut différencier si les gens se sont abstenus pour des raisons stratégiques ou si ça ne les intéresse pas tellement, enfin ça rend le résultat assez illisible si ce genre de stratégie est à l’oeuvre. 

 

Trévor : Est ce que d’un point de vue des modalités, vous différenciez le RIC au niveau local et au niveau national ? 

 

Pierre Etienne Vandamme : On peut considérer que ça vaut le coup d'expérimenter le RIC local avant de passer au niveau national mais en même temps il y a déjà eu des expérimentations ailleurs donc ça ne me paraît pas non plus être une étape nécessaire. Je ne ferai pas de distinction trop tranchée. 

 

Chloé : Comment pensez vous que le RIC pourrait s’imposer légalement ? Par quels biais ? Est ce que ça passerait par le RIC local, je rebondis là dessus parce que justement Yvan Bachaud nous a dit que ça passerai par le RIC local qui ferait pression sur le RIC national…

 

Pierre Etienne Vandamme : Oui c’est probable que ça se passe comme ça car cela permettrait aux citoyens de se familiariser avec cette procédure utilisée dans certains contextes. Cela a de bonnes chance de la rendre plus populaire et donc d’augmenter la demande pour ce type d’outil.

 

Cédric : Si on mettait en place le vote justifié, comment vous imaginez les choses ? 

 

Vandamme : Je suis assez ouvert, ce qu’il faut c’est une institution qui soit non partisane ou qui rassemble des représentants de tous les partis, pour la supervision générale. Pour ce qui est de la justification des listes de justification, il y a deux formules : soit on demande à un mini-public, une assemblée tirée au sort, de creuser les enjeux du débat et identifier les principales justifications. Soit, on pourrait imaginer que les représentants... (Coupure de la visio conférence). La formule avec l’intermédiaire d’un mini public est intéressante aussi parce que non partisans et une certaine distance par rapport à l'initiative. 

 

Le vote obligatoire, pour moi, c’est vraiment un autre débat. En tant que Belge je n’y suis pas hostile seulement si on a la possibilité de voter blanc. Parce que je pense qu’on a vraiment pas l’obligation morale de s’exprimer sur tous les sujets, mais il ne faut pas juste s’abstenir par paresse… Donc le vote obligatoire pourrait être une invitation à faire l’effort de venir au bureau de vote et puis là si on n’a pas d’avis ou si on refuse de s’exprimer, on a la droit de voter blanc ou nul. Mais c’est un débat parallèle. Si on instaurait un RIC et qu’il y avait des votations plus fréquentes, je ne suis pas sûr que le vote obligatoire serait une bonne idée, ça pourrait devenir assez lourd pour les citoyens. Sur le modèle Suisse par exemple, on est invités très fréquemment aux urnes. Si on rend le vote obligatoire, qu’est ce qu’on fait avec ceux qui ne viennent pas ? Est ce qu’on doit leur imposer des amendes, des sanctions ? Est ce qu’on veut rentrer vraiment là dedans ? Ou alors on le rend formellement obligatoire mais on ne poursuit pas vraiment les abstentionnistes… Je ne sais pas, je ne suis pas convaincu…

 

Cédric  : Un acteur nous disait que pour ces pays ou le RIC était inscrit dans la culture, les gens n’allaient pas à tous les référendums, car il y en avait tout le temps : ils ne votaient que lorsqu'ils avaient un avis sur le sujet. Mais ils votaient tout de même beaucoup plus car il y avait beaucoup plus de référendums de toute façon. 

 

Pierre Etienne Vandamme : Si l’on tient compte du fait que l’un des reproches souvent fait au référendum, c’est que beaucoup de gens votent souvent sans être suffisamment informés sur le sujet, là le vote obligatoire a un peu un effet négatif. Il y a un aspect positif à cette forme d’auto-sélection : seuls les gens qui ont un avis sur le sujet vont voter. Il y a un aspect négatif aussi, c’est que c’est souvent les mêmes catégories sociales qui s’auto-excluent : des gens qui n’ont pas suffisamment confiance dans leur jugement, qui sont un peu déconnectés de la politique… Donc ça c’est l’aspect négatif. Mais il y a les deux. il faut mettre les deux dans la balance au moment de se prononcer. 

 

Cédric : Connaissez-vous le vote quadratique ? 

 

Pierre Etienne Vandamme : Non. 

 

Cédric : explication, cf. Raul Magni Berton. 

