Citoyens
Objectif :
positionner les acteurs sur 3 lignes différentes (nos 3 noeuds), pour pouvoir les comparer dans leurs définitions réciproques
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"Aujourd’hui, c’est cette vieille question de la démocratie qui revient : pourquoi, au fond, faudrait-il que ce soit toujours les mêmes qui décident, ces professionnels de la politique, au langage en bois, aux jeux obscurs et au mépris du peuple affiché ?"
Docteur en sciences politiques de l'Université Paris-8.
Il est spécialisé dans l’étude de l’histoire et la théorie de la représentation politique, en particulier sur la question démocratique d’un point de vue normatif : c’est quoi une bonne démocratie, que veut dire une bonne représentation démocratique… Récemment auteur d’un ouvrage qui s’intitule Démocratie, il propose une réflexion sur le sens de ce terme, mettant en lumière les différentes interprétations qui en sont faites, parfois contradictoires.
Samuel Hayat considère le référendum comme un outil très intéressant pour représenter la démocratie. Il ne s’agit pas de repenser la démocratie au delà de la représentation mais d’envisager de nouvelles formes de représentation, par le dispositif référendaire. Le RIC, porté par les Gilets Jaunes, l’a aussi intéréssé pour la filiation rousseauiste du mouvement, qui semblait montrer cette opposition à la politique partisane et à la politique professionnelle et dessiner dans le même temps un autre univers démocratique que celui de la démocratie représentative. Le mouvement se cristallise autours d’une obsession : celui de faire unité, dépassant les divisions partisanes et idéologiques, le mouvement veut montrer la cohésion du peuple. Pourtant, il insiste sur l’importance des antagonismes et du conflit pour assurer un fonctionnement démocratique.
Le vocabulaire de la démocratie et de la citoyenneté est devenu hégémonique chez les détenteurs du pouvoir.
“La force de la démocratie c’est de considérer l’égalité des intelligences politiques et notamment à considérer que les gens n’ont pas à expliquer ou à donner des raisons à leur vote”
Confiance dans la capacité du citoyen
Samuel Hayat explique que ceux qui ont le plus confiance en la capacité des citoyens, pensent, “dans une logique démocratique rousseauiste, il est impératif que le référendum n’aie pas de limite, notamment sur les questions constitutionnelles-constituantes”.
Il se compte dans cette catégorie, estimant que si on a suffisamment confiance dans l’égalité des intelligences pour donner le droit de vote aux citoyens, alors il n’y a aucune raison pour ne pas leur faire confiance pour voter les lois : “Si on considère que les gens sont incompétents, il ne faut pas leur donner le droit de vote”. Selon lui, le fondement de la démocratie c’est justement de croire en “l’égalité des chances politiques”. Il cite la révolution française et le “choix révolutionnaire” qui a été de faire confiance dans l’intelligence des gens, alors que ces derniers “ étaient considérablement moins éduqués qu’aujourd’hui”. Il ajoute : “je pense que ce choix est toujours bon et il faut toujours le prendre”.
Le débat autours de la capacité du citoyen à prendre des décisions éclairées est pour lui une inversion du problème : il ne faudrait pas absolument chercher à éduquer les citoyens, mais plutôt partir du principe qu’ils sont légitimes pour exprimer leur opinion politique. Il faudrait selon lui laisser “l’égalité des intelligences s’exprimer”, et donner “plus de pouvoir direct aux personnes”, car il ne pense pas qu’il y ait un manque d’éducation.
Vertus éducatives du RIC
Il croit donc en l’égalité des intelligences et fait confiance au citoyen pour voter les lois, au même titre qu’on lui fait actuellement confiance pour élire son président et ses élus. Il convient donc que s’il y a une éducation politique à faire, elle est à faire tout autant dans un système de démocratie représentative que de démocratie directe.
Il affirme même que le RIC serait un moyen d’augmenter le niveau de compétence et de connaissance politique du citoyen : “les gens s'intéresserait beaucoup plus facilement à la politique, s'éduqueraient beaucoup plus par eux-mêmes, et iraient beaucoup plus chercher l’information si on leur demandait de faire des référendums que dans la situation actuelle où on leur demande juste de choisir entre machin et truc”.
Participation
La démocratie participative, qui fait débattre le citoyen, est pour lui “une bonne chose mais illusoire”. Il critique un certain fétichisme institutionnel qui consiste à penser que le recours à des institutions (de débat citoyens, de réflexion, de participation…) permettrait de changer radicalement le système.
