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"Jamais la foule ne saurait gouverner avec intelligence, ni un navire, ni une cité"
Platon
poing
"Un large groupe de citoyens prend de meilleures décisions qu'un petit groupe d'élus individuellement plus compétents"
Aristote
III

Une masse de citoyens formant un peuple uni ?

Peut-on faire confiance au citoyen ?

Ouverture du domaine référendaire selon la capacité politique du citoyen ?

Vertus éducatives du RIC ? 

Des risques ?

 

Le RIC, qui permet l’expression directe de la majorité, présentée comme l’expression du peuple tout entier, pose la question du droit des minorités, du respect des droits de l’Homme et des principes fondateurs de notre Constitution.

Danger pour les minorités ? 

Ceux qui n’ont pas confiance dans la “majorité éclairée”

 

La plupart des juristes et des constitutionnalistes partagent des craintes à propos de la gouvernance du “peuple” et du règne de la majorité. Le RIC fonctionne selon un principe de supériorité numérique donnant ainsi le pouvoir à la majorité exprimée. Si ce principe paraît démocratique pour certains,  il n’en est pas moins dangereux pour d’autres. Selon Yann-Arzel Durelle-Marc, le succès du RIC se nourrit de la colère du peuple, ce qui lui donne un caractère plébiscitaire*, dans le sens où les décisions sont prises sur des émotions. Il parle de “spasmes démocratiques” qui constitueraient une menace pour la démocratie. 

 

Dominique Rousseau le rejoint lorsqu’il met en garde contre ce principe de suprématie numérique et rappelle que, quel que soit le suffrage numérique recueilli, "la loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la constitution". Il craint que le RIC aboutisse à une "tyrannie du nombre » qui « est encore plus monstrueuse que la tyrannie d’un seul individu car elle prend l’apparence et le nom de peuple". Yann-Arzel Durelle-Marc explique que le droit peut être perçu comme une superstructure de domination qui fascine et attire car elle est synonyme de pouvoir. Pourtant on oublie souvent que le droit et aussi le dépôt du système de valeur qui structure nos sociétés, et qu’il est important de le conserver pour rester dans un système démocratique. “La première fonction du droit est d’assurer une sécurité politico-juridique. Or précisément, la sécurité consiste à savoir, dans le temps, quelles sont les règles qui s’appliquent”. Pour lui, les droits des minorités par exemple, sont protégés par l’organisation d’une hiérarchie des normes et la procédure législative qui ne permet pas, ou difficilement, de revenir sur certaines catégories de règles. Or en donnant un accès direct au peuple au changement de la totalité des règles (y compris constituantes), on supprime, selon lui, les règles protectrices du système qui équilibre notre démocratie. De ce point de vue, il semble donc bien exister un risque pour les minorités si l’outil du RIC est employé pour nuire à leur droit ou les opprimer d’une façon ou d’une autre. 

Ceux favorables à des gardes fous pour protéger les minorités

Pourtant, le politiste Samuel Hayat, qui considère effectivement que “le règne de la majorité est dangereux pour les minorités” rappelle que “le règne de la majorité s’exprime tout autant dans les élections que dans les référendums”. Estimant que tout le monde peut se tromper, il considère que ce risque n’est pas un argument suffisant pour ne pas recourir à un “mécanisme démocratique”. La solution pour se prémunir de cette dérive serait de mettre des garde-fous, par exemple des protections constitutionnelles des libertés, des minorités et de toute une série de droits fondamentaux qui ne pourraient pas être remis en question par le RIC.
Le constitutionnaliste
Guillaume Tusseau est d’accord avec cette idée de “garde fou” démocratique, comme un contrôle du conseil constitutionnel s’assurant que la proposition n'est pas discriminatoire, envers une minorité ethnique, religieuse ou sociale. Il s’aligne sur la pensée de Bentham selon laquelle “Il est toujours préférable que ce soit une majorité éclairée qui prenne la décision plutôt qu’une minorité qui vise son intérêt personnel”. Il est donc favorable à la mise en place de systèmes éducatifs pour développer la compétence politique des citoyens pour former cette “majorité éclairée” qui protégerait le droit des minorités. 