 

P.E : C’est intéressant, parce que c’est une des difficultés de bases en théorie de la démocratie c’est que le vote a vraiment tendance à aplatir les préférences des citoyens, il ne rend pas du tout compte de l’intensité, de la complexité des préférences. Donc c’est clair que ça vaut le coup de penser à des manières de prendre en compte cette question des préférences. Il y a aussi l'idée que lors d’une élection, on évalue chaque candidat, plutôt que d’en sélectionner juste un. On évalue sur 6 par exemple chaque candidat, en disant qu’il est excellent, bon, passable, très mauvais ou à exclure. De telle sorte que l’on peut percevoir l’intensité de la préférence et du rejet de certains candidats par les citoyens. C’est une autre manière de tenir compte de cette intensité, et ça dans le cadre des élections, ça me parait vraiment une très bonne formule. C’est comme ça que l’on fonctionne par exemple dans les concours de dégustation de vin, ou même de patinage artistique. Donc c’est pas loufoque, ça existe, c’est crédible, et je comprends même pas que l’on n’utilise toujours pas cela dans les élections. Et du coup ce serait intéressant de penser des formes pour avoir une mesure de l’intensité des préférences des gens dans le référendum aussi. On pourrait imaginer que sur le bulletin, on puisse dire “pour”, “tout à fait pour”, “indifférent”, “tout à fait contre” et que ça soit pris en compte dans le résultat final. Ce serait une formule plus simple et plus opérationnelle que le vote quadratique. 

 

Cédric : C’est ce qui est fait dans les sondages d’ailleurs. 

 

Pierre Etienne Vandamme : Oui c’est ça et ça me paraît tout à fait imaginable de faire ça aussi dans les votes C’est à creuser. 

 

Trevor : Comment le RIC révolutionnerait le système de vote en France et son fonctionnement ?

 

Pierre Etienne Vandamme : Ca serait certainement une mini révolution, en tout cas dans la conception de la représentation, parce que pour le moment on est vraiment dans un modèle avec un monopole de la représentation, et de la décision et donc introduire le RIC, ce serait vraiment remettre en cause un modèle qui est là depuis longtemps et qui est bien établi. Il y aurait un aspect un peu révolutionnaire. De là à dire que ça aurait des effets révolutionnaires sur la manière dont la société est organisée, franchement on en sait rien, il pourrait tout à fait y avoir aussi des mesures complètement réactionnaires qui passent. Mais ce serait une révolution en tout cas au niveau conceptuel, au niveau de la manière dont on conçoit le système politique 

 

Cédric : J’avais une petite question encore : on a parlé rapidement des modalités. Avez-vous un point de vue sur par exemple le nombre de signataires qui seraient nécessaires ? Est-ce que ce sera par exemple un pourcentage de la population ? Un ou deux millions de personnes ? Ou un pourcentage de votants ? 

 

P.E :  C’est aussi vraiment une question importante, je ne minimise pas du tout, mais je ne vais pas vous sortir un chiffre magique, je ne sais pas quelle serait la meilleure forme. certainement un pourcentage, plutôt qu’un chiffre brut. Un million ça sonne bien ,mais ça ne veut rien dire… 

Richard Werly

Trevor : Un RIC tel qu’il existe en Suisse ne pourrait-t-il pas fonctionner en France ?

 

Richard Werly : Alors, d’abord, je dois corriger ! Je ne dirais pas que le RIC, le référendum d’initiative citoyenne est en vigueur en Suisse. Parce que le RIC, c’est une appellation tout à fait labellisée gilets jaunes. Donc il faut bien faire la différence. Il y a d’un côté, le référendum d’initiative citoyenne tel qu’un certain nombre de collectifs de gilets jaunes s’en sont emparés et l’ont défendu, et il y a de l’autre côté ce qui existe sur le plan constitutionnel en Suisse. Alors en Suisse, je fais très court, il existe deux choses. D’une part, une possibilité de référendum, c’est-à-dire qu’on soumet au peuple un certain nombre de décisions et de lois pour approbation à tous les niveaux de la confédération, c’est-à-dire du niveau national jusqu’au niveau communal. Il y a quatre votations par an, pendant lesquelles si vous êtes par exemple résident à Genève vous êtes consultés aussi bien sur la construction d’un nouveau jardin public - au niveau local - que sur l’aménagement du lac - au niveau cantonal - ou alors sur une initiative nationale, c’est le référendum . Et s’ajoute à cela ce qu’on appelle l’initiative tout court, pas l’initiative citoyenne. C’est la possibilité pour le peuple de se saisir d’un sujet, de récolter 50 000 signatures, et sur cette base, de faire voter la population. Voilà, ça c’est l’initiative, l’un des exemples récents a été le référendum de 2009 si j’ai bonne mémoire, sur l’interdiction de la construction de minarets en Suisse, qui est maintenant inscrite dans la Constitution. Donc voilà, je voudrais bien qu’on fasse la différence : il y a le référendum d’initiative citoyenne, c’est une appellation française qui répond à une demande française, notamment exprimée par les gilets jaunes. Et il y a d’autre part, les droits à référendum qui existent dans la Constitution.

