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Guillaume Tusseau

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Le RIC pourrait permettre au peuple de reprendre la main.... et même si ça rate, ça serait un bon thermomètre pour la classe politique elle-même pour savoir ce qui vraiment préoccupe les citoyens.

Guillaume Tusseau est Professeur de droit public à Sciences Po. 

Étant spécialiste du droit constitutionnel et des institutions politiques, il s’intéresse particulièrement à la doctrine utilitariste du philosophe Jeremy Bentham. Nous l’avons consulté ici afin d’avoir son point de vue de constitutionnaliste sur le RIC et sa réflexion autour des enjeux démocratiques qu’il recouvre.

En tant que constitutionnaliste, Guillaume Tusseau fait l’analyse suivante de l’article 3 de notre Constitution : Le peuple a l’essence, le principe [de la souveraineté], mais l’exercice est commis et délégué aux représentants. Il retrace les différentes raisons qui ont mené à ce choix de démocratie représentative et met en avant la méfiance historique envers les processus de démocratie directe tel que le RIC. Personnellement, il n’y est cependant pas défavorable, à condition qu’il soit assorti d’un certain nombre de garde-fous (limite du domaine référendaire, contrôle de constitutionnalité de la question, seuil minimum de participation…). Il pense que banaliser l’usage du référendum pacifierait les relations entre les représentants et les citoyens et que le RIC pourrait devenir un mode d’expression publique complémentaire à la représentation politique. 

Définition du Citoyen
Définition du Citoyen

Guillaume Tusseau considère que pour être citoyen il n’y a besoin d'aucune compétence et que l’intérêt justement de la démocratie c’est que la voix de son voisin compte autant que sa propre voix. Aussi il rejette l’argument selon lequel on devrait refuser le RIC car les citoyens ne seraient pas assez instruits. Selon lui, il s’agit d’un prétexte fallacieux car ce même argument de manque de connaissance politique peut être appliqué au droit de vote en général.  Or si on considère que le citoyens a la capacité d’élire ses élus, il doit être en capacité de trancher une question par référendum :  

“Si on pense que les citoyens sont trop stupides pour répondre à une question par oui ou par non, je ne vois pas pourquoi ils seraient suffisamment intelligents malgré tout pour avoir le droit de vote”. 

 

Au contraire, il voit dans ce manque d’instruction une raison d’accompagner le RIC par des politiques publiques d’instruction civiques, des formes jury citoyen ou de sites explicatifs pour mieux informer le peuple et lui donner les moyens nécessaires pour prendre sa décision. Il considère donc que l’argument de la faiblesse de la capacité des individus, s’il est entendable, n’est pas un argument pour les exclure mais au contraire pour renforcer les dispositifs d’implication des citoyens.


Ainsi, il considère le principe de l’assemblée délibérative de citoyens, comme un processus “très démocratique” qui permet aux citoyens amenés à délibérer, de prendre conscience de la difficulté de débattre, d’exprimer ses opinions, ses analyses et de les confronter. En prenant part à cet exercice délicat, le peuple est susceptible de mieux comprendre la difficulté de la tâche du politique, ce qui peut conduire à nuancer la méfiance ou le rejet actuel des représentants. Le RIC permettrait d'impliquer davantage les citoyens, certains pourraient toujours ne pas participer, mais ce serait davantage par désintérêt pour la question qu’en raison d’un rejet massif et “non fondé”. 

 

Il adhère à la théorie utilitariste de Bentham selon laquelle  il est toujours préférable que ce soit une majorité éclairée qui prenne la décision plutôt qu’une minorité qui vise son intérêt personnel. En ce sens, il est plutôt favorable au RIC, au travers lequel c’est une majorité qui prend la décision. En revanche, il insiste sur l'importance du caractère éclairé en imaginant mettre en place des dispositifs éducatifs pour augmenter la connaissance et la compétence citoyenne. 

Definition du Représentant
Définition du Représentant

“L’évolution des sociétés politiques contemporaines fait que les doctrines populistes ou libérales jouent de l’opposition entre les élus et le peuple qui aurait une forme de pureté politique supérieure.”

Pour Guillaume Tusseau, le RIC a du mal à se mettre en place en France car il enlève du pouvoir aux élus, notamment à travers le référendum révocatoire. Or  comme nous l’affirme le constitutionnaliste, “ce n’est vraiment pas la priorité des élus que d’organiser leur propre dessaisissement”. Ainsi, pour qu’une telle réforme soit mise en place dans le système juridique français, Guillaume Tusseau considère qu’elle doit nécessairement être encadrée de garde-fous. Autrement, les parlementaires ne l’accepteront pas selon lui. Ainsi il évoque l’idée d’imposer un seuil minimum pour le déclencher (100 000 ; 500 000…), un seuil minimal de votants (sur la base de la participation moyenne aux dernières élections) et de déterminer un certain nombre de sujets sur lesquels on pourrait prendre un référendum...

Le RIC, comme la plupart de ces dispositifs référendaires qui se rapprochent d’une forme de démocratie directe, semble parfois mettre en concurrence les représentants d’un côté et le peuple de l’autre. C’est pour cette raison que Guillaume Tusseau estime que le RIC sera, dans un premier temps, perçu comme un conflit, comme ça a été le cas du RIP sur l’aéroport de Paris.