Ceux pour qui le RIC n’est pas dangereux pour les minorités

Pour Raul Magni Berton, les minorités n’ont pas à craindre les conséquences du RIC. La fréquence des référendums et la diversité des sujets garantiraient un roulement des abstentionnistes et donc une participation de chacun. Les citoyens ne peuvent s’intéresser à tous les sujets, aussi ne se déplacent que les plus concernés à chaque fois, ce qui produit un taux d’abstention élevé et un “roulement des publics” : “Les référendums créent beaucoup d’abstention, mais pas toujours la même, contrairement aux élections.” Il appuie sa déclaration en citant encore une fois l’exemple Suisse où la participation moyenne aux référendums est de 40%, ce qui peut être considéré comme minoritaire mais cela s’explique par le fait que les 60% d’abstention sont ceux qui ne se sentent pas concernés. Avec le RIC “l’abstention se lit comme du désintérêt et non comme le résultat d'une exclusion du système politique”. Il cite une étude menée en Suède démontrant que le taux d'abstention n’étant pas du à un manque d’information, mais d’identification.

 

Beaucoup d’arguments, notamment en provenance d’hommes politiques, opposent au RIC le risque de revenir sur certains droits fondamentaux, comme rétablir la peine de mort ou abolir le mariage pour tous notamment.  Or selon Dimitri Courant, c’est un argument fallacieux, puisque les exemples étrangers montrent justement l’inverse. Il rappelle en effet que la Suisse a aboli la peine de mort 43 ans avant la France par référendum; le mariage pour tous a été légalisé par référendum en 2015 en Irlande, qui a aussi légalisé l’avortement. Selon lui, les pires décisions qui ont été prises (comme le recours à la bombe nucléaire) ont été décidées par les élites et non par le peuple. Le risque évoqué selon lequel que le RIC mènerait à l’instabilité et au chaos ne lui parait pas crédible. Jean Marie Denquin partage son opinion et considère que “Les pires violences ont toujours été le fait de minorités”, souvent décidées par des hommes qui s’auto-proclamaient représentants. Selon lui, ce fait “illustre l’idée qu’agir au nom d’autrui n’est pas toujours une garantie de modération. Aucun génocide n’a jamais été décidé par référendum”.


Enfin, pour Raul Magni Berton l'intérêt du RIC est d’infléchir les politiques publiques en faveur de la majorité des citoyens.  Aussi, si le RIC mène à des décisions conservatrices voir restrictives au niveau des droits civiques et des minorités, cela s’explique par le fait qu’il reflète l’opinion d’une population majoritairement plus conservatrice, qu’il convient d’écouter dans une logique démocratique. Il avance tout de même un argument pour prévenir de cet effet, en citant l’étude d’Alexander Hamilton et James Madison qui expliquent qu’en raison d’une plus grande diversité des intérêts particuliers dans un grand État, “il serait plus difficile de rassembler de larges majorités et ainsi les minorités auraient moins à craindre les intérêts et l’oppression d’une forte majorité”. Il est donc moins dangereux de mettre en place le RIC sur une grande échelle qu’au niveau local. 

 

Risques antidémocratiques ?

Dérives plébiscitaires

De nombreux acteurs évoquent les risques plébiscitaires liés au référendum et au RIC, en s’appuyant sur l’histoire du dispositif référendaire en France. Napoléon Premier, et Napoléon III ont tous deux utilisé le référendum de manière plébiscitaire pour arriver au pouvoir. Cet outil est ensuite marginalisé lors des IIIe et IVe République, car il est considéré comme un instrument de despotisme suite aux règnes des membres de la famille Bonaparte. Selon Guillaume Tusseau “à de nombreuses reprises [le recours au référendum] a été un usage Napoléonien, presque autoritaire : on a demandé au peuple de s’abandonner au chef providentiel”. Le référendum est réhabilité lors de l’accession au pouvoir de Charles de Gaulle en 1958, qui souhaitait une participation plus accrue du peuple par rapport au parlement. La constitution de 1958 est par exemple adoptée par référendum, et De Gaulle utilisera ensuite plusieurs fois l’outil référendaire comme source de légitimité. Ainsi l’outil référendaire est réhabilité au début de la Ve république, et cette réhabilitation ouvre la voie à plus de réflexion autour du RIC. 

 

Cependant plusieurs acteurs voient dans le RIC le même caractère plébiscitaire que dans les référendums ayant été utilisés par un pouvoir fort. C’est le cas de Yann Arzel Durelle-Marc qui explique que le RIC  ne le “séduit absolument pas parce qu’il revêt un caractère plébiscitaire”, qui lui paraît peu adapté au gouvernement d’une nation et même “relativement dangereux”

Le RIC pourrait donc entraîner un risque plébiscitaire dans la mesure où il pourrait être utilisé pour prendre des décisions sous le coup de l’émotion populaire. Il va plus loin en expliquant que le terme plébiscitaire désigne même “la démocratie contre la démocratie”. Selon lui, la décision prise de manière démocratique à l’issu des plébiscites napoléoniens finit par “annuler le raisonnement même de l’expression démocratique”,  en instaurant finalement un régime autoritaire.  Cette émotion pourrait de plus être instrumentalisée par des partis politiques ou des groupes d'intérêts privés pour aboutir à des résultats néfastes.