 

Trevor : Est-ce que vous pensez que le RIC, si un jour on le mettait en place en France, répondrai vraiment à un besoin démocratique, ou est-ce que vous pensez que ce serait plutôt un outil anti-démocratique au final ?

 

Richard Werly : A titre personnel, je suis un partisan du référendum. Je pense que la démocratie directe, elle est un moyen, elle a deux vertus. D’abord, elle est une forme de soupape politique, elle permet au peuple de s’exprimer en dehors des élections représentatives. Et si on prend le cas de la France en ce moment, c’est un besoin qui est beaucoup exprimé. Il y a beaucoup de gens qui vous disent qu’il y en a marre de ne s’exprimer qu’une fois tous les cinq ans à travers notre bulletin. Donc, première vertu du référendum, c’est celle de constituer un moment démocratique, donc d’avoir une vie démocratique plus nourrie. Et deuxième vertu du référendum, c’est que le peuple a une sagesse qui lui appartient, qui n’est pas celle des instances représentatives, et le peuple peut à la fois se montrer plus sage qu’on ne le croyait mais quelquefois aussi plus turbulent, et dans ce cas c’est important de l’écouter. Je vais prendre un exemplel, le journal pour lequel je travaille s’était prononcé l’interdiction des minarets, qui a donc été voté et a entraîné l’inscription dans la Constitution de l’interdiction des minarets. C’est quelque chose, je crois, qu’il fallait entendre, c’est un cri, c’est un appel de la population qu’il fallait entendre. Le gouvernement a su faire en sorte que ça n’aggrave pas la situation et les relations avec la communauté musulmane. Et de ce point de vue, rétrospectivement, je ne dirais pas que je suis pour ce référendum. Je veux simplement dire qu’il a mis le doigt sur une plaie, sur un sujet dont le gouvernement a été obligé de s’occuper alors qu’en temps normal il l’aurait mis de côté. L’avantage de la démocratie directe c’est qu’elle oblige les gouvernants à traiter de sujets qu’ils préféreraient éviter. Et c’est ça sa vertu, ça permet au peuple, tout simplement, de mettre, comme on dit, le sujet sur la table, même si les élus et les dirigeants politiques ne le souhaitent pas.

 

Chloé : J’avais une question pour revenir à votre déclaration du début. J’entends bien que l’acronyme RIC en France soit différent du système qui existe en Suisse de référendum. Mais comment vous expliquez que la plupart des acteurs que l’on a rencontrés s’appuient sur le modèle suisse dans leurs arguments pour justifier le RIC en France ?

 

Richard Werly : Parce qu’il n’y en a pas d’autre.

 

Chloé : Et le modèle de l’Oregon, aux États-Unis ?

 

Richard Werly : Bah, parce que les gens ne le connaissent pas. C’est un peu normal quand même. Le Français moyen, si vous dites référendum, vous sortez de chez vous maintenant et vous interrogez les gens dans la rue et vous leur dites « Quel est le pays d’Europe qui pratique le référendum ? », spontanément c’est la Suisse. Donc tout le monde parle de la Suisse parce qu’on sait que la Suisse pratique le référendum, je dirais, à haute dose. Et c’est le seul pays d’Europe à le faire.

 

Chloé : D’accord. Mais parce que vous avez exprimé le fait que le RIC soit issu des gilets jaunes, ce qui est totalement vrai. Mais il y a aussi d’autres propositions de RIC, je ne sais pas si vous les connaissez, qui entrent en contradiction avec le RIC revendiqué par les gilets jaunes. Je pense notamment au RIC délibératif proposé par Terra Nova.

