Citoyens
Objectif :
positionner les acteurs sur 3 lignes différentes (nos 3 noeuds), pour pouvoir les comparer dans leurs définitions réciproques
"Jamais la foule ne saurait gouverner avec intelligence, ni un navire, ni une cité"
Platon
"Un large groupe de citoyens prend de meilleures décisions qu'un petit groupe d'élus individuellement plus compétents"
Aristote
Une masse de citoyens formant un peuple uni ?
Peut-on faire confiance au citoyen ?
Ouverture du domaine référendaire selon la capacité politique du citoyen ?
Limiter le champ du domaine référendaire : méfiance du peuple ?
Certains acteurs, comme le think thank Terra Nova, souhaitent une procédure référendaire couplée avec un renforcement du pouvoir parlementaire afin de ne pas affaiblir les institutions démocratiquement élues. Cela se traduirait par un encadrement plus restreint du domaine référendaire, qui exclurait un certain nombre de questions, notamment fiscales, et traités internationaux. Ils expliquent que le référendum ne doit plus servir, comme cela a longtemps été le cas, à limiter le pouvoir du Parlement, celui-ci ayant déjà considérablement été affaibli sous la Vème république par l'hyper-présidentialisation du système politique. Dans ces conditions, le RIC devient une garantie démocratique face au “présidentialisme absolu” qui fragilise le système démocratique. Cette position est partagée par les juristes que nous avons interrogés qui se montrent très prudents concernant le caractère démocratique du RIC et admettent que, si celui-ci doit être adopté, il faudra limiter son champs d’application, afin de ne pas “porter atteinte à des principes ou à des individus que l’on entend sauvegarder” comme l’affirme Jean-Marie Denquin. C’est le cas par exemple de l’Italie, où l’initiative citoyenne ne peut porter ni sur la fiscalité, ni sur le budget, ni sur la ratification des traités internationaux. Limiter le domaine référendaire témoigne d’une certaine méfiance vis à vis du peuple, ou du moins de ses capacités à décider sur des enjeux d’importance cruciale tels que la sauvegarde des droits de l’Homme ou les relations internationales.
Le RIC "en toute matière" : croire à l’égalité des intelligences
A l’inverse, comme l’explique Samuel Hayat, ceux qui ont le plus confiance en la capacité des citoyens, adoptent une “logique démocratique rousseauiste”, considérant qu’il est “impératif que le référendum n’aie pas de limite, notamment sur les questions constitutionnelles-constituantes”. C’est le cas des partisans du RIC CARL, ou RIC en toute matière, qui insistent sur l’importance que celui-ci soit le plus ouvert possible, afin que le peuple ait le même pouvoir que ses représentants. Le militant Yvan Bachaud s'intéresse particulièrement à cette idée d’égalité de pouvoir entre élus et citoyens et présente ainsi la position de son association Article 3 : un RIC “ouvert à toutes les propositions, que le peuple puisse intervenir partout où les élus peuvent intervenir”.
Lui et le politiste Raul Magni Berton conçoivent le référendum d’initiative citoyenne comme une « troisième instance », aux côtés du gouvernement et du parlement, donnant un instrument de contre-pouvoir, de contestation aux citoyens. S’ils proposent ce RIC ouvert en toutes matières, c’est parce qu’ils croient en la “capacité du citoyen à prendre des décisions éclairées” comme le déclare Raul Magni Berton dans son livre, RIC, Le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous. Ils défendent l’idée selon laquelle le RIC permettrait d’aligner les politiques publiques sur la volonté de la majorité des citoyens et sont, de ce fait, favorables à ce que celui-ci soit ouvert aux politiques budgétaires et aux traités internationaux, allant même jusqu’à dire : “Pour que les dépenses publiques soient réellement faites au nom des citoyens, il faut non seulement leur laisser la possibilité de contrôle mais surtout d’un contrôle intégral”.