 

Risques d’instrumentalisation par des groupes d’intérêts privés

 

Le philosophe Pierre Etienne Vandamme explique qu’il existe en effet des “risques d’instrumentalisation par des groupes d’intérêts privés”. Selon lui, il est possible d’apprendre sur ce sujet en étudiant des modèles de RIC existants dans d’autres pays, comme aux Etats-Unis. Il est notoire que des groupes privés “achètent” des référendums et “lancent des initiatives qui pèsent énormément dans la campagne publicitaire”“Il faut voir quelles sont les manières de limiter l’influence de l’argent sur toutes ces procédures référendaires. [...] Il y a sans doute un moyen de réduire ces risques de manipulation”. 

Un autre risque est le celui de l’instrumentalisation par des partis politiques. De nombreux acteurs pensent par exemple que le RIC mettrait en concurrence les représentants d’un côté et le peuple de l’autre. Mais selon Pierre Etienne Vandamme, si les représentant arrivent à s’emparer d’une proposition citoyenne, et à la faire passer en projet de loi, “ils peuvent en tirer le crédit et se revendiquer de ce succès”. Au contraire, si l'initiative venait uniquement des citoyens, les représentants ne pourraient en tirer aucun bénéfice. Ainsi la procédure inciterait les partis politiques “à davantage s'intéresser à ce que veut la majorité des citoyens”.

 

Certains acteurs craignent néanmoins que les partis politiques utilisent le RIC pour pousser en avant des thèmes qui leurs sont propres dans l’agenda politique. Samuel Hayat explique par exemple qu’en Suisse, les RIC sont “complètement utilisés par les partis, et notamment par le parti d’extrême droite, l’UDC, qui a beaucoup utilisé les référendums pour faire passer un agenda islamophobe”. Ce parti a réussi à faire passer un référendum contre la construction de mosquées. Samuel Hayat ne voit cependant pas ici de la manipulation. Selon lui, la récupération du RIC par les partis est normal, quand cela a “un sens, une cohérence avec la ligne de ces partis”. Il explique que le RIC est simplement un “outil que les partis peuvent utiliser”, comme il en existe d’autres. Il déclare ainsi que le Rassemblement National et La France insoumise sont favorables au RIC parce que cela “va dans leur vision du monde d’un peuple unifié et d’un refus de la politique professionnelle, d’un refus de la politique des partis”. Il évoque certes une réelle récupération partisane de ces deux partis, mais “une récupération partisane, qui dans un cas comme dans l’autre a un sens par rapport à la manière dont ils entendent représenter le peuple”. Face au risque de manipulation par des partis politiques ou des groupes d’intérêts privés, certains acteurs pointent de possibles risques démocratiques, en cas d’absence de gardes-fou.

 

Absence de garde-fous ?

 

Certains acteurs craignent la "tyrannie du nombre" et l’absence de garantie démocratique si l’on supprime tout contrôle de constitutionnalité sur le fond des décisions comme le suggère le RIC CARL. Le spécialiste du droit des institutions, Yann Arzel Durelle-Marc estime que le RIC est un outil plébiscitaire, reflétant des "spasmes démocratiques" dont il faut se méfier. Il explique qu’un des principes qui guide les règles de droit est d’assurer une sécurité-politico juridique grâce à une continuité des règles dans le temps qui implique une responsabilité civile et pénale. Le RIC ferait disparaître cette pérennité du droit et par conséquent mettrait en péril la sécurité du pays. 