 

Richard Werly : Je ne veux pas opposer l’un à l’autre. Je voulais simplement vous dire qu’on ne peut pas appeler le référendum suisse un référendum d’initiative citoyenne. Pour le reste, ce que je constate c’est qu’en France il y a un appétit pour le référendum et que celui-ci doit trouver une conclusion positive. Il n’y aurait rien de pire, à l’heure actuelle, dans un système français dont on voit bien les limites, que de refuser la parole au peuple. Il faut bien sûr l’encadrer, en Suisse c’est encadré, mais il faut donner la parole au peuple. L’avantage de donner la parole au peuple est supérieur au fait de ne pas lui donner selon moi. 

 

Chloé : Et avez-vous un avis sur la différence entre ces deux référendums, le RIC CARL en toutes matières et le RIC délibératif proposé par Terra Nova ?

 

Richard Werly : Non. Je crois que je n’ai pas d’avis là-dessus, car spontanément étant franco-suisse, et donc ayant une pratique du système suisse, je pense que le peuple doit pouvoir se prononcer sur tous les sujets. Sauf les sujets, disons, par lesquels le pays est lié par des traités internationaux, je pense notamment à la peine de mort. Il y a ainsi des sujets qu’on estime déjà tranchés et qui ne doivent donc peut-être pas être soumis à référendum. Mais à part ces exceptions, je trouve qu’il y a très peu de sujets sur lesquels le peuple n’est pas légitime pour s’exprimer en démocratie. Ainsi, plus la version du référendum est élargie quant à son domaine d’application, plus je trouve ça bien.

 

Chloé : Et pour revenir à ce que disait Trevor au début, vous avez évoqué lors de vos interviews et prises de parole publiques que le référendum, tel qu’il est appliqué en Suisse, ne pourrait pas être mis en place de manière similaire en France.

 

Richard Werly : Non. Pour plusieurs raisons. La première, c’est que la mécanique institutionnelle suisse est une mécanique à plusieurs piliers. C’est-à-dire que vous ne pouvez pas juste enlever le référendum. Il y a le référendum, mais aussi la décentralisation, le pouvoir cantonal, tout ça est une alchimie complexe. Donc le référendum à la suisse, il s’intègre bien dans un système politique suisse, c’est ça que je veux dire. Par ailleurs, je pense que cette habitude suisse de voter régulièrement me semble être trop pour la France qui est un pays où la passion politique fait que quelque part le pays serait en campagne permanente. Je crois que sur beaucoup d’aspects, ce n’est pas applicable, mais par contre, on peut s’inspirer de ce qui se fait en Suisse, pour valoriser, développer, le référendum en France. Je vais prendre un aspect concret dont j’ai déjà parlé dans des interviews, c’est très concret mais à mes yeux c’est très révélateur. Tous les quatre mois en Suisse, le citoyen, l’électeur, reçoit dans sa boîte aux lettres un petit livret, qui explique de manière très pédagogique les sujets sur lesquels il va être consulté. Eh bien, je pense que ce petit travail pédagogique, qui consiste à résumer de manière neutre l’objet de chaque référendum, c’est une pédagogie qui ferait beaucoup de bien en France. Si on avait ce type de petit livret, et qu’on s’obligeait à expliquer l’objet d’un référendum, déjà on aurait fait beaucoup de progrès.

 

Trevor : Mais justement, cela ne limite-t-il pas le pouvoir de l’assemblée, du pouvoir politique si on se tourne à chaque fois vers le peuple pour lui demander son avis si souvent ? 

 

Richard Werly : Oui, le problème de la démocratie directe, lorsqu’elle est aussi fréquemment pratiquée qu’en Suisse, c’est qu’on finit par faire du surplace. C’est-à-dire que le peuple, on le sait bien, quelque soit le pays est conservateur. Il n’aime pas qu’on lui construise des tours dans son jardin, qu’on fasse des barrages, des centrales nucléaires, qu’on n’achète des avions de chasse très chers. Bien sûr qu’il y a ce risque. Mais je continue de penser que globalement le fait d’avoir un système qui permette de donner plus librement et plus souvent la parole au peuple permet à nos démocraties de s’assainir et de se consolider. Car aujourd’hui, les assemblées représentatives sont très contestées. D’ailleurs, la Suisse ce n’est pas non plus le pays qui a la lumière du monde en terme de décision. C’est vrai que le référendum peut donner une prime au conservatisme populaire. 

 

Trevor : Selon vous, quelles modalités seraient les plus efficaces en France ? 

 

Richard Werly : Le référendum qui existe actuellement dans la Constitution, exige de mémoire 4 millions de signatures, c’est-à-dire 10% du corps électoral, je crois et il existe par ailleurs une forte majorité parlementaire. Donc il faut qu’il y ait les deux. Je pense que l’idée qu’Emmanuel Macron avait, sauf erreur, de suggérer de baisser le seuil de signatures à 1 million me semble être assez bonne. Voilà un premier geste qui permettrait d’avoir beaucoup plus de projets capables de passer la rampe. 