Cette conception est partagée par la plupart des hommes politiques ayant déposé une proposition de loi, tels que Jean Louis Masson ou Bastien Lachaud, qui rejoignent les théories de Carré de Malberg expliquant que “Si toutes les constitutions valorisent la figure du citoyen, elles consacrent l’essentiel de leurs dispositions à déposséder les citoyens de leurs pouvoirs en organisant et légitimant l’existence et la parole des représentants et, par conséquent, l’absence et le silence des citoyens-représentés”. Ils témoignent d’une grande confiance envers la capacité des citoyens à voter les lois, en proposant des modalités d’exploitation facilitées (abaisser le seuil de signature à 1,5% par exemple) et un champs d’application le plus large possible. Selon Bastien Lachaud, le RIC est ce qui va légitimer l’acceptation de la loi et la soumission aux règles de la loi, il faut donc qu’il porte sur tous les sujets, y compris les traités internationaux.
Enfin, cette confiance est également partagée par de nombreux politistes, tels que Samuel Hayat ou Guillaume Tusseau qui estiment que si on a suffisamment confiance dans l’égalité des intelligences pour donner le droit de vote aux citoyens, alors il n’y a aucune raison pour ne pas leur faire confiance pour voter les lois : “si on pense que les gens sont trop stupides pour répondre à une question par oui ou par non, je ne vois pas pourquoi ils seraient suffisamment intelligents malgré tout pour avoir le droit de vote”. Ils rappellent que l’égalité des voix entre chaque citoyen est le fondement de nos démocraties, qui ne demandent aucune compétence particulière pour pouvoir exercer son droit de vote. S’il y a une éducation politique des citoyens à faire, cela vaut autant pour la démocratie représentative que pour la démocratie directe, indépendamment du référendum d'initiative citoyenne. Or certains acteurs soutiennent justement la capacité du RIC à augmenter le niveau de connaissance et de compétence politique des citoyens.
Vertus éducatives du RIC ?
Vers une meilleure éducation politique des citoyens ?
Le philosophe Pierre Etienne Vandamme pense qu’il est essentiel de “penser à des manières d’augmenter le degré d’éducation politique ou citoyenne des citoyens”. Il envisage d’ailleurs le RIC comme l’une des manières d’améliorer cette éducation politique. Selon lui, on peut facilement concevoir que “des citoyens qui sont plus souvent appelés à s’exprimer ou qui ont plus les moyens d’expression, sont plus incités à s'informer et à s’intéresser à la politique”.
Mais cet avis n’est pas partagé par tous. Le politiste Samuel Hayat explique croire en “l’égalité des chances politiques” et pense voir dans ce débat une inversion du problème : il ne faudrait pas absolument chercher à éduquer les citoyens, mais plutôt partir du principe qu’ils sont légitimes pour exprimer leur opinion politique. Il faudrait selon lui laisser “l’égalité des intelligences s’exprimer”, et donner “plus de pouvoir direct aux personnes”, car il ne pense pas qu’il y ait un manque d’éducation. Malgré cette divergence, de nombreux acteurs - dont Samuel Hayat - voient le RIC comme un outil qui permettrait une meilleure éducation politique des citoyens. C’est également l’opinion des partisans du RIC CARL, comme Raul Magni Berton et Yvan Bachaud, qui pensent que le RIC permettrait aux citoyens de mieux connaître un sujet qui serait soumis au vote. Raul Magni Berton affirme que les gens ne deviennent pas “spécialistes du sujet, mais ils s’y connaissent plus qu’avant”. Il cite des enquêtes européennes montrant que ce sont les Suisses qui connaissent le mieux l’Union Européenne, alors qu’ils n’en font pas partie car “ils ont votés quatre fois dessus”... Selon lui, donner aux citoyens un rôle actif dans la proposition des lois contribuerait à les responsabiliser et les éduquer sur les questions traitées dont le fonctionnement des institutions européennes. C’est aussi le point de vu que partage Bastien Lachaud qui affirme que le RIC permettrait “l’éducation politique des citoyens”.
Outre la Suisse, le modèle de l’Oregon est également souvent mobilisé pour illustrer ces vertus “éducatives” du RIC. La professeure américaine Katherine R. Knobloch, qui a étudié ce dispositif dans le détail, affirme le rôle important qu’il joue dans l’éducation politique des citoyens. Elle précise toutefois que cela est dû en grande partie au tirage au sort d’un mini-public délibératif censé améliorer les informations délivrées aux votants lors d’un référendum. Cette assemblée délibérative est également la pierre angulaire du modèle proposé par Terra Nova, dans lequel la phase réflexive entre individus tirés au sort est l'occasion d'améliorer leur connaissance du sujet en question, pour ensuite influencer le vote des autres citoyens.