Or il ne suffit pas, selon lui, de créer des institutions de délibération, faisant entre autre référence ici à l’Assemblée délibérative proposée par Terra Nova, pour faire participer effectivement les citoyens : “Il y a des institutions qui sont parfois extrêmement bien pensées, et au final il y a seulement 0,5% de la population qui participe et donc ce sont des échecs d’un point de vue démocratique”.
Il rappelle qu’un système politique c’est aussi fondé sur “des pratiques, sur une manière dont la vie politique s’organise, sur les partis, les associations, les syndicats” et pas seulement les institutions. Il ajoute enfin : “dès qu’on essaie de rentrer un peu trop dans le détail du design institutionnel, le risque est de faire du fétichisme institutionnel et c’est ce qu’on voit avec la démocratie participative”.
Récupération partisane
Interrogé sur la récupération partisane du RIC par La France insoumise ou Le Rassemblement national, Samuel Hayat explique qu’il est normal que le RIC soit récupéré par ses partis puisque cela a “un sens, une cohérence avec la ligne de ses partis [...] cela va dans leur vision du monde d’un peuple unifié et d’un refus de la politique professionnelle, d’un refus de la politique des partis”. Il perçoit le RIC comme un simple outil que les partis peuvent parfaitement utiliser, sans que ce ne soit contradictoire puisque le RIC n’est pas la fin de la démocratie représentative selon lui. Il cite l’exemple de la Suisse où les Référendums d’initiatives citoyenne ont beaucoup été utilisés par les partis aussi, et notamment par le parti d’extrême droite, l’UDC, qui a beaucoup eu recours aux référendums pour faire passer un agenda islamophobe. Il indique qu’il ne serait pas du tout surpris qu’Emmanuel Macron décide de mettre en place le RIC par exemple, puisque le Président et le récit de son accession au pouvoir incarne ce rejet de la politique partisane. Ce qui fait dire à Samuel Hayat : “je pense que le RIC est tout à fait compatible avec le macronisme”.
Crise du système représentatif :
Samuel Hayat explique que lors de sa campagne, Emmanuel Macron a eu un usage d’opposition, ou de dépassement, du système partisan, qui a ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés les Gilets Jaunes pour proposer leur propre alternative : un retour à la démocratie directe. Comme l’affirme le politologue, le mouvement a pu fonctionner en raison d’un affaiblissement sur plusieurs décennies de la politique partisane, professionnelle et représentative classique. C’est aussi cet affaiblissement qui a permis à Emmanuel Macron de devenir ministre puis président, en voulant transcender les clivages et en refusant de s’appuyer sur les partis existants. Ce refus du système partisans et de cette vieille politique, peut se faire de deux manière, au nom de l’expertise, comme l’a fait Emmanuel Macron, ou au nom du pouvoir direct du peuple, comme le revendique les Gilets Jaunes. Aussi, pour Samuel Hayat, le mouvement des Gilets Jaunes est, par bien des aspects, comme “le reflet inversé” de la trajectoire d’Emmanuel Macron.
La politique démocratique s’est trouvée ainsi escamotée au profit d’une forme aristocratique de gouvernement, rebaptisée progressivement « démocratie représentative »
Démocratie VS. Aristocratie
Le politiste Samuel Hayat revient sur une distinction épistémologique éclairante entre démocratie et aristocratie, qui permet de comprendre les enjeux qui se cachent derrière ces différentes conceptions. Il explique que, selon la typologie faite à l’époque de la Grèce antique, la démocratie repose sur la participation directe du peuple à la décision et sur l'utilisation du tirage au sort, tandis que les régimes qui utilisent l'élection sont appelés des aristocraties, parce qu’ils utilisent cette élection pour donner le pouvoir à un petit nombre de personnes, censées être les “meilleurs”.
Nos régimes politiques “abusivement appelés démocraties représentatives, sont en réalité des formes aristocratiques de gouvernement” déclare t-il. Il ajoute qu’à mesure que le droit de suffrage s’est élargi, nos systèmes politiques se sont progressivement démocratisés, donnant de plus en plus de pouvoir au peuple, ce qui aboutit à ce que Bernard Manin nomme des « régimes mixtes », avec des éléments aristocratiques, l'élection, et des éléments démocratiques comme la possibilité pour chacun de juger et protester contre l’action du gouvernement. Pour Samuel hayat le triomphe du gouvernement représentatif et de ses institutions s’est fait sur l’oubli du sens originel de la démocratie, qualifiant à tort, le gouvernement représentatif du vocabulaire de la démocratie.