 

Chloé : Justement, on avait interrogé certains défenseurs du RIC qui nous disaient qu’il ne faudrait pas mettre de quorum de participation pour inciter les gens à aller voter, puisque sinon les défenseurs du “non” n’auraient juste qu’à faire campagne pour empêcher les gens d’aller voter et pour que le non passe. 

 

Richard Werly : Je n’ai pas de réponse. Je pense que le moins de contraintes institutionnelles il y a, le mieux le référendum se trouve. Il faut un seuil de signatures pour qu’un projet soit proposé à référendum, mais ensuite, plus vous encadrez un référendum, plus vous donnez l’impression au peuple que vous ne voulez pas vraiment entendre sa voix. 

 

Trevor : Le RIC se trouve malmené. Selon vous, à quel niveau se situe l’explication de cette mauvaise image ?

 

Richard Werly : Le RIC a un peu hérité du problème d’image de ses concepteurs et de ses promoteurs. Je prends un exemple, Jean-Luc Mélenchon qui est arrivé avec son idée de référendum révocatoire, où vous pourriez révoquer un élu. Cela, c’est la porte ouverte à tous les abus selon moi. Donc je pense que le RIC à la française a pâti de la mauvaise image ou promotion qu’en ont fait un certain nombre de ses défenseurs. Il est devenu quelque chose qui fait peur, alors qu’il n’y a pas de raison que le fait de donner la parole au peuple fasse peur. La deuxième chose, c’est que peu de gens arrivent à penser, et à mon avis ils ont tort, que la constitution de la Vème République et la politique à la française puisse intégrer un référendum autre qu’un plébiscite. Là on a un problème spécifique en France, c’est que le général de Gaulle a fait du référendum un plébiscite et tout le monde a tendance à penser que tout référendum est nécessairement un plébiscite. Autrement dit, si vous avez fait votre enquête en France, la première chose que vous entendez c’est “oui mais les gens ne votent pas sur l’objet de la question mais sur le président”. Moi je dis non, on peut faire parfois confiance au peuple pour voter sur l’objet de la question si on lui pose la question bien et correctement. Voilà les deux obstacles en France, un obstacle conjoncturel lié aux personnes qui l’ont soutenu et au débat qu’il y a eu autour du RIC pendant la crise des Gilets Jaunes et deuxième, celui de la conception gaullienne de la République qui associe référendum à plébiscite. 

 

Chloé : Pensez-vous que le RIC entraînerait une augmentation des compétences et des connaissances politiques des citoyens ? 

 

Richard Werly : Oui, je pense que c’est la vertu du référendum même si c’est loin d’être parfait. Je vous ai parlé d’un référendum sur lequel j’étais en désaccord mais je pense effectivement que solliciter le peuple ça oblige à lui expliquer, à l’écouter et ce sont deux choses qui manquent en France. 

 

Trevor : Que pensez-vous des initiatives du maire de Grenoble ? 

 

Richard Werly : Je pense que c’est une très bonne chose de donner la parole à la population sur des sujets locaux, municipaux. Il y a une seule difficulté, c’est que malheureusement, et on s’en est aperçu dans le cas de Notre-Dame des Landes - souvenez vous que la population de Loire Atlantiques avait voté pour l’aéroport - , le problème est que si vous faites voter les gens et que l’Etat n’est pas d’accord, vous faites quoi ? Si vous faites voter vos administrés dans une commune, par exemple un aéroport ou un tramway, et que le préfet n’est pas d’accord vous faites quoi ? Donc faisons attention de ne pas créer des attentes ou des frustrations au niveau local quand on sait qu’in fine on n’aura pas le dernier mot. 

 

Le RIC au niveau local ne peut fonctionner qu’à la condition que vous le fassiez sur des domaines où vous avez une compétence. Faire voter le département de Loire Atlantiques sur l’aéroport alors que la décision est prise à Paris crée des tensions. Il faut qu’il y ait une adéquation entre le sujet, la question que vous posez et votre capacité à faire respecter ou non l’issue du référendum. Sinon c’est trop facile, vous allez sollicitez vos administrés par exemple sur la construction d’une tour, les gens disent non, mais vous répondez qu’en fait ce n’est pas vous qui décidez mais l’Etat central.

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