Le rôle des assemblées délibératives
Ce “guide” élaboré par une assemblée de citoyens tirés au sort semble donc décisif dans l’éducation politique des individus. La majorité des acteurs qui fait confiance aux vertus éducatives du RIC, s'accorde tout de même pour dire qu’il n'est pas possible de devenir expert de tous les sujets. Lorsqu’on manque d’expérience ou de connaissance sur un sujet, “on se fie à l’avis d’associations, de partis ou des personnalités...” explique Pierre-Etienne Vandamme. Yvan Bachaud le rejoint en affirmant que les gens “ne votent pas au hasard, mais s’ils ne connaissent pas le sujet, ils votent parce qu’ils prennent la position des gens à qui ils font confiance”.
Dans ce contexte, l’organisation d’assemblées délibératives, comme celles organisées par Terra Nova apparaissent, pour certains, comme le moyen de participer à cet effort d’éducation. En proposant une voix de confiance autre que celle des partis politiques, elles pourraient en effet permettre d’élargir le champ des spécialistes, qui ne serait plus réservé aux académiciens et politiciens, mais aussi aux simples citoyens. Cela pourrait amener les citoyens à réfléchir à d’autres propositions et donc à approfondir leur éducation politique, sans qu’ils n’aient besoin de devenir spécialistes des sujets soumis au vote. Guillaume Tusseau, qui se dit favorable à la mise en place de “politiques publiques d’instruction civique, de jury citoyen, de sites explicatifs…”, pense que ces assemblées auraient un vrai potentiel d’éducation. Les participants comprendront selon lui “que la tâche du politique n’est pas si facile que ça”. En donnant conscience aux citoyens de la difficulté du travail de leurs représentants, ces assemblées pourraient permettre de les rapprocher, contrairement au reproche souvent fait au RIC, d’être un instrument de conflit et d’opposition entre les deux corps. Guillaume Tusseau explique en effet que cela pourrait “conduire à nuancer la méfiance ou le rejet de la classe politique un peu massif”.
Il illustre ce phénomène avec l’exemple de la Convention Citoyenne pour le Climat, organisée par Emmanuel Macron. Elle réunit 150 citoyens tirés au sort de manière à obtenir une assemblée représentative de la population, dont le but est de réfléchir à la lutte contre le réchauffement climatique. Les propositions concrètes de cette convention pourraient ensuite être directement proposées au vote des citoyens par référendum, ce qui lui semble un procédé très démocratique.
Le modèle du tirage au sort de l’Oregon remporte un grand succès chez les partisans du RIC, même s’il reste quelques réfractaires. C’est le cas notamment de Yann-Arzel Durelle-Marc, qui voit d’un oeil négatif le tirage au sort qu’il considère être une reconstruction statistique du corps électoral qui n’est pas une représentation politique. L’espérance placée dans le RIC ressemble selon lui à celle suscitée par la révolution française selon laquelle “le citoyen va acquérir les lumières et il va devenir un acteur et maître de son destin, participant au destin collectif…”. Il précise que cette révolution se conclut par un plébiscite qui a conduit Bonaparte au pouvoir, avant de le transformer en consul à vie, puis empereur… Plus de deux cents ans après, Yann Arzel Marc Durelle ne croit pas “que nous ayons trouvé la recette qui permette l’acquisition et l’entretien de ces compétences de la part des citoyens dans nos démocraties” et que le RIC sera cette recette.
Des risques ?
Danger pour les minorités ?
Risques antidémocratiques ?
Quelle place pour la délibération citoyenne ?
"Ce sont des gens qui à priori n’ont pas d’expertise mais ça me semble très démocratique, ça ne peut qu’enrichir la volonté de confronter les arguments"
“Les gens s'intéresseraient beaucoup plus facilement à la politique, s'éduqueraient beaucoup plus par eux-mêmes, et iraient beaucoup plus chercher l’information si on leur demandait de faire des référendums que dans la situation actuelle où on leur demande juste de choisir entre machin et truc”