Aujourd’hui, l’aspiration démocratique refait surface, comme “en 1848, en 1871, en 1936, en 1968, en 2018, "chaque fois qu’a lieu un mouvement de contestation générale des gouvernants et de leur jeu, au nom du peuple”.
Besoin de confrontation idéologique dans une démocratie
Selon Samuel Hayat, l’un des traits les plus fondamentaux du mouvement des Gilets Jaunes, est cette “obsession de toujours faire l’unité, de ne pas parler de ce qui divise”, considérant que toutes les divergences seront résolues avec le RIC. Cela permet de créer une grande alliance, de l’extrême gauche à l’extrême droite.
Le RIC “permet d’invisibiliser les oppositions partisanes qui existent entre ces différents acteurs politiques”.
Les divisions partisanes entre gauche et droite étant considérées comme quelque chose d’inutile ou factice, qui vient diviser le peuple ou protéger une une caste qui défend ses propres intérêts et pas les intérêts du peuple.
Samuel Hayat, déplore cette vision politique portée par les Gilets Jaunes, qu’il nomme “citoyenniste”, puisqu'elle perçoit la volonté de la nation comme un ensemble harmonieux et unitaire au détriment de l’expression des divisions idéologiques, pourtant nécessaires dans un système démocratique. A cette conception s’oppose politique antagoniste, à laquelle il adhère, qui valorise le conflit d’idées, et considère que c’est une bonne chose que la société se divise et prenne des engagements opposés sur lesquels on peut trancher, par l'élection ou le vote.
"L’antagonisme politique, le conflit, est aussi nécessaire à la démocratie, même authentique et déprofessionnalisée, que ne l’est l’inclusion directe de tou.te.s les citoyen.ne.s."
Il considère donc l'antagonisme politique comme nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie. C’est pourquoi, s’il approuve à bien des égards le mouvement des Gilets Jaunes et ses revendications, il regrette que la demande de “démocratisation, telle qu’elle est ébauchée dans la pratique et les revendications du mouvement des Gilets Jaunes, soit une démocratisation du consensus” elle met en jeu le peuple contre les gouvernants, au risque de l’oubli complet d’une autre figure démocratique, celle du peuple contre lui-même.” Il met en garde contre cette conception du consensus, appuyée sur une perception essentiellement morale de la situation actuelle, avec d’un côté les citoyens et leur bon sens, et de l’autre les élites déconnectées, souvent corrompues, surpayées et privilégiées. Selon lui, il s’agit de chercher à déprofessionnaliser la politique sans en éliminer le caractère conflictuel, c’est-à-dire de démocratiser le dissensus.
Besoin de garde-fous démocratiques
Outre cet écueil du consensus, il évoque d’autres risques liés au référendum d’initiative citoyenne dont notamment le risque pour le droit des minorités, prenant là encore pour exemple des référendums Suisse ayant restreint et durcit le droit des étrangers. Cependant, ce n’est pas un argument suffisant, selon lui, pour ne pas mettre en place le RIC qui lui apparaît être “une solution démocratique”. Le risque existe affirme t-il, mais vouloir empêcher le RIC pour ce genre d’argument “c’est un peu comme dire on va enlever le droit de vote aux gens parce qu’ils peuvent voter pour l’extrême droite”. "Le règne de la majorité il s’exprime tout autant dans les élections que dans les référendums", aussi pour se prémunir contre ce risque, il évoque la possibilité d’encadrer le RIC par le biais de gardes-fous, pour protéger toute une série de droits fondamentaux qui ne pourraient pas être remis en question.
Les distinction autours des modalités, selon lui “ne sont pas des différences qui sont fondamentales. C’est comme si vous allez expliquer à quelqu’un qui vit dans un régime autoritaire que l'élection proportionnelle ou bien l'élection par scrutin majoritaire uninominal ça n’a absolument rien à voir”. Il admet que ces différences peuvent avoir des conséquences fondamentales en terme de contenu de l’assemblée et de pratique du pouvoir, cependant il estime qu’à plus large échelle, ce sont des “micro variations et c’est plutôt facile de passer de l’un à l’autre”.
Les différentes propositions de RIC défendus par les acteurs lui rappelle des candidats qui s’opposent dans leur offre politique, essayant de se distinguer les uns des autres. Chacun doit tenir son jeu de rôle :
“Terra Nova, think thank lié au parti socialiste, doit jouer la carte du sérieux et de l’expertise, et donc ils vont proposer un design institutionnel plus équilibré” alors que “dans le cas du RIC CARL, on va jouer à fond la carte de la radicalité…”.