Guillaume Tusseau concède que certains peuvent voir le RIC comme une dévalorisation de la fonction politique traditionnelle. Cependant, il estime que si on banalise le procédé, “si on le neutralise à force de s’en servir”, on peut aboutir à une relation complémentaire entre fonction politique traditionnelle et référendum, à la manière du modèle Suisse. Le RIC fait peser une menace et une responsabilité supplémentaire sur les élus, qui éviteront certains sujets qui seraient trop tendancieux, contre leurs intérêts ou pas à l’agenda citoyen… De cette façon, le RIC pourrait permettre au peuple de reprendre la main sur l’agenda politique. Au minimum, ce processus permettrait à la classe politique de connaitre les préoccupations des citoyens et de pouvoir s’y adapter.

Définition de la Démocratie
Définition de la Démocratie

“Ceux qui veulent de la démocratie directe, ça leur donne une voie pour s’exprimer et les tenants de la démocratie représentative, ça leur permet d’avoir des remontées plus fidèles et en temps réel sur le sentiment de l’opinion”

Choix de la démocratie représentative
 

En tant que constitutionnaliste, Guillaume Tusseau fait l’analyse suivante de l’article 3 de notre Constitution : Le peuple a l’essence, le principe [de la souveraineté], mais l’exercice est commis et délégué aux représentants. Ce choix de la représentativité plutôt que l’exercice d’une souveraineté directe s’explique par des facteurs historiques mais aussi de pures raisons matérielles, techniques, comme nous le rappelle Guillaume Tusseau. 

Premièrement, , on estime que l’on est trop nombreux en France pour gouverner dans un système de démocratie directe. On ne peut, matériellement réunir 70 millions de français, ou 47 millions d’électeurs, sur le modèle de l’agora d’Athène, afin qu’ils débattent ensemble pour prendre des décisions.  Donc puisque ce n’est pas possible matériellement, on a choisi de faire des élections représentatives.

D’autre part, certains argumentent que les représentants sont les citoyens les plus compétents, mieux informés et mieux éduqués, capables d’exprimer et de défendre la volonté du peuple mieux que le peuple lui-même. Considérant, comme le dit Guillaume Tusseau que “ce sera une meilleure volonté que celle à l’état brut, celle de l’état général”. 

Enfin, ce choix du système représentatif vient également des mauvaises expériences plébiscitaires napoléoniennes. Le peuple s'était alors exprimé de manière directe, choisissant de déléguer la quasi totalité des pouvoirs à un seul Homme. Cet usage plébiscitaire des référendums participe à la construction d’une méfiance envers le peuple et sa capacité à prendre des décisions : “On considère que vu l’usage que fait le peuple de sa souveraineté quand on lui laisse l’exercer, autant ne pas lui laisser s’en servir tout seul, et autant désigner des délégués qui vont décider à sa place”.

 

Démocratie participative

Guillaume Tusseau réfléchit aussi aux avantages qu’il y aurait à mettre en place une sorte d’assemblée délibérative “qui présenterait les points de vue contradictoires de manière objectif et non biaisé” pour servir de garde fous démocratique au RIC. Il nuance cette idée en mettant en garde sur le fait que l’outil pourrait être capté et détourné par certains groupes d’intérêts privés. Par ailleurs il s'interroge sur les bienfaits réels de ces processus de démocratie participative. Il observe, dans les exemples précédents de ce type de processus, que ceux qui participent le plus  sont souvent ceux qui sont déjà surinvesti sur certaines thématiques (sociales, environnementales…), de militants déjà bien intégrés et inscrits dans la sphère publique. Il conclut son analyse en déclarant que finalement ce dispositif “peine à réintégrer les gens qui spontanément ne seraient pas inclus dans ce type de débat”.

Modalités
Modalités

Estimant qu’il  y a un risque pour les minorités si le RIC est employé pour nuire à leur droit ou les opprimer d’une façon ou d’une autre, Guillaume Tusseau envisage d’encadrer le RIC par deux garde-fous principaux.

 

Premièrement une protection juridique, en imposant un contrôle de constitutionnalité par le conseil constitutionnel qui veillerait à la non discrimination  (religieuse, ethnique, sociale…) des questions. Deuxièmement, il imagine une sorte d’assemblée délibérative qui fournit des infos objectives et non biaisées aux citoyens afin d’augmenter leur niveau de connaissance sur la question et leur permettre de trancher en connaissance de cause.

Il est également favorable à assortir le RIC d’un certain nombre de sauvegardes, sur la clarté de la question, en limitant les sujets sur lesquels on pourrait prendre un référendum, imposant des seuils de participation minimum...Il n’a pas réfléchi à des modalités plus précises mais estime qu’il faut encadrer le RIC d’un certain nombre de garde-fous pour que ce dernier soit mis en place dans le système juridique. 

Il est favorable au vote obligatoire, à condition qu’il soit assorti d’un vote blanc auquel un poids électoral serait accordé. Il considère qu’il faut faire “peser sur tous les obligations” tout en permettant “aux citoyens d’exprimer leur désapprobation du fonctionnement du système”. 

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