 

Selon Dominique Rousseau, l’écart entre le corps des représentants et le corps du peuple, décrié par beaucoup, est ce qui permet un échange démocratique et une responsabilité politique des représentants, soumis au contrôle politique et juridictionnel des citoyens. En l'état actuel du droit, les lois votées par les représentants du peuple sont contrôlées par le juge constitutionnel, qui vérifie leur conformité aux droits et libertés garanties par la Constitution. En revanche, les lois votées par le peuple ne sont pas contrôlées car, dit le juge constitutionnel, elles sont "l'expression directe de la souveraineté nationale”. La voie du référendum serait un moyen de contourner l'obligation de respecter les droits énoncés dans la Déclaration de 1789

 

Cette peur des opposants au RIC est alimentée par les positions de certains défenseurs du RIC, qui voudraient que le RIC puisse être utilisé sans limites. C’est le cas des partisans du RIC CARL. Yvan Bachaud et son association Article 3 militent par exemple en faveur d’un RIC “ouvert à toutes les propositions, que le peuple puisse intervenir partout où les élus peuvent intervenir”.  Le peuple pourrait ainsi lui-même modifier la constitution, et légiférer, sans gardes-fous. Cette absence de contraintes inquiète de nombreux acteurs qui préféreraient encadrer le RIC par un certains nombre de garde-fous. Guillaume Tusseau évoque par exemple un contrôle du conseil constitutionnel s’assurant que la proposition n'est pas discriminatoire, envers une minorité ethnique, religieuse ou sociale. D’autres estiment qu’il faut limiter le domaine référendaire  et en exclure les questions financières ou internationales. Enfin, les enjeux d’éducation politique du citoyen précédemment évoqués pourraient, selon certains spécialistes, permettre de lutter contre ces risques antidémocratiques. 

 

Le statu quo 

Yvan Bachaud met paradoxalement en avant des limites qui existent au RIC, qu’il souhaite pourtant “ouvert en toutes matières ouvertes aux élus”. Il lui semble par exemple difficile d’organiser un référendum sur la question de la peine de mort : “il faudrait complètement sortir de l’union européenne, c’est compliqué”. Il rappelle ainsi que même certains domaines ne sont pas ouverts aux seuls élus français. Dans le domaine législatif, l’action des élus français est aussi bien souvent soumise aux lois et normes européennes.

 

Un des clivages autour du RIC réside dans la possibilité de remettre constamment en question les décisions politiques, pouvant entraîner une forte instabilité. Sur ce point Raul Magni-Berton rassure en rappelant que le RIC est un “instrument de contre-pouvoir et de contestation”. Selon lui, le oui exprime toujours le changement tandis que le non représente le statu quo. Il estime que le non est majoritaire par nature, et qu’il n’y a donc “aucun risque qu’il y ait trop de oui qui passe”. Il se base notamment sur l’expérience de la Suisse où seulement “9%” des référendums ont été approuvés depuis 1981. Il ajoute que “beaucoup de référendums sont des campagnes de sensibilisations. En Suisse il y a eu le référendum sur le revenu universel, qui a été rejeté par 75% des gens”. Selon lui, les gens qui l’ont lancé savaient qu’ils étaient minoritaire, “mais ils voulaient qu’on en discute.” 

 

Quelle place pour la délibération citoyenne ? 

risques
Dange

"Dans un RIC, quand on vote oui, on vote pour la proposition révolutionnaire, quand on vote non on vote contre"

Raul Magni-Berton

“Si notre démocratie n’est que majoritaire, elle est dangereuse. C’est assez simple : la majorité peut avoir tort [...] c’est typiquement ce genre de problème que pose le RIC… et c’est typiquement la difficulté d’instituer en somme, une voie d’expression à ce qui est un « spasme » de l’opinion”

Yann Arzel Durelle-Marc

“Dire que l’on va pas utiliser un mécanisme démocratique parce que la majorité peut se tromper, moi je veux bien mais qui ne peut pas se tromper ?”

Samuel Hayat

“Lors d’une élection, les abstentionnistes sont toujours les gens marginalisés, alors que dans les référendums, ça tourne”

Raul Magni Berton

 "On dit au peuple qu’il va faire n’importe quoi comme on disait aux suffragettes qu’elles allaient faire n’importe quoi"

Dimitri Courant

“Le mot plébiscitaire ne désigne pas le processus qui a lieu entre la proposition d’un Napoléon 1er [...] à l’électorat français. Il désigne plus ou moins la colère du peuple, c’est-à-dire une décision réfléchie sur des émotions”

Yann Arzel Durelle-Marc

"Le peuple-législateur-direct ne peut être contrôlé ni voir sa responsabilité engagée puisqu’il ne peut y avoir un corps devant lequel il devrait soumettre ses lois"

Dominique Rousseau

"Selon moi on ne prend pas de grands risque à favoriser la participation du vote dans la mesure où on assortit ça de sauvegardes"

Guillaume Tusseau

plébiscitaire* : vote direct de confiance demandé par un chef d'état à l'ensemble des citoyens

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